Paroisse Sainte Marie de Magdala

Homélie du Père Pierre (Colombani) - 5 mars 2017 - Premier dimanche de Carême


Gn 2, 7-9 ; 3,1-7 // Rm 5,12-19 / / Math 4, 1- 11

Nous entrons ce matin dans le temps de Carême, et pour ce faire, nous avons donc à notre écoute ces textes si connus par nous, mais que nous devons constamment redécouvrir pour ne pas les appréhender de façon trop superficielle.
En effet, le texte de la Genèse, ne croyons pas qu’il s’agisse d’un simple mythe facile à entendre, ou alors d’une histoire qui relèverait vraiment de l’histoire comme si nous étions héritiers d’un premier homme qui se serait appelé Adam et d’une première femme qui se ferait appeler Eve, et qui auraient mal fait et qui seraient porteurs de cette malédiction.


Le texte dont il est question, est fondamental parce qu’il relève de ce que l’on va appeler l’ontologie c’est-à-dire la nature même de ce qui nous habite. En effet nous voyons que ces deux personnages : l’homme et la femme qui vont être tentés ; vont l’être par le fait de « connaître ».Et là alors, tout à coup, nous reviennent en mémoire tout ce que nous avons pu dire ou tout au moins certains ont pu dire que la religion serait toujours porteuse de l’obscurantisme parce qu’il y aurait l’interdiction de connaître. Or, ce n’est pas l’interdiction de la connaissance qui est posée ici, mais ce qui est posé par Dieu : C’est l’interdiction de la prétention à connaître le bien et le mal. Car si nous disons « je connais le bien et le mal », oui nous allons vers un monde mortifère. Un monde qui ne pourra être porté que par la mort car si je dis le bien et le mal, je vais prétendre avoir le bien, et celui qui ne sera pas identique à moi sera le mal et nous entrons dans des relations de violence, de refus de l’autre, de la guerre, et de tout ce qui peut nous séparer des uns des autres, mais aussi nous séparer de nous-mêmes. Oui la connaissance du bien et du mal dans cette prétention est mortifère.


Et ce qui est très intéressant c’est la chute du texte qui nous dit : « Ils connurent, ils étaient nus ». La nudité, autrement dit : au moment où je voudrais accéder à cette prétention « connaître le bien et le mal », je touche à ma finitude parce-que je suis à la fois dans le bien et dans le mal. Je suis dans cette tension incessante, et c’est là que je touche à la nuit, à la finitude, à cette limite que l’on va appeler la nudité ; une nudité qui nous fait tellement peur que nous allons toujours nous couvrir des habits de la religion, des habits de l’idéologie politique, des habits de tous les systèmes de pensée, de toutes les philosophies pour nous rassurer.


Arrive alors cet Evangile de Matthieu qui vient tout rétablir d’une certaine façon. Le tentateur, c’est donc cette petite voix qui résonne en nous, vous savez lorsque nous devons nous mettre en mouvement. Il y a toujours cette petite voix qui nous dit : « Tu n’y arriveras pas,… tu ne seras pas capable » ; autrement dit cette espèce d’écoute qui vient nous mettre dans le doute. Et là, nous devons vous rappeler quelque chose d’essentiel mes amis, nous devons ne pas confondre le questionnement et le doute ; car le questionnement est source d’avancement, c’est-à-dire de dévoilement qui soulève de plus en plus le voile pour saisir la portée du mystère qui est face à moi ; alors que le doute est une espèce d’apriori qui me fait croire à l’avance que je suis pris dans un piège. 

 
Ainsi dans l’Evangile, nous avons d’un côté une suspicion : « Si tu es le fils de Dieu » autrement dit : « tu pourrais ne pas l’être…Tu ne l’es peut-être pas …Tu ne l’est surement pas ! » Et puis de l’autre, la question  qui permet d’entrer dans la compréhension, dans l’accueil profond de l’Eglise. Et là, nous entrons dans ses trois grandes dimensions : Les pierres changées en pains, la possibilité aussi de ne pas être pris par les contingences de la matière, et enfin, la puissance, la gloire.
Trois grandes tentations qui nous font revenir à ce que nous pourrions appeler la connaissance du bien et du mal, qui a fait croire à un moment donné à cet être ontologique qui est en nous : « Oui tu peux, tu peux changer les pierres en pains…oui, tu peux échapper aux lois de la physique, aux lois de la nature…oui, tu peux vivre une gloire, une puissance ». Et là, véritablement, Jésus nous fait entrer dans une autre dimension, car il va nous faire comprendre que nous pourrions transformer toutes les pierres en pains, pour autant la vraie nourriture n’est pas simplement de l’ordre de ce qui va permettre à ce corps mortel de pouvoir vivre et survivre durant 30 ans, 50 ans, 80ans pour les plus vigoureux, comme le dit le psalmiste : Que nous sommes invités à nous nourrir d’une autre nourriture qui va donner du sens à notre existence, du sens à notre histoire, du sens à notre famille, du sens à notre couple, du sens à notre personne. Et là ! Je peux avoir tous les mets les plus extraordinaires, avoir les possessions les plus fantastiques, tout l’argent du monde, si je n’ai pas cette nourriture qui me permets de donner le sens ; tout ceci est d’une fadeur terrible. Qu’est ce qui va me permettre réellement de vivre ?...Et là le Seigneur nous dit : « C’est la Parole de Dieu ». Mais la Parole de Dieu, mes amis, ce n’est pas un vieux parchemin. La Parole de Dieu ce n’est pas une Thora, une Bible, un morceau où seraient inscrits des versets que nous définirions comme la Vérité. La Parole de Dieu, c’est ce souffle qui va passer des uns par les autres, et qui va nous mettre constamment en mouvement vers…vers une création ; car la création n’est pas finie, la création n’est pas accomplie, la création est toujours à accomplir. Et le fait de pouvoir dire l’autrement d’une création en mouvement c’est véritablement entrer dans la Parole de Dieu, dans le Logos, dans le Verbe qui préside à ses mondes. Et quand je vais dire la Parole qui permet à autrui d’être reconnu, à autrui d’être aimé avant même d’être reconnu ; Quand je vais dire la Parole qui rend la dignité, la Parole qui permet de promouvoir la vie, alors la création se met en mouvement, et nous sommes dans la Parole divine, une Parole qui crée la Vie ! C’est cela le Divin ! Ce n’est pas un Dieu barbu dans les nuages, ce n’est pas un processus de morale, ce n’est pas un catalogue d’interdits, mais véritablement la Parole de Dieu. C’est ce qui permet à profusion la Vie, qui fait que tout à coup, les êtres se remettent debout, en chemin, libres !


Il y a ensuite ce deuxième temps où, tu pourras dominer si tu échappes aux contingences de la physique, de la nature ; tu pourras dominer tout cela. Et là, nous entrons alors dans la dimension de la magie ; cette magie qui fait que nous aimerions parfois échapper aux lois du monde pour faire en sorte que nous puissions faire sans l’effort, sans la volonté, sans l’engagement de nous-mêmes. Car effectivement, dès que nous rentrons dans la vie, nous savons que tout résiste ; et cette résistance, nous la vivons toujours comme une malédiction, nous la vivons toujours comme quelque chose qui viendrait brimer notre liberté ; or la liberté, c’est au départ, au contraire, aux prises de ces résistances pour les comprendre comme des invitations au dépassement, au passage, à la péscha , à la Paque, parce que si je dépasse la difficulté dans l’examen que je vais passer, si je dépasse la difficulté dans le couple, qu’il faut constamment recréer, renaître sur le travail de mon engagement. Si véritablement j’entre dans un effort constant, je vais entendre alors que la liberté ce n’est pas de recevoir quelque chose, ce qui serait facile, mais c’est de m’expatrier constamment de moi-même pour aller vers un inconnu. Oui mes amis, c’est cela la liberté. Et donc, nous ne sommes pas condamnés à vivre dans un monde difficile, mais la difficulté vient nous éprouver pour nous prouver à nous-mêmes que nous sommes bons, que nous sommes beaux, que nous sommes grands, que nous sommes capables, tout cela ! Et regardez combien nous sommes fiers de nous-mêmes quand pour un engagement, une volonté, par un effort nous avons su aller au-delà de tout. Et ainsi, nous entendrons alors que tout ce monde du merveilleux qu’on peut nous présenter au travers d’une économie facile, au travers de la publicité, au travers de tous ces mensonges qui nous entourent ici ou là, nous sommes toujours rabougris, enfermés, alors qu'au contraire la vraie liberté, la vraie vie c’est de faire effort pour casser les chaines de l’enfermement, les briser et devenir nouveau, autrement.


Enfin il y a ce troisième moment où le diable demande d’être adoré. Mais en vérité c’est une adoration devant toutes les formes de pouvoir. Or, il n’y a qu’une forme de pouvoir : c’est de s’en remettre au Divin. Mais le Divin ce n’est pas une religion qui va venir, s’asservir. Le Divin, ce n’est pas un être supérieur qui va vous dire : « Ayez peur, et si vous avez peur vous devez répondre à tel ou tel commandement ». Mais le Divin, c’est cette capacité à aimer ; à aimer mon frère. A aimer aujourd’hui, à aimer demain, à aimer constamment. L’amour c’est profondément cette dimension divine qui nous habite et dont nous avons besoin les uns les autres. Alors quand Jésus dit : « Vous devrez non pas adorer le Diable, mais adorer Dieu, cela veut dire ne pas adorer tout ce qui peut nous diviser intérieurement. Car diable, diabolos, cela veut dire « être dans la dualité : le bien et le mal » ; et Dieu, cela veut dire l’unité, le rassemblement, être ressaisi. Dès lors, je ne dois pas être séparé de moi-même par mes peurs. Je ne dois pas être séparé de moi-même par mes illusions. Je dois être « rassemblé », unifié dans ce saisissement. Aime ta vie, aime l’Histoire, aime le chemin. A travers ce chemin, à travers cette histoire, tu comprendras qu’il n’y a pas le bien, qu’il n’y a pas le mal mais qu’il y a la vie au-delà de toute forme de mort. Alors, la lettre de St Paul pourra raisonner à nos oreilles, et nous entendrons raisonner en nous par un seul : « la Vie est revenue ».


Et Christ ; le Christ c’est la personne de Jésus ; mais le Christ à travers la personne de Jésus, c’est cet être ouin en nous-même, celui qui a reçu l’onction, celui qui est appelé a constamment se dégager ; se dégager de toutes les formes d’enfermement. Oui ce Christ qui est appelé en nous, et que nous devons faire murir, surgir au cours de ces quarante jours de Carême qui nous séparent de Pâques.

Alors, traditionnellement pour ce faire, on nous propose la prière, on nous propose le jeune, on nous propose le partage.
La prière c’est donc revenir à la vraie parole telle que je l’ai définie.
Le jeune c’est se défaire de tous ses faux semblants pour ne plus être dans la dualité et le partage, c’est cet amour auquel nous sommes conviés.


Entrons dans le Carême avec le visage du Christ en gloire, ainsi ce temps ne sera pas un temps de mortification mais un temps de préparation à la grande résurrection qui rallie les hommes et les femmes.
Amen