Paroisse Sainte Marie de Magdala

Homélie du Père Pierre ( Colombani ), dimanche 20 janvier 2013 

Recteur de la paroisse


Osée 2,  16 - 25

Romains 12,  6 - 16

Jean 2,  1 - 11


                  Après cette période de fêtes, nous entrons dans le " temps ordinaire. " Ce temps ordinaire c'est le temps du pèlerinage terrestre, c'est le temps de l'Eglise, c'est notre temps.

         Dans la lecture du prophète Osée on entend cette expression : " Ils seront mon peuple, je serai leur Dieu." Se présentant comme tel, le Seigneur se met en opposition au Dieu Baal. Le Dieu Baal de l'Ancien Testament représente toutes ces  divinités que l'homme s'est toujours forgées ; le Dieu Baal est ce Dieu tellement humain, que nous nous le présentons comme l'expression de ce qui devrait être pour nous une sorte de toute-puissance. Et chaque fois que nous avons porté, en tant qu'hommes des divinités, nous nous sommes laissés écraser, nous avons subi, parce que nous nous étions mis sous le joug d'une divinité qui se présentait à nous comme inaccessible, et comme prétendant pouvoir répondre à tout, et nous hommes, nous devenions esclave de cette divinité. Aujourd'hui on ne parle plus de Baal, mais regardez, l'humanité est toujours esclave de nouvelles divinités au travers de tout le matérialisme, au travers du roi "argent", au travers de toutes ces violences diverses qui signifient cette quête de pouvoir de l'homme, et à travers cela donc toujours cette expression d'un divin, d'une toute-puissance qui pourrait régler les choses.

         Que veut donc dire le Seigneur lorsqu'il dit : " je serai leur Dieu, ils seront mon peuple "? Et là, nous entendons l'Évangile de Saint-Jean revenir sur une question anthropologique essentielle. Au moment de ce temps de fête, de ce mariage, on vient à manquer de vin, derrière cette symbolique du vin  c'est toute la question du manque qui est posée ; oui, anthropologiquement nous sommes créés avec un manque. La Bible dirait que depuis le livre de la genèse, cette sortie de l'homme de l'Éden fait que nous sommes en exil. Et parce que exilés nous sommes toujours manquants, manquant d'un essentiel qui va se décliner dans une diversité de manques. Oui, parce que, marqués par la finitude, marqués par la limite entre une naissance et une mort, marqués par tout ce que nous ne pouvons pas pleinement réaliser, nous sommes des êtres manquants. C'est parce qu'il y a ce manque que nous avons toujours cherché à créer, à inventer des divinités, et lorsque ces divinités ont disparu dans leur expression symbolique eh bien on les a remplacées par du pouvoir, par du matériel.

         Comment pouvons-nous répondre à ce manque ?  Le Seigneur, disant : " je serai leur Dieu, ils seront mon peuple." nous rejoint dans cette question essentielle, existentielle, qui nous traverse toutes et tous : manque d'argent, manque de reconnaissance, manque de travail, manque de santé, manque d'amour, manque de culture, de spiritualité, tous nous sommes des êtres manquants. Et nous nous souvenons que le commencement de la prédication de Jésus pour présenter le Royaume du Père, débute dans les Béatitudes par le mot, heureux : heureux les pauvres de coeur, le royaume des cieux est à eux. Autrement dit le Seigneur affirme non seulement la réalité du manque, mais il dit que si nous reconnaissons ce manque nous devenons des bienheureux, capables d'entrer dans le Royaume.

         Ainsi, nous pouvons mieux saisir la portée de l'épître de Paul aux Romains. Paul dans son épître présente ce qu'est le sens de l'Eglise. Il nous dit que les uns ont un charisme pour parler, d'autres pour pardonner, d'autres pour soigner, ou tel ou tel autre charisme. Chacun de ces charismes vient contrecarrer le manque que nous pouvons tous avoir, et finalement, frères et soeurs, regardez comme cela est beau : tous nos manques que nous vivons comme des drames, que nous vivons souvent en révolte dans un reproche à Dieu ; tous ces manques, dans la perspective de Paul, deviennent des espaces où Dieu nous appelle. Car si je ne sais pas chanter je vais accueillir le charisme de mon frère ou de ma soeur qui sait chanter ; si je ne sais pas pétrir le pain je vais accueillir le charisme de celui qui nous prépare le pain, et finalement, chaque charisme correspondant à un manque, nous devenons, ensemble, coresponsables les uns des autres, nous devenons coresponsables de cette humanité en marche. Et ce qu'il y a de grand en nous ne nous appartient pas, mais cela nous a été donné par Dieu, pour que nous puissions le faire fructifier et le partager à d'autres. Ainsi toute la Bible, parce qu'elle est bâtie sur " aime ton Dieu et aime ton prochain,"  nous ne pouvons pas l'entendre dans une simple démarche de générosité, comme s'il s'agissait simplement de nous aimer ; mais cet amour est une pratique qui va nous appeler à répondre non seulement à la question du manque, mais, par là, à entrer dans le sens profond de la fécondité en Dieu. Une création, qui, dans son inaccompli, devient le temps de l'alliance. Dieu, en se retirant, a permis un monde  manquant, mais ce monde manquant, frères et soeurs, ce n'est pas un monde marqué uniquement par le péché, nous ne pouvons pas seulement dire que le monde est mauvais parce qu'il manque, qu'il manque de vin, qu'il manque de vie. Mais ce monde manquant c'est la marque même de l'amour de Dieu, qui se retirant nous dit : " maintenant cet inaccompli de la création vous permet d'entrer en création avec moi." Moi le créateur, je suis détenteur de la vie, et cette vie, je vous permets de la faire advenir, de faire en sorte que ce monde soit en expansion, et tout à coup nous sentons que la fonction de l'Eglise n'est pas de porter une vérité contre une autre vérité, une vérité religieuse ou philosophique contre  d'autres vérités, non ! La fonction de l'Eglise, son identité, son ethos, c'est de permettre au monde d'entendre que ce manque existentiel, ce manque anthropologique, devient la cicatrice par laquelle nous pouvons entrer en alliance. Comme Jacob, qui va se mettre à boiter et devenir Israël, eh bien dans toutes nos difficultés, dans toutes nos blessures, nous portons cette marque qui fait que nous pouvons devenir appelants de l'autre, et en accueillant l'autre dans ce qu'il peut nous apporter dans son charisme, nous devenons l'expression du divin, l'image divine, nous devenons : images de Dieu, ressemblant à Dieu. La fonction de l'Eglise, c'est de faire éclore cet anthropos véritable, l'homme nouveau comme dira Saint Paul.

         Voici ce qui nous est confié dans ce temps, dit ordinaire : faire vivre l'Eglise comme la préfiguration de ce monde en Dieu, faire vivre l'Eglise en étant chacun porteur de son charisme pour l'offrir au frère et à la soeur, mais cela n'est possible que si nous le reconnaissons. Aussi pour accueillir ce don, pour accueillir ce charisme dont nous sommes tous pourvus, encore faut-il prier, prier le Saint Esprit, prier le Souffle divin, prier pour que nos yeux s'ouvrent et que nous ayons cette humilité de dire : oui, ça je sais le faire, ça je peux le faire. Car le véritable orgueil c'est de toujours dire : moi je ne sais pas, moi je ne peux pas, et se retirer en laissant la place à d'autres, car, faisant cela, nous ne répondons pas alors à l'appel  primordial de Dieu disant à Adam : " Adam où es-tu ? "  Où sommes-nous ?

         Prions le Saint Esprit pour oser répondre et porter notre charisme comme ce don que nous devons faire au monde, et là, véritablement nous deviendrons des croyants, non pas des croyants dans une pratique cultuelle, mais des croyants en Dieu, croyant en la vie, permettant que la vie puisse éclore, et que, dans les champs dévastés de nos violences, de nos blessures, nous plantions l'arbre de l'Éden, l'arbre de vie, l'arbre que rien ne pourra altérer.

         Temps ordinaire, temps extraordinaire, temps de l'Eglise. Frères et soeurs, regardons notre Dieu et soyons son peuple qui répond dans la joie de l'Esprit.            

Amen