Paroisse Sainte Marie de Magdala

Homélie du Père Pierre (Colombani) - dimanche 17 mai 2015 


Ac 19, 1-7
PH 2, 6-11
Jn 17, 1-8


Frères et sœurs, amis,


Nous aurions pu nous dire ce matin, dispensons-nous de cette messe, car nous avons célébré jeudi la fête de l’Ascension et bientôt ce sera la fête de Pentecôte. Quel est le sens de cette messe encaissée entre deux grandes célébrations ? Pourtant, ô combien, ce main l’Eglise, par sa liturgie de la Parole, nous fait pénétrer au cœur même du mystère de Dieu, ce qui pourrait nous apparaître très lointain de notre réalité et qui vient illuminer notre condition.


En effet, jeudi dernier, nous avons célébré l’Ascension du Seigneur et nous avons dit que Jésus est à la droite du Père. Des paroles que nous ressassons depuis deux mille ans et qui nous apparaissent toujours comme mystérieuses, pour ne pas dire mystériques.


Que veut dire « Jésus à la droite du Père » ? Nous entrons dans une compréhension qui pourrait nous amener aux portes de la mythologie et nous dire que le christianisme est bien compliqué et qu’il faudrait mieux une religion plus simple qui nous dise que Dieu existe, il vit dans le ciel, les hommes sont sur terre, et cheminons vers lui. 


Or, ce matin nous allons un peu plus loin dans ce mystère de l’Ascension et nous approchons davantage encore de ce mystère de Pentecôte.


La gloire du Fils de l’Homme ! 


Dire que Jésus est auprès du Père et à sa droite, cela signifie qu’Il est entré dans la gloire, qu’il a rejoint cette gloire dans le Père.


Lorsque nous parlons de la gloire, nous sommes toujours dans une approche de puissance, car celui qui est dans la gloire est celui qui réussit, dans l’avoir financier, politique, culturel, celui qui brille, qui est en haut, qui va être le guide, le chef. Etre auréolé de gloire, c’est briller devant les hommes. 


Parlant de la gloire du Fils de l’Homme, nous sommes attentifs à ce qu’il y ait quelque chose qui nous illumine. Nous sommes comme les frères juifs de Jésus qui, à l’époque, l’ont rejeté parce qu’Il ne brillait pas assez. La mort de Jésus sur la croix est impossible pour eux parce qu’ils sont dans une attente de gloire, la gloire d’un Messie, d’une puissance, de celui qui va nous libérer de tous nos enfermements, de toutes nos aliénations, pouvoir enfin être dans une sensation de liberté.
La gloire du Fils vient comme ébranler l’attente des hommes, comme avait été ébranlée l’attente de ce peuple qui, se sachant libéré, au coeur du désert, se dit : mais nous avions des viandes grasses en Egypte ; s’il nous fallait être libérés pour piétiner dans le désert, qu’est ce donc que cette terre promise ? Alors on s’chemine vers le veau d’or : voici la gloire que nous attendons, le veau d’or.


Ainsi, depuis l’Ancien Testament, de façon très pédagogique, l’Eternel Yaweh nous conduit et va révéler le sens de sa gloire en son Fils.


L’épître aux Ephésiens nous fait entrer dans ce mystère. Lui, qui était de condition divine, est devenu l’esclave, non pas celui qui se soumet et subit, mais Lui, qui, dans la plénitude de la vie, ne se présente pas comme tout puissant, mais va montrer que la vie c’est de se recevoir toujours d’un autre. La gloire, ce n’est pas de s’approprier, de posséder, mais d’ouvrir les mains pour recevoir d’un autre.


Cette gloire du Fils de l’Homme est l’antinomie même de ce que Adam a pu rechercher, lui qui visait l’arbre de la connaissance du bien et du mal. Quand Dieu va dire : tu ne dois pas connaître le fruit de l’arbre de la connaissance du bien et du mal, ce n’est pas pour nous mettre dans un obscurantisme, mais pour nous faire découvrir que, chaque fois que nous avons cette tentation, cette prétention de dire le bien et le mal, alors nous avons une fausse idée de la gloire, car il n’y a pas le bien et le mal, mais il y a la vie et pour qu’il y ait vie, il faut qu’il y ait vis à vis. Pour qu’il y ait vie, il faut qu’il y ait rencontre, décentrement, relation. Tout ce que va nous apporter la torah, au travers du commandement de l’Amour, au livre du Deutéronome, au livre du Lévitique « Aime ton Dieu, aime ton prochain », ce ne sont pas des préceptes moraux, mais c’est le cœur même de l’être de la vie. Il n’y a pas vie s’il n’y a pas rencontre, relation, expatriation vers un autre. La gloire du Fils de l’Homme, c’est celui qui va dire : je t’ai contemplé, ö toi, mon Père, la source de tout.


Ainsi Jésus n’est pas là pour se montrer lui-même, mais pour montrer le Père. La gloire du Fils de l’Homme, est vraiment un champ d’amour au Père, tourné vers le Père qui glorifie le Fils parce que ce Père n’est pas autocentré sur Lui, mais Il renvoie sur le Fils. Nous sentons déjà le mouvement trinitaire : le Père qui montre le Fils, le Fils qui oriente vers le Père. Nous sentons réellement que nous nous approchons de la fête de Pentecôte, car le Fils qui montre le Père et le Père qui renvoie au Fils, c’est une communication de cette déité, de cette déification, de ce principe même de la vie, car dire Dieu, ce n’est pas dire une puissance, dire un maître absolu qui pèserait sur nous, mais c’est dire la vie, l’éclosion, l’éternité dans un mouvement qui n’en finit pas de s’amplifier.


Dès lors, ce qu’il nous faut quitter, ce sont toutes nos prétentions à nous auto centrer, dans la connaissance, la culture, la foi, l’avoir, la possession sur toutes ses formes. Quitter la possession, c’est réellement entrer dans le véritable avoir car je n’aurai jamais fini de comprendre à quel point je t’aime mon Seigneur, j’aime mon frère, ma sœur. Tout le discours de l’Eglise sur la fidélité n’est pas un parchemin poussiéreux qui nous dirait que nous sommes enfermés, englués, dans quelque chose de statique, de statique, mais la fidélité, c’est, jour après jour, découvrir l’autrement du possible, du chemin, de Dieu, de l’homme, de la création. Chaque jour devient un jour béni de la création qui fleurit sous nos yeux et qui nous dit : alors aujourd’hui, seras-tu au rendez-vous ? 


La gloire du Fils de l’homme, c’est celui qui contemple le Père et qui nous révèle que le Père nous glorifie en nous contemplant. C’est une merveille qui nous est révélée. 


Ainsi, St Paul, dans les Actes des Apôtres, ne peut pas dire autre chose lorsqu’il va annoncer que nous n’en sommes plus à une religion d’un perfectionnisme, dans une simple conversion, mais que, désormais, nous entrons dans la religion du Souffle, de l’Esprit, de l’habitation, car le Fils glorifie le Père en ce qu’il reconnaît qu’il est habité de son Souffle. Nous allons pouvoir nous-aussi glorifier le Père en nous reconnaissant comme habités de lui par son Souffle. Ce Père nous glorifie en se reconnaissant en chacune, en chacun de nous, comme il s’est reconnu en Jésus par son Esprit.


Dès lors, le Père, le Fils, l’Esprit : c’est cette anthropologie nouvelle qui nous est proposée, c’est-à-dire cet homme nouveau, qui doit advenir en chacune, en chacun de nous. Prier, ce n’est pas se mettre dans une extériorité à Dieu, mais c’est assumer cette venue de l’Esprit qui nous fait regarder l’autre qui nous met en autrement de nous.


Si nous entendions la portée de ces paroles, le monde serait transformé, car il n’y aurait plus de guerre, de peur, de violence, mais il y aurait ce désir fou de rejoindre tout ce qui est autre à travers le frère, la sœur, l’oiseau, l’arbre, tout ce qui signifie la vie.


Avec le pape François, nous avons contemplé St François d’Assise, qui chantait la création. En Orthodoxie, le Patriarche Bartholomé 1er nous invite à un grand mouvement écologique au mois de juin, au travers d’un grand synode qui peut donner peut-être un concile. On sent bien que toutes les Eglises sont dans ce désir de contempler une création qui nous renvoie à cette glorification du Père dans le Fils, du Fils dans le Père. 


Puissions-nous accueillir cet Esprit qui nous sera donné à Pentecôte, mais, dès aujourd’hui, prier à travers Jésus cette gloire du Fils qui s’inscrit au plus profond, au plus secret de notre vocation de baptisé dans l’Esprit. Amen