Paroisse Sainte Marie de Magdala

Homélie du Père Pierre (Colombani) - dimanche 23 mars 2014


Is 58, 1 à 8

Col 2, 6 à 10

Jn 6, 35 à 54

 


         Ce troisième dimanche du temps de Carême nous amène à méditer, à contempler ce grand thème de Jésus : Pain de Vie.

         Cet évangile de St Jean, qui nous présente Jésus comme le Pain de Vie, apparaît tellement hermétique, complexe que, parfois, nous aurions tendance à refermer l’Evangile et à nous dire je ne sais pas trop, un peu comme les Juifs dans ce passage qui disent : mais comment cet homme qui est le fils de Joseph peut-il se présenter comme le pain venu du ciel ? ou encore lorsqu’ils disent : mais comment peut-il se présenter comme le pain que nous allons manger et qui nous donnera accès à la Vie éternelle ?

         Et dans cet horizon alors, dans son épitre aux Colossiens, St Paul nous dit : " attention, ne vous laissez pas prendre par les fausses philosophies ". Quand St Paul parle de fausses philosophies, il vise tous ces questionnements qui consistent à dire que ce n’est pas possible dans l’ordre de la raison. La déesse raison ne peut nous faire admettre que Jésus soit le Fils de Dieu, qu’Il soit descendu du ciel et qu’Il se présente à nous comme la nourriture divine. Mais, pleins de nous-mêmes, pleins de nos catégories intellectuelles, rationnelles, alors nous élaborons des théories pour réfuter toute réflexion métaphysique.

         Or, cette réflexion ce matin, mes amis, est tout à fait fondamentale. Car si nous n’accueillons pas le mystère de Jésus : pain de Vie, non seulement nous n’aurons pas le saisissement profond de ce qu’est le mystère de l’Eucharistie, mais nous n’aurons pas non plus le saisissement de ce qu’est notre propre corporéité.

         Oui, Jésus est le pain de Vie descendu du ciel. Qu’est ce que cela signifie ? Cela veut dire que réellement, profondément, il est Celui qui se présente à nous comme la porte du salut. Lorsque nous disons, le salut, cela veut dire que nous nous reconnaissons comme des êtres mendiants, comme des êtres abimés, blessés. Déjà dans ce temps de Carême, nous devrions tous nous interroger sur notre état de conscience : avons-nous conscience de ce qui en nous est blessé, abimé,  ou sommes-nous dans cet espèce d’inconscience qui fait que, jour après jour, nous nous laissons pousser par les évènements sans voir combien notre existence n’a de sens que si elle est une construction. Si je me construits, c’est qu’il y a en moi des choses à rétablir, à établir, à mettre debout. Il ne s’agit pas d’être dans une culpabilité quelconque, mais simplement de se dire : dans ce jeu de construction, quels sont les éléments dont je dispose et comment vais-je pouvoir édifier ma vie, la construire, la faire monter, monter vers ? Que ce soit dans tout ce que j’entreprends : vie conjugale, vie familiale, amicale, vie professionnelle, vie de la cité, vie dans tous ses replis, comment ai-je construit ? Par là, quels sont les points de rupture, les points d’achoppement, les points de résistance ? C’est cela le salut, mes amis. Le salut, cela veut dire que ce n’est pas accompli, que ce n’est pas plénier, c’est en voie d’avènement. Si nous avons conscience de cela alors, déjà nous sommes dans le sens de Dieu, c’est-à-dire des êtres qui vont se laisser travailler dans l’humilité. L’humilité vient de ce mot humus, ce qui va pourrir dans la terre, cette terre qui nous a été donnée au commencement du Carême pour nous rappeler que nous sommes tirés de la terre, faits de poussière ; mais dans cet humus, il y a aussi la pourriture qui permet à la terre de retrouver toute sa fécondité. Ce qui n’est pas réalisé en nous appelle : appelle un autrement, appelle un accomplissement, appelle une fécondité, appelle l’arbre de vie, appelle l’érection véritable de l’homme nouveau dont parlera St Paul.

         Vivre le Carême en visant le salut, c’est donc être dans ce désir de s’arracher de tout ce qui nous empêche, de tout ce qui nous aliène, comme le dit le prophète Isaïe dans la première lecture : Regarde, l’essentiel c’est d’aller vers ton frère qui a faim et ce frère qui a faim, bien sûr, c’est celui qui va taper à ma porte, mais c’est aussi celui qui va taper à ma porte intérieure, car suis-je un être affamé, affamé de vie pour que ma vie devienne une plénitude, que je me mette en marche, en mouvement, que je puisse vivre pleinement, tellement que je vise le salut et que je demande la liberté véritable. Va vers ton frère qui a faim et alors ta lumière sera la lumière de midi. Oui, si véritablement nous avons conscience de ce désir plénier de salut, alors nous toucherons la lumière, et la lumière, c’est le Christ.

         Nous revenons alors à l’Evangile de Jean, quand Jean nous présente Jésus comme le pain de Vie, c’est-à-dire comme Celui qui seul peut nous nourrir, qui seul peut répondre à cette quête qui peut nous habiter. Il est le pain de Vie en ce qu’il n’est pas un homme qui parle de lui, un homme qui propose une doctrine, un homme qui nous dirait ce qu’est la sagesse, mais Il est venu comme l’envoyé du Père. Tout le sens du pain de Vie se trouve . Je suis l’envoyé du Père, et pain de Vie cela veut dire qu’en tant qu’envoyé du Père, en tant que Celui qui a cette connaissance du Père, je vais pouvoir répondre à votre quête et vous nourrir. En cela, Jésus est le Christ, le Fils du Dieu Vivant, Celui qui va pouvoir nous donner accès à la vérité véritable, à la vérité profonde, à la vérité immuable, à la vérité hors contexte, à la vérité qui sera au-delà de tout, pain véritable, pain de Vie. Manduquer ce pain, c’est manduquer le Christ, c’est aller à la source, c’est essayer d’entendre ce que le Seigneur me dit aujourd’hui au travers de l’Ecriture, laquelle je dois encore et toujours redécouvrir à travers la prière, qui est un enlacement dans le Seigneur, avec ce baiser de Dieu par le souffle de l’Esprit Saint. Oui, méditation de l’Ecriture, méditation dans la prière, plonger dans cette rencontre  et alors là, véritablement le Christ est notre Seigneur. Tu es mon Seigneur, tu es ma vie, tu es ma nourriture, tu es celui qui peut me donner accès au Divin.

         Et là, dans l’Eucharistie que nous allons recevoir, nous comprenons que ce n’est pas simplement le pain et le vin que nous allons recevoir, mais, à travers la puissance de la prière de l’Eglise, par ce phénomène de la transsubstantiation, c’est-à-dire par l’épiclèse, la venue de l’Esprit Saint sur la matière, tout à coup, ce n’est plus le pain, ce n’est plus le vin, mais c’est le corps et le sang du Christ. Comme il n’était pas simplement l’homme de Nazareth, l’homme fils de Joseph, mais il était Celui venu du ciel. Et si nous entendons cela, alors, tout à coup, nous retournons vers nous-mêmes et nous saisissons que nous ne sommes pas simplement le fils ou la fille de tel père et de telle mère, que nous ne sommes pas simplement le mari ou la femme de celui-ci ou de celle-là, que nous ne sommes pas simplement l’ami, que nous ne sommes pas simplement l’humain, mais que, dans cette matière humaine, il y a en nous une force qui proclame la vie à temps et à contretemps et qui nous dit : " tu es plus grand que toi,  tu es plus grand que tes échecs,  plus grand que ta mort." Et là, nous allons pouvoir laisser éclore l’être véritable. Et là, nous saisissons ces paroles de Jésus : " je suis venu pour répondre et celui qui croit en moi aura la vie éternelle et, au dernier jour, je le ressusciterai."

         Au dernier jour : le dernier jour de ma vie, le dernier jour de l’existence de ce cosmos ; mais, au dernier jour, c’est-à-dire aussi à ce dernier jour où je me pensais tellement aliéné et que je quitte pour être l’être de Dieu et vivre le jour nouveau avec Toi, mon Seigneur.

         Regardez combien ce temps de Carême est magnifique, et combien nous ne sommes pas là pour simplement nous priver pauvrement au travers de tel ou tel effort, mais que le véritable effort, c’est de nous défaire de cette pauvre humanité sans objet, sans objectif, sans finalité pour retrouver le port de Dieu.  " Mon Seigneur, me voici, qu’il me soit fait selon ta Parole."

         Que ce troisième dimanche du temps de Carême soit, pour nous, le désir fou de Dieu.

Au moment où nous allons manduquer cette Eucharistie, descendons dans nos corporéités et demandons la grâce de vivre ce corps comme le temple, la présence de l’Autre Présence, qui nous dit que le meilleur est à venir. Alors, oui, nous serons les fils et les filles de la Lumière de midi.

Amen