Paroisse Sainte Marie de Magdala

18 fevrier 2018

 Homélie de Bernard-Marie, tertiaire franciscain

L’ENTRÉE EN CARÊME

Certains chrétiens entrent en Carême comme on entre en cure de désintoxication ou dans une maison de redressement. On comprend alors qu’ils le fassent en traînant les pieds et « le visage morne et défait » (Mt 6, 16). En vérité, ces chrétiens-là prennent une mauvaise direction, car ils ne sont pas dans l’esprit de quelqu’un qui part rejoindre l’élu(e) de son cœur. Or, c’est pourtant cela d’abord dont il s’agit. Se rapprocher de Dieu et renouer plus intimement avec Lui, c’est ni plus ni moins « se lever et marcher » (Lc 15, 18) pour tâcher de rejoindre le grand amour de notre vie. Que disent les textes d’entrée en Carême ? « Renouvelez votre cœur et non pas vos vêtements. Revenez au Seigneur votre Dieu, car il est tendre et miséricordieux, lent à la colère et plein d’amour » (Joël 9, 12-13). L’âme en chemin de conversion doit prendre pour elle la promesse du prophète Osée : « Je l’attirerai et la mènerai au désert, et je lui parlerai au cœur » (Os 2, 14). Effectivement, la décision de partir au désert ou, du moins, dans un endroit retiré avec la porte fermée sur soi (Mt 6, 6), semble provenir de notre seule liberté, mais l’Écriture et l’Église l’affirment ensemble : le premier qui appelle et dirige l’être humain vers son vrai bonheur, c’est Dieu lui-même. Il est notre bon berger (Jn 10, 11) et, si nous sommes une brebis égarée dans le désert, nous ne sommes pas seul(e) à chercher la bonne route, car Dieu lui-même s’est déjà mis à notre recherche. Le Christ des Évangiles l’atteste : « Quand le berger a retrouvé la brebis perdue, il la met tout joyeux sur ses épaules et la ramène chez lui » (Lc 15, 5-6). Le Christ de Pascal ne disait pas autre chose quand il lui déclarait durant sa Nuit de feu du 23 novembre 1654 : « Tu ne me chercherais pas, si tu ne m’avais [déjà] trouvé… C’est mon affaire que ta conversion. Ne crains point et prie avec confiance » (Pensées, Laf. 919).

Voyons maintenant comment Jésus lui-même est entré dans cette période des « Quarante jours » au désert, qui évoque les quarante années durant lesquelles les Hébreux errèrent dans les régions inhospitalières du Sinaï avant d’atteindre la Terre Promise d’Israël. Peu après son baptême dans le Jourdain, alors que l’Esprit Saint était descendu sur lui et y était « demeuré » (Jn 1, 32), Jésus ne décida rien de lui-même. Au contraire, il se laissa « mené sur les hauteurs du désert par l’Esprit Saint pour y être tenté par le diable » (Mt 4, 1). L’évangile de Marc (Mc 1, 12) précise même que l’Esprit Saint « le pousse fortement » (auton ekballei), comme le fait une bourrasque dans une voile bien carguée. À ce moment-là, l’état d’esprit de Jésus est parfaitement décrit par ce passage d’un psaume de David : « Voici que je viens, ô Dieu, pour faire ta volonté ! » (Ps 40, 8-9 ; He 10, 7). Inutile de préciser que tout disciple du Christ se doit de rejoindre ce même état d’esprit de prière confiante et d’abandon au Père du ciel, sous le souffle de l’Esprit Saint.

Dans les trois récits évangéliques des tentations, une chose peut nous étonner, vu notre habituelle réticence à toute forme de pénitence physique, c’est que, durant son long séjour au désert, Jésus ne semble nullement avoir souffert de la privation de nourriture. Le texte biblique dit bien que ce n’est qu’après ses quarante jours de jeûne qu’il eût faim (Mt 4, 2). L’important, pour les évangélistes, n’est donc pas l’aspect ascétique et pénitentiel du séjour au désert, mais son aspect mystique. On comprend mieux pourquoi c’est l’Esprit Saint lui-même qui a déclenché ce mouvement de retrait en grande solitude. Il le fallait pour que la Parole de Dieu incarnée puisse, en notre nom, affronter et vaincre le Prince de ce monde, qui est aussi un redoutable connaisseur des saintes Écritures. Certes, de notre part, cela n’implique pas une abdication de toute joute exégétique avec les divers tentateurs mondains qui nous assaillent, mais, tout en argumentant pour le Royaume, il est important que nous restions dociles à l’Esprit qui fera sentir au cœur (par le sensus fidei) quelle est la plus haute vérité à défendre. En effet, les vérités relatives au salut sont hiérarchisées, comme le montre bien Jésus dans son dialogue avec Satan : « … mais il est aussi écrit… » (Mt 4, 7). Une conséquence pratique de cette étape si fréquente dans le combat spirituel, c’est de prendre la résolution, notamment durant ce Carême, de scruter plus régulièrement les saintes Écritures pour mieux y discerner la volonté de Dieu sur notre humanité, et donc aussi sur nous-mêmes.

Encore une fois, répétons-le : entrer en Carême, c’est non seulement subir d’éventuelles et pénibles tentations, mais c’est aussi et surtout se convertir, se retourner plus résolument vers le Seigneur toujours présent, car lui seul « voit dans le secret » (Mt 6, 6) et lui seul a promis de nous accompagner personnellement « tous les jours jusqu’à la fin du monde » (Mt 28, 20). Cette plus grande proximité avec Lui et ses anges (Mt 4, 11) oblige à se purifier, car seuls les cœurs purs peuvent voir l’invisible et l’essentiel (Mt 5, 8 ; He 11, 27). Cette purification peut se faire de bien des façons et l’Eglise ne manque pas de le rappeler en cette période de l’année liturgique : prière, sacrements, jeûne et abstinence, plus grande pratique du détachement de soi au profit de Dieu et des pauvres… Oui, il s’agit bien d’un temps de pénitence, mais non pas d’affliction. Au contraire, le Christ lui-même recommande de jeûner en usant de parfums (Mt 6, 17) et encourage à se montrer joyeux (Mt 6, 16). Dans le même passage, il ajoute cette promesse solennelle qui est toujours d’actualité pour nous, chrétiens du XXIe siècle : « Et ton Père qui voit dans le secret te le rendra ! » (Mt 6, 18).

Bernard-Marie, tertiaire franciscain