Homélie du Père Pierre (Colombani) - dimanche 5 juillet 2015
Rm 6, 3-11
Mc 8, 1-9
En ouvrant cette liturgie, je nous invitais à vivre dans l’espérance. Si l’on peut évoquer ce thème, c’est qu’effectivement les textes de ce jour permettent d’entrer dans cette méditation. Entendons bien, dans cet Evangile de St Marc, que la multiplication des pains, dont il est question, n’est pas simplement un miracle de l’ordre du merveilleux, mais cette multiplication est à entendre en résonnance avec l’épître de Paul aux Romains.
En effet, Paul nous parle de la résurrection du Christ, autrement dit, il revient sur le coeur de la foi : Christ mort et ressuscité.
Paul insiste pour dire que cette mort et résurrection du Christ, c’est la mort au péché, à ce qui est mal visé en nous, à ce qui n’est pas ordonné à la finalité, à ce qui n’est pas juste. Ainsi l’homme ancien qui meurt en nous, c’est cet homme qui est dans la déviance et qui n’est pas véritablement cohérent avec notre proclamation de foi, avec notre quête, avec ce qui est le plus profond en nous.
Ainsi, l’Evangile d’aujourd’hui, dans l’évocation de la multiplication des pains, écoutons le en profondeur avec cette évocation de l’homme ancien mourant pour laisser vivre l’Homme Nouveau.
De façon étonnante, St Marc nous parle de la multiplication des pains, non pas comme les autres synoptiques, avec les douze paniers, mais il nous parle de la multiplication avec les sept pains et les sept poissons. Ainsi, il nous fait entendre que l’Homme Nouveau, le ressuscité, c’est une nouvelle création. Les sept pains et les sept paniers qui se retrouveront là, c’est une évocation de la nouvelle création, le septième jour, les sept jours qu’il aura fallu à Dieu pour porter à son incandescence la création, telle qu’Il l’a voulue. En Christ, nous aboutissons à ce sabbat, à ce septième jour, à cet accomplissement. Oui la multiplication des pains est en marche en nous. Nous sommes dans les manques les plus divers.
J’évoquais en ouvrant cette liturgie ce qui se passe en Grèce. Nous aurions pu parler aussi de ce qui se passe en Irak, en Lybie, en Afghanistan, on aurait pu parler aussi de la grave crise économique qui frappe tant de millions de personnes, de tous ces migrants qui viennent sur les récifs de nos contrées mourir sur des bateaux de fortune. Oui nous aurions pu parler de tout cela. C’est encore mettre à l’extérieur comme si nous regardions le monde qui nous échappe. En disant Seigneur, s’il pouvait y avoir un meilleur. Mais cette réalité vient rejoindre chacun et chacune d’entre nous parce que, au fond de nous, chacune, chacun, nous vivons des difficultés du même ordre, car qui d’entre nous n’est pas touché dans ses familles par la brutalité du chômage, la brutalité d’un monde violent, touché par les difficultés familiales, conjugales ? Tout cela, c’est la réalité du monde que nous portons. Dans ce monde, il nous faut pourtant croire en cette fécondité que le Christ nous a promis, non pas parce que nous serions des doux rêveurs, mais parce que nous savons que tout ce qui se passe n’est que le fruit de cette mauvaise visée, que nous pouvons vivre chacune, chacun singulièrement, collectivement et aussi au niveau cosmique. Par conséquent, croire au Christ, ce n’est pas croire en un Dieu qui ferait de la fumée pour oublier les difficultés du monde, mais c’est croire que la création est en mouvement et que, dans ce mouvement, il faut que nous prenions part pour que nous puissions, comme les disciples, apporter le peu de pains de que avons pour qu’ils deviennent le sept, le peu de poissons que nous avons pour qu’il entre dans ce sept, c’est à dire dans cette création ouverte, recommencée et que, comme le dit St Paul, il n’y a pas de mort, il n’y a que des peschas, passages, des pâques.
Oui, il faut constamment vivre dans cet état transcendant, passer d’un état mortifère à un état de vivant et pour cela être ancré dans le Christ.
Etre ancré dans le Christ, cela veut dire trois choses.
La première, être dans ce cœur à cœur, ce corps à corps, cette fidélité à Jésus, car il n’y a pas le Christ sans le passage par la personne de Jésus.
Dire que je vais au Christ par Jésus, cela veut dire aussi que je vais au Christ par la prière, car le Dieu auquel nous croyons en Jésus Christ est un Dieu personnel, vivant. Ce n’est pas une simple énergie, une idée, une philosophie, mais une personne vivante que je vais retrouver dans cette intimité, au près duquel je vais me déposer et déposer toute cette vie.
Première approche avec le Christ, la personne de Jésus que je peux connaître par les textes sacrés, les évangiles, les épîtres, lettres données par les Pères de l’Eglise, de toute cette méditation qui se fait depuis deux mille ans pour nous faire contempler cette portée de Jésus qui nous dit le Christ. Ainsi par la prière, nous entrons profondément dans le sens de la fécondité qui nous oblige à ne pas désespérer, mais à nous arracher de l’homme ancien pour aller vers cet Homme Nouveau en nous. Si nous y allons en nous, nous irons aussi en l’autre.
Aller au Christ ensuite, c’est aller à l’Eglise. Je ne peux aller au Christ si je ne touche pas à l’Eglise en tant que corps du Christ vivant en ce monde aujourd’hui, manifesté par les uns, les autres, ensemble. Comprenons que chaque fois que nous nous rassemblons, nous ne sommes pas simplement rassemblés comme dans une réunion, une association, un groupement quel qu’en soit la nature, mais rassemblés en Christ, au delà de nos pauvres humanités blessées, tourmentées, parce que nous sommes appelés à nous dépasser de nous mêmes, à sortir de nous mêmes. Dans cette sortie les uns vers les autres, nous touchons à l’être du Christ, ce fameux noùs, souffle de l’Esprit qui passe en Eglise par le fait que, en étant décentrés, nous allons toucher à plus que l’autre, à plus que soi-même et dans cette alliance, cette reliance, dans ce cœur à coeur, dans ce corps à corps, dans cet être-avec que nous réalisons, nous touchons l’être nouveau, l’Homme nouveau que nous devenons ensemble.Pour toucher au Christ, j’ai besoin de Yeshua, de Jésus, et aussi de l’Ecclésia, de l’Eglise, de la communauté, de ce lieu du partage où allons manduquer l’être nouveau. Cet être va se matérialiser dans l’Eucharistie, le sacrement de pardon, dans tout ce que nous vivons dans cet état baptismal.
Enfin, il y a une troisième façon d’approcher le Christ, c’est la contemplation de la création. Dans l’Evangile de ce matin, c’est le pain qui est partagé, ce sont les poissons qui sont partagés, c’est-à-dire à la fois le travail de l’homme et ce qui est offert à l’homme à travers la création.
La création, c’est la contemplation de ce monde qui nous environne, un monde minéral, végétal, animal, subtil aussi, un monde des esprits, angélique, un monde par lequel nous pouvons toucher à une réalité qui fait que ceux qui regardent les étoiles, le ciel, vont constamment se rappeler combien nous devons être humbles, car ce qui paraît comme indépassable, essentiel, est ramené tout à coup à cet infiniment grand devant lequel nous ne pouvons que tomber à genou et nous dire : mais qui suis-je dans cet infiniment grand ? C’est au travers de cette création aussi que le Christ vient nous parler et nous dire : vous avec la responsabilité d’être en communion avec cette dimension infondée que vous ne soupçonnez pas et qui vous entraîne vers un ailleurs, un meilleur, une beauté immense.
Trois façons d’approcher le Christ, trois manières de la vivre.
Puissions nous ainsi entrer dans cette fécondité de l’Evangile qui nous parle de cette nouvelle création avec ses sept pains devenant les sept paniers proposés au monde, un monde signifié au travers des quatre mille personnes, c’est-à-dire la matière pour rappeler que la matière est faite pour être innervée de ce Christ. Alors oui, je vois le dis, au travers de ces crises que nous venons de décliner en quelques mots, nous verrons, nous contemplerons cette merveille, l’Homme Nouveau, cet homme qui peut émerger en chacune, chacun de nous, l’homme nouveau qui peut surtout émerger au travers de cette création avec nous. Soyons au rendez-vous de l’Histoire et pour cela, vivons du Christ, avec le Christ, dans le Christ pour faire naître en nous cet être vivant pour la plus grande gloire du Père. Amen