Paroisse Sainte Marie de Magdala

Homélie du Père Pierre (Colombani) - dimanche 30 août 2015 


Qo 3, 1-15
Ga 5, 16-24
Mt 6, 24-34



Frères et sœurs, 


L’Evangile de ce matin est surprenant à entendre, car nous pourrions saisir les paroles du Seigneur comme une sorte d’appel à la déresponsabilisation. Nous serions dédouanés de toute responsabilité puisque Dieu pourvoirait à tout, du moment que nous nous en remettrions à Lui. Prier et tout irait de soi.


Comment donc entendre cet Evangile ?


Si nous mettons les trois textes en résonnance, nous trouvons une toute autre pertinence dans l’Evangile. Nous devons d’abord replacer le livre du Qoéleth en rapport avec le livre de Job. Job a tout perdu, il est la figure emblématique par excellence de celui qui est dépouillé, qui n’a plus rien, et qui, dans ce dénuement extrême, va continuer à crier vers Dieu en disant que, même dans ce dénuement, dans ce non-sens, il doit encore trouver le sens de Dieu.


Dans le livre du Qoéleth, à l’inverse, c’est celui qui est pourvu, qui a tout, qui, dans cette extrême possession, va dire aussi que cela ne sert à rien, ce n’est que vanité des vanités et il faut encore aller chercher au delà pour ne pas perdre le sens. Le dénuement, comme la possession, doivent nous poser la question du sens. Dans ce passage du Livre du Qoéleth, l’idée de la temporalité nous ramène à la grande question : quoique nous fassions, quoique nous vivions, le vivons-nous réellement dans l’optique de ce que nous visons, de ce que nous recherchons, c’est-à-dire le Royaume, ou sommes-nous plus ou moins bercés par des événements et, à ce moment là, la question que pose Jésus est alors essentielle : vous vous souciez de l’inessentiel, du passager, du provisoire, alors que vous oubliez l’essentiel.


Ainsi, dans ce rapport, nous pouvons entendre également l’épître de Paul. Nous ne devons pas le percevoir comme une sorte de morale, qui ferait qu’il y aurait l’Esprit de Dieu d’un côté et l’esprit du monde de l’autre, mais St Paul nous ramène à ceci : l’esprit du monde, c’est l’oubli de ce qui est pour nous, non pas l’essentiel en temps que objectif, mais l’essentiel en tant que ce qui nous anime. Je suis animé de quoi, par quoi ?


St Paul nous dit que nous sommes animés par l’Esprit Saint. Si nous nous laissons réellement animés en conscience par l‘Esprit Saint, alors nous allons revenir à la joie, à l’amour, qui ne seront pas les fruits d’un l’effort moral, mais les fruits d’une réalité. Nous sommes des êtres habités.


Vous pourriez me dire que mon discours est intéressant, mais éterré. Je prendrai un exemple très concret : nous sommes dans une période difficile. Pendant douze ans, nous avons bénéficié d’un lieu. Nous nous sommes laissés porter tranquillement. Aujourd’hui, nous perdons ce local et se pose à nous la question : comment va vivre notre paroisse alors que nous allons perdre ce local ? Allons nous pouvoir trouver un lieu pour continuer à célébrer ? La question pour nous serait de dire : déposons cela dans les mains de Dieu, prions et Dieu pourvoira. En réalité, ce n’est pas du tout cela que nous demande Le Seigneur. Ce qu’Il nous demande c’est de quoi sont habitées nos journées ? Dans tout ce que tu vas engager au niveau de tes projets, de tes responsabilités, vises-tu le Royaume ou es-tu dans l’inessentiel ? 


Ainsi, il n’y a pas le temps du profane et le temps du sacré, mais dans tout ce que nous engageons, nous sommes soit dans le profane, soi dans le sacré, c’est-à-dire que nous retrouvons le sens sacré de l’Histoire. L’Histoire est sainte pas simplement parce que nous appartiendrions à Dieu, tout homme appartient à Dieu, l’Histoire est sainte, quand dans les replis du quotidien, nous faisons, de chaque situation, le temps de la réponse à l’essentiel. 


Pour nous communauté Marie de Magdala, cette année, avant de nous préoccuper de savoir si nous allons donner un loyer pour acheter ou louer un local, nous devrions nous interroger : pourquoi sommes-nous ici ? Qu’est ce qui nous motive ? Qu’est ce qui nous anime ? Qu’est ce qui nous rassemble ? Sommes-nous simplement ici par défaut parce que nous n’avons pas trouvé notre place dans l’Eglise catholique romaine, parce que nous aurions peur du monde ? Quelle est véritablement notre place ? Quel est le sens de notre oui à Dieu en Christ ? Que cherchons nous comme climat particulier en nous rassemblant ici. C’est dans la mesure où nous répondrons à ces questions que nous serons fidèles au Royaume et que, dans cette fidélité, oui nous pourrions prendre notre responsabilité et nous engager pour avoir un lieu pour célébrer, pour méditer, pour avoir des temps de réflexion au travers de séminaires, de conférences. Tout ceci n’est essentiel que si nous retrouvons cette connexion au Royaume. Le Royaume, ce n’est pas un lieu mais un état, une façon d’être. Si nous ne sommes pas préoccupés par nos frères qui se déchirent sur les récifs des frontières européennes, nous ne sommes pas dignes du Royaume ; si nous nous laissons prendre par les fausses bonnes nouvelles de ceux qui nous disent qu’il faut aller vers le racisme, le refus de l’autre, nous ne sommes pas dignes du Royaume de Dieu ; si nous nous opposons les religions les unes aux autres au nom d’une vérité, nous ne sommes pas dignes du Royaume de Dieu.


Etre du Royaume, c’est être dans cette appréhension du Christ qui nous a dit « Aimez-vous comme je vous ai aimés. Ce comme revoie à la réalité de la croix qui n’est pas de porter tous les problèmes du monde, mais de voir dans chaque situation la capacité à passer de la mort à la vie, cette capacité à rebondir, à rejaillir, à mettre de l’altérité par tout, à faire en sorte que les chemins obstrués deviennent des pâques, des passages, des communications. Si réellement c’es cela que nous voulons vivre, alors le Seigneur pourvoira, c’est-à-dire qu’il nous donnera cette intelligence de percevoir où se joue notre responsabilité sociale, économique, politique, culturelle, religieuse.


Mes amis, quitter l’argent pour vivre Dieu, ce n’est pas simplement refuser l’argent pour être dans le religieux, mais c’est quitter l’enfermement d’un monde qui ne vit que sur lui-même pour viser un monde qui retrouve toute sa finalité. Ayons cela à cœur et notre paroisse retrouvera tout son sens, ayons cela à cœur et notre Eglise retrouvera tout son sens. Ce que dit le Pape François, ce que disent les grands responsables de l’Islam, ce que disent les responsables éclairés de par le monde, au plan religieux, philosophique, tout cela est essentiel et nous avons à le mettre en communion sans tomber dans un syncrétisme, un nihilisme, mais en étant capables de dire que la vérité c’est de vivre en harmonie avec l’autre, non pas parce qu’il est là, mais parce que, en tant que autre, il m’apprend que Dieu est toujours au-delà de toute représentation. Si nous vivons ce rapport à l’autre dans cette altérité, alors nous serons dignes du Royaume que le Christ est venu nous révéler et pour lequel Il a donné sa vie.


Méditons, prions, engageons-nous. Que notre paroisse devienne un phare d’espérance en ce monde déboussolé. Amen