Paroisse Sainte Marie de Magdala

Homélie du Père Pierre (Colombani) 


VEILLEE PASCALE - samedi 19 avril 2014


Genèse  1,  1 - 2, 2

Exode  14, 15 - 16, 1a

Isaïe  55, 1 - 11

Ezéchiel  36, 16 - 17a.18 - 28

Romains  6,  36 - 11

Matthieu  28,  1 - 10

 

 

Mes amis, en cette longue méditation que nous venons de vivre au travers de ces textes qui nous font revisiter toute la Sainte Ecriture, puissions-nous trouver ce fil conducteur, si pédagogique, par lequel le Seigneur nous fait passer pour arriver à la compréhension de ce grand mystère : " Christ est ressuscité ! "

Car si l’Eglise, par sa liturgie, nous fait répéter comme un mantra " Christ est ressuscité !" et qu’en plus en orthodoxie nous disons : "en vérité il est ressuscité ! " c’est que nous n’avons pas ce chemin possible de la compréhension, car nous sommes devant l’irrationnel, nous sommes devant le mystère, l’inconnaissable, devant ce qui nous dépasse. Toutes les explications du monde n’arrivent pas à desceller la pierre de notre peur pour nous faire pénétrer en vérité, en totalité, en plénitude, dans ce mystère si puissant : " Christ est ressuscité."

Nous avons alors entendu le livre de la Genèse, qui nous contait la création du monde. Nos pères dans la foi n’étaient pas stupides et ils savaient très bien que le monde n’a pas été fait en sept jours, c’est une symbolique, mais à travers cette évocation poétique, l’auteur inspiré nous fait entendre que le monde s’est fait dans une évolution. Oui, le monde s’est fait peu à peu, mais ce monde, qui s’est fait peu à peu, est l’œuvre d’un créateur, il est l’œuvre d’un Dieu, il est l’œuvre du Tout Autre, et par conséquent, si nous croyons en Dieu, nous devons croire en la vie, et si nous ne pouvons pas en rester à la question de la mort, que la mort est une insulte à Dieu et que Dieu n’a jamais voulu la mort. Non seulement, Dieu n’a pas voulu la mort, mais la mort n’est pas dans le plan de Dieu, ce n’est pas une punition, imposée par Dieu à l’homme, quand bien même cet homme, par désobéissance, par non écoute, par amnésie, se met à oublier le principe de la vie et tombe dans les affres de la mort. Mais Dieu vient nous rechercher et vient nous relever.

Ainsi ce rapport entre la Genèse et la résurrection du Christ, c’est de dire que cette création qui aboutit au shabbat, le septième jour, c’est le " Christ est ressuscité." Quand bien même ce monde est marqué par la finitude et marqué par la mort, il aboutira à ce corps de résurrection, à ce corps résurrectionnel, qui écrase toutes les formes de mort, qui pulvérise toutes les pierres roulées devant les tombeaux.

Nous avons alors entendu la deuxième lecture tirée du livre de l’Exode, ce passage de la Mer Rouge à pied sec. Je sais, nous avons peut-être été choqués d’entendre chanter, " Il a tué les premiers nés d’Egypte car éternel est son amour."  Comment peut-il être dans l’amour s’il tue le premier-né d’Egypte ? Mais là aussi, comprenons le symbole : le premier-né d’Egypte, ce n’est pas l’Egyptien, mon frère que j’aime, que je connais en ce monde, hier, aujourd’hui, demain, mais le premier-né d’Egypte, du point de vue du pharaon, c’est cet homme orgueilleux qui est en moi, et qui doit être pulvérisé et mourir s’il veut passer par la Mer Rouge, autrement dit si il veut passer d’un monde ténébreux, d’un monde adamique, d’un monde où nous croyons que la vérité se joue dans la possession, dans la matérialité, pour aller vers l’exultation, la terre promise ; cette terre que cherche désespérément ce peuple en errance pendant quarante ans alors qu’il a été libéré des chaînes de l’esclavage de l’Egypte pour aller vers cette terre où coulera le lait et le miel ; oui ce peuple en errance, ce peuple qui cherche. Et, en réalité, lorsqu’il recevra la Torah sur le Mont Sinaï et lorsqu’il pénétrera dans  cette terre de Canaan, ce ne sont, en vérité, que des images, des préfigurations, des symboles de ce que sera le Christ, l’Homme en Dieu, Dieu en l’Homme.  Quand l’homme trouve Dieu en lui, il est dans la terre promise, quand l’homme trouve l’infinitude en lui, il est de la terre promise, quand il saisit que la vérité, c’est l ‘amour, il est de la terre promise. Et voici que ce lien entre le livre de l’Exode et la Résurrection du Christ, nous fait comprendre à quel point ce peuple qui traversait la Mer Rouge à pied sec, c’est le peuple des croyants qui traverse le tombeau de Pâques, c’est le peuple des croyants qui passe de la mort à la vie et cette pierre roulée du tombeau de Pâques, ce sont toutes les mers qu’il nous faut traverser, toutes les épreuves que nous traversons pour aller vers la liberté.

Cette liberté a été évoquée alors dans la troisième lecture par le prophète Isaïe. Oui, Isaïe nous a parlé de la liberté, c’est-à-dire de ce lien entre Dieu et le peuple, de cette communion qui fait que nous sommes libres, non pas parce que nous pourrions choisir entre ceci ou cela, mais libres parce que, en Dieu, nous trouvons cette capacité de nous dépasser. Le prophète Isaïe va constamment rappeler à ce peuple, qui a oublié son Dieu, que la liberté est un dépassement de soi, et le dépassement, c’est l’autre nom qui nous dit le kérygme pascal, mort-résurrection, il faut mourir pour ressusciter. Non pas que nous fassions l’apologie de la mort, la mort est une inhérence de notre condition ; mais mourir à l’ego, à ce qui nous fait peur, à ce qui nous emprisonne, à tout ce qui nous perd, ici et maintenant, en ce monde pour aller de l’avant, l'altérité absolue, connaître l’autrement, l’autrement dans la relation du couple, l’autrement dans la relation de la famille, l’autrement dans la relation de l’amitié, l’autrement, ce que je ne soupçonnais pas, ce que je ne voyais pas, l’autre côté qui fait que la fidélité, dont nous parle tant l’Eglise, n’est pas une fidélité de morale, mais c’est ce processus de vie qui fait que l’autrement me montre un chemin toujours fécond, autrement, ailleurs, possible, tout est ouvert, le merveilleux est pour demain. La liberté en Dieu est donc le choix de la vie contre la mort.

Ce que rappelait ainsi ce livre d’Isaïe va rejaillir dans la quatrième lecture, où le prophète Ezéchiel nous dit cette chose extraordinaire : par Dieu, je vous donnerai un cœur nouveau, vos cœurs de pierre seront transformés en cœurs de chair. Cette pierre roulée devant le tombeau de Pâques, c’est vraiment cette pierre qui obstrue notre cœur quand nous ne savons pas aimer. Mais l’amour, ce n’est pas un sentiment, ce n’est pas une émotion, ce n’est pas une énergie, c’est le don de soi. Comment puis-je me donner si je suis replié sur moi ? Ainsi le cœur de pierre est transformé en cœur de chair. La pierre roulée du tombeau de Pâques, c’est la vie qui passe. La vie, c’est le don. Je me donne. Comment y aurait-il la vie si un homme et une femme ne se donnaient pas pour que l’enfant jaillisse ? Le don, le don de la vie.  Dans l’économie, dans la politique, dans la culture, dans toutes nos relations, il y a ce côté que nous connaissons et nous disons souvent que tout va mal, il y a le pouvoir, l’égoïsme, mais il y a aussi l’autre côté. Cet autre côté, est que même si nous balbutions, même si nous nous trompons, même si nous nous trahissons, il y a ce désir fou de nous donner les uns aux autres. Ce sentiment, quand bien même nous ne le reconnaissons pas comme religieux, quand bien même nous pensons qu’il est naturel, c’est la puissance de Dieu. C’est Dieu qui nous propulse, c’est Dieu qui nous anime.

Oui, le cœur de pierre transformé en cœur de chair, c’est savoir se donner, " si tu savais le don de Dieu,"comme dira Jésus à la Samaritaine dans l’évangile de Jean.

Nous arrivons alors à l’épître aux Romains où Paul nous ramène au baptême que nous avons reçu. Si nous sommes capables de comprendre qu’en Dieu nous sommes promis à la vie, à la création nouvelle, qu’il nous faut passer de l’état d’esclavage à l’état de liberté, si nous comprenons qu’en Dieu, nous sommes faits pour une liberté qui nous permettra de transformer nos cœurs de pierre en cœurs de chair, alors oui, véritablement, nous pouvons vivre le baptême. Le baptême, ce n’est pas simplement dire, je suis chrétien, comme d’autres seraient d’une autre religion. Le baptême, c’est la participation à Celui qui a vaincu la mort et qui est ressuscité. Lorsque nous avons été plongés dans les eaux baptismales, petit bébé, plus grand, ou adulte, peu importe, nous avons été plongés avec cette humanité qui tremble, qui ne sait pas, qui cherche et qui doute, et nous nous sommes relevés avec cette capacité de dire : " me voici Seigneur. Qu’il me soit fait selon ta Parole," comme le dira Marie à l’écoute de l’Ange Gabriel.

St Paul, dans son épître nous fait donc part de cette promesse : par le baptême, nous sommes déjà ressuscités. Oui, depuis deux mille ans, l’Eglise nous dit que nous sommes pécheurs, et que nous portons en nous un péché, mais n’oublions pas que, depuis deux mille ans, nous portons aussi en nous ce corps de résurrection, le corps du Ressuscité et que, par le baptême, il s’agit pour nous de déployer la Résurrection.

Et là, c’est ce que nous dit le tombeau de Pâques dans l’Evangile de Jean : Il est ressuscité.

Ce n’est pas un film à la manière américaine, avec Hollywood en perspective. On ne nous montre pas des choses extraordinaires, il n’y a pas d’événements magnifiques qui nous feraient cligner des yeux, parce que, lorsque les apôtres arrivent, ils voient un tombeau ouvert, un tombeau vide, et face à cette ouverture, face à ce vide, ils croient.

Ainsi, le véritable miracle de la résurrection, c’est que les apôtres ont compris, à postériori, tout ce que le Seigneur leur avait dit lorsqu’Il disait : " il faut que je monte à Jérusalem, il faut que je sois condamné par les grands prêtres, que je souffre, que je meure pour ressusciter." Mais eux entendaient cela comme on peut entendre ce soir mon homélie, en disant : j’espère qu’il aura bientôt fini parce que nous sommes fatigués. Ils étaient là sur le chemin, fatigués, et entendaient Jésus qui leur parlait et ils ne comprenaient pas. Lorsque tout à coup ils sont face à ce tombeau vide, ouvert, là ils comprennent.

La foi, mes amis, ce n’est pas une évidence, mais c’est une recherche. Si nous voulons trouver le Ressuscité, il faut passer d’abord par le vide, par ce qui est ouvert en nous. Ce qui est ouvert, ce sont toutes nos blessures qui saignent parce qu’on n’a pas trouvé l’amour, parce qu’on a perdu un être cher, parce qu‘on voit un être cher qui souffre. Toutes nos blessures, tout ce qui est ouvert en nous, ce sont ces êtres qui n’ont plus de travail et sont au chômage, qui se sentent inutiles socialement. Toutes ces blessures, ces ouvertures, ce sont tous ceux qui n’en peuvent plus de ce monde fou. Et ce vide, ce sont ces moments où nous titubons et nous nous disons : mais si Dieu existait, il serait là, il empêcherait tout cela.

Lorsqu’on a accepté d’être dans ce vide, en regardant toutes ces ouvertures, c’est là que nous pouvons entendre la Parole qui va nous faire passer vers la nouvelle création, la parole qui va nous faire passer par la véritable Mer Rouge ouverte, la parole qui va nous rendre libres, la parole qui va transformer notre corps mortel en corps immortel, la parole qui nous dit : " avec moi aujourd’hui, tu es ressuscité."

Alors mes amis, la Résurrection, c’est chaque fois que nous sommes capables de donner une perspective d’avenir, là où nous sommes, dans ce que nous vivons. Mais la Résurrection, c’est aussi cette promesse qu’un jour nous mourrons, mais nous ressusciterons, car la Résurrection n’est pas qu’un symbole, n’est pas qu’une image, mais c’est une vérité profonde.  Notre vie existentielle, en cette incarnation, est essentielle pour aller vers cet au-delà, où nous perdrons cette apparence physique, où nous n’aurons plus que l’âme, l’esprit, mais cette âme et cet esprit, qui vont continuer à travailler, un jour retrouveront le corps glorieux dont parlait St Paul. Et là, à la fin des temps, tous nous ressusciterons, telle est notre foi, c’est ce que nous croyons depuis la résurrection de Jésus, Il nous a ouvert, notre humanité, notre condition.

Alors, en chantant : Christ est ressuscité ! entendons que nous chantons déjà notre propre résurrection.

Christ est ressuscité, en vérité Il est ressuscité !        Amen.