Paroisse Sainte Marie de Magdala

Homélie du Père Pierre (Colombani) - dimanche 2 juin 2013 


Isaïe 25,  6 - 9

Jean 3,  13 - 18

14,  16 - 24

            

      Mes amis, ce matin, la liturgie au travers de ces textes, nous invite à la contemplation du mystère du banquet eucharistique que nous célébrons chaque dimanche. Plutôt que d'approcher l'Évangile que nous venons d'entendre dans une écoute de culpabilité, il me semble que nous devrions porter notre intérêt sur ces trois précisions qui sont données au travers des invités à la noces. Ils étaient nombreux à être invités, mais il y a une précision sur trois d'entre eux : il y a celui qui va acheter un champ, celui qui doit aller essayer ses boeufs, enfin celui qui va se marier. Au travers de ces trois précisions nous retrouvons là ce qui fait l'organisation même de toute notre vie.

         D'abord il y a celui qui va acheter le champ. La possession d'un champ c'est la possession de la terre, et là nous est donné un enseignement,  " crois-tu que la terre t'appartienne ?  Crois-tu que tu sois le maître de la terre ? Comment peux-tu t'excuser pour acheter le champ quand le Seigneur t'appelle ?  Ainsi, plutôt que de mettre en parallèle ou en opposition le moment où nous devrions venir goûter au Seigneur au travers de l'eucharistie et le moment où nous pourrions faire tel ou tel achat, la question la plus fondamentale est que lorsque nous sommes dans nos possessions diverses avons-nous conscience que nous sommes dépositaires d'un don qui nous vient de Dieu, et que par conséquent tout ce que nous possédons nous devons le vivre comme un état provisoire, un état où nous sommes dépositaires de quelque chose de transitoire et que par conséquent chaque fois que nous possédons, (et c'est une bonne chose de posséder, à condition que nous l'ordonnions au Tout Autre, à Celui qui ne cesse de nous appeler. ) Et que par conséquent la possession ne soit pas un enfermement, mais au contraire une bénédiction, une louange, une action de grâce, une eucharistie. Car effectivement nous ne pouvons pas célébrer l'Eucharistie le dimanche si cette Eucharistie n'est pas célébrée à chaque moment où nous jouissons des biens, car eucharistier cela veut dire  " rendre grâce." Savons nous rendre grâce pour tout ce que nous avons ? Si nous rendons grâce pour tout ce que le Seigneur nous donne alors oui, l'action de grâce dans la célébration de la messe prendra toute sa dimension, toute sa portée, toute sa pertinence. Cela nous renvoie d'abord à cette question : sommes-nous prêts à rendre grâce pour ce que nous avons, et prenons nous le temps de rendre grâce ? Prenons-nous le temps de prier, le temps de nous retourner pour dire : Seigneur merci !   Merci d'abord pour la vie, car cette vie qui est en moi, elle vient de Toi.  Merci pour les êtres qui sont autour de moi, Tu me les a donnés. Merci pour tout ce qui me permet d'exister, cela vient de Toi, cela retourne à Toi. Et là, dans cette action de grâce nous pouvons nous orienter vers l'Eucharistie.           

         Ensuite vient le deuxième invité, celui qui va essayer ses boeufs. Les boeufs, à l'époque, servaient à retourner la terre. Non seulement il y a la possession, mais ensuite il y a un travail de la terre, c'est-à-dire tout un projet qui met en jeu cette inventivité de l'homme, cette intelligence ; elle est importante cette intelligence, là non plus il n'y a pas d'opposition à faire, de dualité, il n'y a pas Dieu et l'homme, l'homme et Dieu, il y a un Tout Autre qui appelle et qui permet à cet homme, marqué par la limite, par la finitude, de pouvoir décoller du mieux qu'il peut à condition, là aussi de ne pas nous prendre pour des dieux, mais d'être toujours orientés vers un Tout Autre qui nous appelle à un dépassement, et en même temps à une retenue. Dépasse toi dans l'acquit d'un possible toujours, et en même temps tout possible est ordonné à cette fin dernière, la rencontre avec Celui qui s'est donné à toi.  Dès lors tout projet, toute recherche est importante, tout travail est important, à condition que tout cela soit vécu dans un lien, dans une communion, dans une alliance.  Et nous sommes là aussi renvoyés à ce qu'est l'Eucharistie,  car l'Eucharistie, mes amis, ce n'est pas un simple culte où nous serions là à prier, mais l'Eucharistie c'est ce moment de l'alliance scellée entre Dieu et l'homme, entre l'homme et le Tout Autre, Celui que l'on ne peut pas nommer, qui est tellement au-delà de toutes représentations, qu'il se donne dans cette matérialité du pain et du vin pour dire que tout peut être déifié et que nos projets n'ont de sens que s'ils sont ordonnés à Lui.

         Enfin, il y a ce troisième qui, contrairement aux deux premiers, ne s'excuse même pas, car les deux premiers ont demandé pardon pour ne pas se rendre au rendez-vous, le troisième même pas, car il va se marier. Là alors nous entrons dans quelque chose d'ahurissant, souvent nous pensons que la relation est suffisante entre nous, à plus forte raison s'il s'agit de la relation conjugale, la relation d'amour ; a fortiori si nous entrons dans le champ de la sexualité, Dieu, le divin n'a plus rien à voir, la spiritualité non plus, il n'y a plus à s'excuser nous sommes dans une plénitude en soi, ensuite éventuellement on verra pour une rencontre avec le spirituel, mais dans une périphérie très lointaine. Or peut-il y avoir une relation, peut-il y avoir une rencontre, qu'elle soit : familiale, conjugale, amicale, sans que nous percevions que le rapport au divin est un ordre de relation ; car si nous parlons de Dieu dans un absolu cela n'a aucun sens, soyons athée de tous ces Dieux là. Mais le véritable Dieu, le Tout Autre, l'Autrement, celui que Jésus appelait : " Abba, Père " il est de l'ordre de la relation, de la rencontre, de la communion. Puis-je rencontrer mon Seigneur si je ne rencontre pas mon frère ?  Et penser que je pourrais vivre des relations en dehors du Seigneur, là véritablement je suis dans la folie, dans l'absurdité du monde. Ainsi, par cette parabole, le Seigneur nous ressaisit dans trois espaces de notre existence et il nous pose la question : " es-tu prêt à rendre grâce : pour ce que tu possèdes, pour ton inventivité, pour toutes tes relations, pour toutes tes rencontres ? " Si oui alors l'eucharistie prend tout son sens. Car, le dimanche lorsque nous allons célébrer ce que nous appelons la divine liturgie, la messe ; comme le dit le prophète Isaïe, un voile va se relever, un voile va être enlevé, nous entrons dans le processus du mystère, le dévoilement, voir autrement, plus loin, plus haut. J'ai besoin de cette rencontre avec mon Seigneur pour comprendre à quel point la terre me permet d'aller au ciel, à quel point mes boeufs qui me permettent de labourer la terre, c'est toute cette intelligence, cette inventivité pour saisir, autrement encore, la révélation divine, pour comprendre que la relation à autrui c'est la relation au Tout Autre. Ainsi, dévoilé dans ce sens là, je peux entendre l'épître de saint Jean qui nous rappelle que le Seigneur s'est donné à nous par amour. Et que cette invitation n'est pas une invitation d'obligation pour un rite religieux, mais c'est l'invitation de l'amour, dans un baiser divin, dans une danse spirituelle, c'est l'invitation pour nous faire entrer dans la conscience d'une déification qui est en chemin en nous et que nous devons constamment travailler, en prendre soin, pour devenir ces êtres spirituels dont parlait Saint-Paul.

         Bien sûr que nous avons raison de prier pour nos défunts : pour Odile la soeur d'Anne-Marie, pour Mathieu le fils de nos amis, pour le père Johann. Mais comprenons au travers de ces ruptures, de ces séparations brutales qui nous font mal, qu'aujourd'hui c'est le temps de Dieu, c'est le temps où nous sommes convoqués, c'est le temps où il nous faut rendre grâce ; pas demain, pas un jour, pas dans un avenir hypothétique. Le temps de Dieu c'est maintenant, c'est le temps de l'Eucharistie, et si nous le vivons ainsi ce temps, chaque dimanche deviendra pour nous le rendez-vous de l'Amour, le rendez-vous que nous ne raterons pas car nous saurons reconnaître Celui qui vient nous insuffler dans chaque situation de nos existences.  

         Alors nous serons le ciel sur la terre, alors nous serons dans la béatitude de l'amour, alors, comme le Seigneur, nous saurons ce que veut dire :  " Donner sa vie pour autrui. "   

Amen.