Paroisse Sainte Marie de Magdala

Homélie du Père Pierre (Colombani) - samedi 15 décembre 2013

5 ème dimanche de l'Avent


Is 40, 1-9

Ph 4, 4-7

Jn 1, 19-28


         Cinquième dimanche du temps de l’Avent, nous faisons donc mémoire de ces deux figures: Paulette Marhic, dont le terme de la vie paraît naturel. Bien sûr, on est toujours triste lorsqu’un être cher nous quitte, mais elle avait vécu sa vie, elle l’avait bien vécue, et elle est partie rejoindre celui qu’elle appelait son Père.

         En revanche, l’autre figure, celle de Cécile, cela nous meurtrit, cela nous révolte, cela nous met dans ce questionnement, mais pourquoi Seigneur, pourquoi nous donnes-tu un enfant pour nous l’arracher, pourquoi donnes-tu une mère à une enfant et tu lui arraches cette maman, pourquoi Seigneur ? Et dans ce questionnement, nous sommes comme blessés, car la réponse ne vient jamais. Nous restons dans cette incertitude et nous nous interrogeons : qu’est ce que la foi ? Qui est Dieu ? Existe-t-il ? Est-ce possible qu’il permette cela ? Lorsqu’on a accompagné une jeune femme, comme Cécile, dans la souffrance du cancer, dans la déchéance du corps, dans cette misère spirituelle, morale, affective, oui où- est Dieu ?

         Et pourtant, nous sommes là ce matin, avec cette voix, cette voix de Jean le Baptiste, qui résonne de très loin puisqu’elle est en écho avec le prophète Isaïe. Isaïe qui dans le passage que nous avons entendu en première lecture, nous rappelle que nous sommes comme de l’herbe, autrement dit que notre existence qui nous paraît si essentielle, par les projets que nous portons, par les soucis que nous avons, par nos préoccupations les plus multiples de notre existence, elle est un souffle, elle n’est rien, elle est de l’herbe qui va vite se dessécher et qui disparaîtra. Oui, l’auteur biblique a vraiment ramassé cette question que nous portons. Mais alors pourquoi ? Pourquoi la vie ?

         Et dans cette question, le prophète Isaïe répond, il répond : le Seigneur vient. Le Seigneur vient, mon frère, ma sœur sois dans l’espérance. Le Seigneur vient. Et en disant ces mots, nous sommes reliés à Paul, qui, dans son épître aux Phiippiens, nous dit « Voici le Seigneur de la paix » Sois dans la paix, demande ce que tu voudras, mais Seigneur nous avons demandé la vie pour Cécile et elle a disparu, alors pourquoi ? Sois dans la paix ! Et nous arrivons à cet Evangile, cet évangile qui va confronter Jean le Baptiste avec ses contemporains envoyés de Jérusalem, envoyés  des scribes et des pharisiens « Es-tu celui qui doit venir ? » Oui,  Es-tu le Messie ?  je ne le suis pas. Es-tu Elie ?  je ne le suis pas. Je suis la voix qui crie dans le désert. Lorsque nous avons pleuré pour Cécile, nous étions cette voix dans le désert. Le désert, c’est souvent ce que nous voulons éviter, oublier, piétiner, renier, ainsi l’homme depuis des milliers d’années s’est bâti des religions pour nier le désert de son existence, le désert où parfois, il est broyé parce qu’il ne comprend plus, parce qu’il n’en peut plus. Alors, se créant des religions, se créant des divinités, il espère pouvoir échapper à ces temps difficiles, et se donner l’illusion d’un vernis qui lui donnerait sécurité. Or le Dieu auquel nous croyons, n’est en rien une sécurité, il n’est pas celui qui vient nous dire, " il n’y a rien, il n’y a pas de problème "  Au contraire  il nous rejoint  au cœur de ce désert, comme il le fera au cœur de la crèche, comme il le fera sur la croix, il nous rejoint, dans cette blessure de la souffrance, dans la blessure de l’échec, dans la blessure de la mort. Et là, au cœur de ce désert, il nous dit la paix, shalom. La paix, c’est-à-dire, sois certain que ce chemin difficile, caillouteux par lequel tu passes, n’est pas le terme, sois certain que ce désert, par lequel tu sembles désespérer, n’est pas le terme, sois certain que ce désert, au contraire, est inhérent à ton expérience pour que tu perdes tes illusions et que tu ailles à l’essentiel. Et que l’essentiel  n’est pas de réussir une vie apparente, dans le matériel, dans l’affectif, dans le moral, mais que la réussite d’une vie, c’est d’avoir répondu à un appel, l’appel de la vie.

         Cécile a répondu à l’appel de la vie. Elle a été une femme vivante, dans son travail d’infirmière, elle a accueilli, elle a accompagné d’autres personnes en souffrance. Cécile a répondu à l’appel de la vie  en ayant sa fille Luna, et comme elle, nous aussi, nous osons répondre à l’appel de la vie. Et dans cette réponse à l’appel de la vie, alors nous devenons des vivants et nous touchons à l’essentiel qui n’est pas simplement une réussite extérieure, mais qui est le fait de vivre, de devenir des vivants et la vie n’est pas tant parce que j’aurai donné la vie à un enfant, la vie n’est pas tant parce que j’aurai reconnu un père, une mère, un frère, une sœur, un ami, un voisin ; mais la vie est : par ce que j’ai ressenti, par ce que j’ai recherché, par ce que j’ai espéré. Et au travers de cela nous sentons que notre existence si frêle, si fragile, prenant l’apparence de la corporéité est d’une solidité inouïe dans ce qu’elle nous fait toucher à la vibration de l’amour, à la vibration de l’émotion, à la vibration de l’intensité de la pensée qui nous fait aller au-delà de nos limites.

         Ainsi, cette voix qui crie dans le désert, c’est cette voix qui vient crier au cœur même de ces questionnements qui nous semblent sans réponse. Et en réalité la réponse, vient d’elle-même quand nous osons porter la question.

         Mes frères, mes sœurs, Dieu n’est pas une abstraction,  Dieu n’est pas un principe,  Dieu n’est pas une idée,  Dieu n’est pas un opium,  Dieu n’est pas une sécurité.  Dieu est cette puissance de vie, qui nous met toujours en mouvement et qui, depuis des milliers d’années, permet à des hommes, à des femmes, à des générations de se lever et d’être dans cette espérance : espérance qui qualifie le temps de l’Avent,  espérance qui nous fait regarder vers l’étoile de Bethléem,  espérance qui nous fait attendre au cœur de la crèche, au cœur de ce qui apparaît comme dramatique, la puissance de la vie.  Un enfant vient.  Autrement dit, un avenir, un devenir, un au-delà. C’est dans cet au-delà que nous confessons notre sœur Cécile ce matin, c’est dans cet au-delà aussi que repose désormais Paulette. Vivons cette espérance, vivons cette communion et sentons que la foi, c’est cette présence à ce monde-ci et au monde de l’autre côté. Vivons cette présence, vivons cette communion et sentons à quel point nous sommes en relation les uns avec les autres, car il n’y a pas de mort, il y a seulement une transformation  de corporéité. Alors, oui, nous saurons vivre de cette espérance et, debout, nous pourrons dire à l’humanité : n’aie pas peur, la paix soit avec nous.

Amen.