Paroisse Sainte Marie de Magdala

Homélie du Père Pierre (Colombani) - dimanche 25 octobre 2015 


30°dimanche du temps ordinaire


Ph 1, 3 à 11
Mt 22, 15 à 21



En Orthodoxie, nous parlons souvent du thème de la déification. Ce thème peut nous ramener à un grand Concile, celui de Chalcédoine qui, en 451, a défini la double nature du Christ, en disant que Jésus le Christ était vrai Homme et vrai Dieu. Cette définition peut apparaître comme théorique et éterrée, très distante par rapport à la réalité de notre vie de tous les jours, où il faut aller travailler, s’occuper de la maison, être en bonne santé, avoir la préoccupation de ses enfants, de ses petits-enfants. On prie Dieu et on entend cette prédication « Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu » et on se dit qu’il y a un décalage culturel avec la réalité de ce que nous vivons.


Or, cette expression de Jésus nous ramène à la double nature du Christ, vrai Dieu, vrai Homme, et par conséquent, pour nous, à cette grande thématique de la déification.


Dans la première lecture, nous avons entendu cette expression dans le livre de Baruch, « Regarde vers l’Orient ». Autrement dit, comment notre vie est-elle ordonnée, ordonnée à une finalité, ordonnée à Dieu, ce qui veut dire ordonnée à quelqu’un qui nous appelle et qui va donner du sens à notre existence ?


Pour entendre et comprendre cette orientation, St Paul, dans son Epître aux Philippiens, nous invite au discernement. Le travail du discernement, c’est de pouvoir percevoir, au travers de toutes les situations, de tous les événements que nous traversons, ce que Dieu nous demande, ce à quoi Il nous appelle et comment lui répondre.


Nous arrivons ainsi à l’Evangile de Matthieu « Rendez à César ce qui est à César et à Dieu, ce qui est à Dieu ». Ce texte essentiel a souvent été entendu comme une manière de nous dire qu’il y a le monde de Dieu et le monde de l’homme, car César nous ramène à la réalité politique, non pas au sens partisan mais la politique au sens polis, la vie de la cité. Il y aurait la vie de la cité des hommes et la vie de la cité céleste.


Or, quand Jésus dit : « Rendez à César ce qui est à César et à Dieu, ce qui est à Dieu », Il veut nous faire entendre la notion de la déification dans le sens de la coparticipation, de la responsabilité qui incombe à l’homme dans son autonomie pour répondre à l’appel du Vivant, pour répondre à Dieu. Il n’y a pas un Dieu qui serait dans les nuages et qui aurait son petit monde à Lui, dans lequel Il attendrait le jour où nous mourrions, et le monde de l’homme qui essaierait de se dépatouiller comme il pourrait ; le monde de Dieu et le monde de l’homme sont réunis depuis le matin de Pâques. Le voile du temple déchiré, la pierre roulée au matin de Pâques, sont une symbolique pour signifier qu’il y a une respiration entre le monde céleste et le monde terrestre. Désormais, la Résurrection est en marche, le Royaume de Dieu est commencé, la rencontre avec le Divin est dès ici-bas.


Rendez à César ce qui est à César et à Dieu, ce qui est à Dieu », nous devons l’entendre comme la capacité à exercer notre vie d’homme et de femme, à répondre à un appel en prenant et réalisant notre vocation humaine.


Dieu ne fera jamais à notre place. Nous devons pleinement réaliser notre vocation humaine, ce qui veut dire qu’au travers de tous les corps que nous traversons, singulier, personnel, conjugal, familial, professionnel, de voisinage, dans la cité, au niveau national, international, c’est là que se joue notre présence au Vivant, à cette histoire qui se fait ici. Dans les replis de cette histoire, il n’y a de cesse d’avoir des signes qui nous sont donnés, parce que nous ne sommes pas seuls, mais accompagnés, parce qu’il y a ce Souffle Divin qui ne cesse de venir animer toutes les natures, minérale, végétale, animal, célestes, cosmique. Rendre à Dieu ce qui est à Dieu, c’est entrer dans cette louange, rendre grâce pour tout ce qui nous est donné. Rendre à César ce qui est à César, c’est cette responsabilité, à partir de ce qui nous été confié, de faire émerger, éclore la création. Cette création aspire à son achèvement, nous dira St Paul dans une de ses lettres. Ainsi, cette création, au travers de son inaccomplissement, ne cesse de nous dire « J’ai faim, j’ai soif, je suis une étranger, j’ai besoin d’être accueilli, d’être nourri ». Là, se joue notre rendez-vous dans la dimension de César. Plus nous répondrons à cela, plus nous serons en capacité à rendre grâce au Seigneur pour tout ce qu’Il nous donne et de tourner vers Dieu et donner à Dieu ce qui est à Dieu.
Comprenons qu’au jour de notre baptême, le prêtre a dit sur nous que, désormais, être au Christ, c’est être prêtre, prophète et roi. Le prêtre est celui qui relie le ciel et la terre, la terre et le ciel. Le péché serait de dire ou l’homme ou Dieu. Or le Christ nous dit que l’homme n’est pas homme sans Dieu et Dieu a fait l’homme à son image. Ainsi nous ne devons pas séparer ce que Dieu a uni, ce que nous dit le Livre de la Genèse. Mais dire ce que Dieu a uni, l’homme ne doit pas le séparer, c’est dire que tout est uni, tout est communion, tout est raison de rencontre. Ainsi, cessons de dire ou Dieu ou l’homme et entendons que l’homme se réalise en Dieu et que Dieu a besoin de l’homme. C’est une grande histoire d’amour. Plus nous allons répondre à nos responsabilités humaines et plus nous deviendrons imago dei, image de Dieu. La déification, c’est donc cette imprégnation de toutes les matières humaines dans l’imbibition céleste. Il faut être des êtres insufflés, habités.


Mais comment être tournés vers l’Orient ? Comment discerner ? Comment savoir ce que l’on va rendre ou à César ou à Dieu et à César en Dieu et à Dieu en César ?


Pour cela, nous avons d’abord la prière. La prière est une manière de faire respirer l’homme en Dieu, Dieu en l’homme, de faire en sorte qu’il y ait rencontre constante entre les deux dimensions.


Puis, il y a la méditation des textes sacrés. Dans l’Ecriture, nous ne cessons d’entendre au travers des paraboles, des symboliques, combien notre vie est une image qui nous rappelle une présence, qui est au-delà de toute compréhension et qu’il nous faut encore et encore décrypter.


Nous avons ensuite l’Eucharistie. Au travers de ce pain et de ce vin, Corps et Sang du Christ, c’est toute l’histoire de César qui devient expression de Dieu, un Dieu qui va nous renvoyer à un César régénéré.


Nous avons aussi la confession, où nous proclamons notre foi et voyons en quoi telle ou telle orientation de notre vie n’est pas juste, n’est pas ordonnée. 


Nous avons à notre disposition des outils. Comment les utilisons-nous ? 


A Rome, vient de se terminer un synode, qui a été vécu à propos de la famille. La famille, ce n’est pas simplement le père, la mère et les enfants, mais c’est la cité. Vivre la cité, c’est vivre la communion, la relation et entendre que, dans toutes les relations que nous vivons, il y a plus que l’autre, plus que moi, il y a ce lien qui nous fait devenir être vivant, être divin, être créateur, être indicible de l’incréé.


Entendons cela et cessons d’être comme les Pharisiens ou les Hérodiens qui voulaient toujours capturer Jésus au détour d’une question pour le piéger dans la dualité du monde, car nous sommes des êtres duals chaque fois que nous regardons l’autre comme l’ennemi, le monde comme un ennemi. Nous devons aimer ce monde, aimer l’autre, le faire ami et par là entrer dans cette respiration de Celui qui dit « Viens, suis moi ». 


Ainsi, la déification ne sera pas simplement une expression dogmatique, Christ vrai Dieu, vrai Homme, mais cela deviendra notre chemin existentiel où nous, hommes, nous devenons des dieux en Christ. Amen