Paroisse Sainte Marie de Magdala

Homélie du Père Pierre (Colombani) - samedi 13 juillet 2013 


Siracide 14,  1 - 14

Romains  8,  12 - 17

Luc  16,  1 - 9


            Ce passage de l'Évangile de saint Luc a de quoi nous dérouter, car souvent nous avons entendu dans d'autres passages de l'Évangile le Seigneur nous dire : vous ne pouvez pas avoir deux maîtres, vous devez choisir : ou Dieu, ou l'argent. Et cette parabole du Seigneur qui vient comme faire l'éloge, non seulement de l'habileté des enfants de ce monde, mais surtout de mettre en évidence l'argent, l'argent trompeur, comme si il y avait apologie de l'argent trompeur.

            En réalité pour entendre la portée de cet Évangile nous devons nous rappeler d'abord qu'il est de saint Luc et donc qu'il y a une communauté de rencontre intellectuelle et spirituelle entre Saint Luc et Saint-Paul. Or, dans son épître aux Romains, Saint-Paul nous rappelle quelque chose d'essentiel : c'est qu'il nous faut vivre sous l'emprise de l'Esprit Saint. Cet Esprit, mes amis, ce n'est pas un symbole, ce n'est pas une image, cet Esprit c'est une réalité, c'est le souffle vivant, le souffle divin, que nous avons, non pas reçu au jour du baptême, car ce souffle nous habite dès que nous naissons à la vie incarnée, mais qui nous a été manifesté, révélé, réveillé au jour de notre baptême. Dès lors, si nous sommes véritablement sous l'emprise de l'Esprit Saint, lorsque nous entrons dans le monde il n'y a pas la matière mauvaise ou la réalité bonne, mais il y a tout qui devient objet de bonté, de sainteté, car nous allons appréhender le réel dans cette écoute du souffle qui nous anime.

            Ainsi lorsque Jésus va apparemment faire l'apologie de l'argent trompeur, de quoi parle-t-il ?  Il parle d'un monde organisé selon ses lois, ce monde est plein d'habileté pour faire en sorte qu'il y ait une réussite au plan terrestre. Cette réussite, elle est problématique car bien souvent elle ne vise que l'immédiat, l'immédiat de ce monde, l'immédiateté du temps. Se servir de cet argent trompeur dans l'Esprit Saint, cela veut dire que nous allons entrer dans l'intelligence des lois physiques du monde pour conduire à l'ultime temporalité, celle du Christ présent ici et maintenant.  Là alors, il n'y a plus seulement l'économie, la politique, la culture, la profession, mais dans tous ces corps qu'il nous est donné de traverser, nous vivons le rapport au vivant.

            Et en réalité, dans l'Évangile de ce soir, le Seigneur essaye de nous interroger sur notre habileté à être dans le monde, et notre espèce de naïveté lorsque nous abordons les questions spirituelles ; parce que souvent nous sommes dans une sorte de dichotomie entre le temps de l'histoire, et le temps de Dieu, comme s'il y avait une superposition entre les deux. Or le Seigneur nous dit : cette habileté que vous montrez en ce monde, il faut que vous la viviez jusqu'au bout, jusque dans sa finalité. Qu'est-ce qui nous anime ? Et là nous sommes invités à comprendre ce qui est en jeu. Lorsque nous sommes responsables d'entreprises, lorsqu'on est professeur d'une classe, ce qui est en jeu lorsqu'on est un soignant, ce qui est en jeu lorsqu'on est âgé, à la retraite ; ce qui est en jeu dans toute activité, c'est le rapport au vivant. Ce vivant qui nous habite tous et que nous devons mettre en évidence. Dès lors, si nous entrons dans l'intelligence des lois physiques de ce monde nous allons rejoindre le vivant ; encore faut-il être orienté vers lui et ne pas penser que l'intelligence de ce monde se suffit à elle-même, elle n'est qu'un chemin qui conduit à un transcendant, à un au-delà, voir au-delà de ceux qui en parlent.

            L'enjeu, mes amis, est essentiel. Si nous regardons le spectacle de ce monde nous voyons des peuples qui se déchirent parce qu'ils ont en eux un désir de liberté ; ce désir est une bonne chose, la question est de savoir si ce désir de liberté va les conduire à la liberté véritable. Et lorsque ce désir de liberté n'est pas ordonné au divin, eh bien la liberté ne peut être qu'apparence. Mais, me direz-vous, des hommes se battent au nom de Dieu, des hommes se battent au nom des religions, mais la question n'est pas de mettre en valeur un Dieu ou une religion, la question est de savoir comment nous laisser pénétrer par cette présence indicible de l'Esprit Saint qui ouvre tout événement à l'Evénement.

            St Paul disait dans son épître : " Celui qui a été ressuscité d'entre les morts, si c'est son Esprit qui vous anime, vous serez capables, vous aussi, d'entrer dans ce mouvement de résurrection."  Ainsi, le gérant habile est celui qui est capable d'entrer dans l'acte résurrectionnel. Il est invité à ce défi, il risque de perdre la gestion des biens, et pour ne pas tout perdre, il a l'intelligence de trouver un autre chemin de fécondité. Et dans cette habileté il expérimente cet acte résurrectionnel auquel nous sommes invités. Ne pas croire que lorsqu'une situation semble sans issue, lorsque nous avons le sentiment que la vie nous est enlevée ; en vérité nous sortons de la vie, nous sortons du vivant, mais il va falloir trouver l'autre chemin. L'acte résurrectionnel c'est justement d'éplucher l'événement pour y trouver cette présence qui nous met en capacité de vie, quand la mort apparaît comme le seul chemin possible. Non, il y a encore un autre chemin. Ainsi le couple qui vacille, la famille qui se sépare, les amis qui se blessent, les gens qui ne s'entendent plus, vont-ils en rester à cet acte de mort, c'est-à-dire à ce sentiment d'être dans l'échec, ou vont-ils entendre qu'ils peuvent trouver le chemin résurrectionnel.

            Frères et soeurs, l'évangile de ce soir est terrible car il nous pose la question de la foi. Notre foi est-elle simplement là, pour nous faire espérer un avenir hypothétique en Dieu, ou notre foi devient-elle, au contraire, cette espèce d'irruption du divin dans notre histoire, ce qui fait que notre existence en est illuminée et que cette Résurrection qui est le coeur-même de notre foi, devient un principe existentiel où tout est remis en perspective, et que je ne peux pas vivre en pensant que l'on me retire mon héritage ou ma vie; mais que, dans toutes les épreuves que nous traversons, la question qui nous est posée de façon incessante c'est : " Regarde l'évènement, et sais-tu le lire comme le temps où tu es interrogé pour aller " au-delà "

Donner de la perspective, donner de la hauteur, donner de l'avenir à tout ce que nous envisageons. Il est facile de dire : nous nous séparons parce que nous nous aimons plus ; il est facile de dire : nous nous rejetons ; mais le défi de la foi c'est le défi de la vie. Et  lorsqu'on est au Christ dans l'Esprit, alors nous sommes toujours dans cette quête du recommencement ; non pas un recommencement en terme de new age, parlant de réincarnation, mais un recommencement en terme de béreshit, c'est-à-dire de ce principe de vie qui constamment nous est rendu possible, où rien n'est figé, où le Seigneur nous dit :  " L'éternité est ainsi dans tes mains, si tu crois en cette éternité tu deviens co-créateur avec moi ".

            Mes amis, cette parabole de l'argent et du gérant habile, nous rejoint dans ce qui fait notre existentiel le plus quotidien et là nous pouvons dire l'Evangélios,  la Bonne Nouvelle, notre vie est une bonne nouvelle. Il n'y a pas la mort de celui qui a disparu à nos yeux, il n'y a pas l'échec, mais il y a ce mouvement résurrectionnel qui fait que tout est entamé, tout est commencé ici-bas, déjà là est posé le  Royaume de Dieu.  La fonction de l'Eglise c'est de rendre signifiant ce Royaume. Alors ne restons pas à croire que nous devrions développer notre intelligence simplement pour les choses temporelles et d'entrer dans la foi avec une soumission. Mais soyons dans l'obéissance véritable, c'est-à-dire vivre notre intelligence au monde comme la réponse à l'appel de Dieu.  " J'ai eu faim, m'as-tu donné à manger ; j'ai eu soif,, m'as-tu donné à boire ; j'étais un étranger m'as-tu accueilli ?"  et dans tous ces manques, l'intelligence humaine devient la réponse à Dieu, par laquelle nous allons pouvoir accueillir l'Esprit qui nous rend capables de dépasser notre manque, notre finitude, notre limite. Alors oui, nous pourrons contempler Celui qui nous dit :  " Viens, et suis-Moi." 

Amen.