Paroisse Sainte Marie de Magdala

Homélie du Père Pierre (Colombani), dimanche 3 mars 2013

Recteur de la Paroisse


Isaïe 58,  1 - 8

Colossiens 2,  6 - 10

Jean 2, 35 - 54


            Ainsi, mes amis, en ce troisième dimanche du temps de Carême, l'Eglise nous invite à méditer sur ce passage de l'Évangile de saint  Jean, texte compliqué au premier abord, nous parlant de Jésus : " pain de vie ". Il me semble qu'il y a dans ce passage un aspect qu'il nous faut retenir pour plus de compréhension de l'Évangile, et des trois textes que nous venons d'entendre.

            C'est ce moment où les juifs récriminent entre eux et disent : mais, ce Jésus n'est-il pas le fils de Joseph ?  Et là, nous comprenons quel est le sens du débat. C'est-à-dire que nous sommes toujours dans cette appréhension d'un Dieu qui est comme décollé de la réalité de notre vie : il y a Dieu, il y a tout ce qui peut apparaître comme essentiel, et ensuite il y a l'homme. Au fond, lorsque ces juifs, qui nous rassemblent, disent : n'est-il pas le fils de Joseph ? ils renvoient la divinité hors du propos  humain, hors du champ de l'histoire et ils restent tout à fait aplatis dans des questions que l'on dit mondaines.

            C'est ainsi que nous pouvons entendre ce que veut dire saint Paul dans son épître aux Colossiens : " ne faites pas de la philosophie. " La philosophie, c'est une compréhension du monde dans un rapport au plan de l'histoire, au plan de l'anthropologie, au plan d'un champ social, mais qui n'a pas de lien avec la dimension mystique. Or, lorsque saint Paul nous dit : " ne faites pas seulement de la philosophie " et qu'il nous rappelle que " Jésus le Christ est la tête de tout ce qui existe ", il veut nous faire comprendre que nos débats, nos recherches n'ont de sens que si ce sont des chemins qui nous font aboutir à la question essentielle : qu'est-ce que  l'homme ?      Et de la même manière il nous faut entendre ce propos du prophète Isaïe, lorsqu'il dit : " il ne sert à rien de jeûner si réellement cela ne transforme pas votre vie." Ainsi la condition mystique n'est pas quelque chose qui est renvoyé hors du champ de l'histoire, mais la dimension mystique est ce qui va expliquer l'histoire, transformer l'histoire.

            À partir de cette précision donnée sur ces trois textes, avec cette entrée de lecture : " mais n'est-il pas le fils de Joseph " ? Nous entendons mieux du coup la proposition de Jésus, lorsqu'il va dire : " je suis le pain de vie." C'est-à-dire qu'il nous propose comme compréhension le sens de ce carême que nous vivons en ce moment : être en Christ, c'est être dans un acte qui bouleverse complètement notre manière d'être ; il ne suffit pas de dire : " je crois ", pour être en Dieu ; il ne suffit pas d'être dans une proclamation dite kérygmatique, c'est-à-dire que nous allons professer la foi de l'Eglise, mais il faut que nous soyons dans une pratique christique. Il faut que le Christ ne soit pas pour nous une philosophie, une manière de se situer socialement, mais que le Christ soit vraiment ce lien profond, ce lien existentiel, ce lien charnel, lorsque je rejoins mon frère, ma soeur, je rejoins le Christ. " Il est le vivant, il est celui qui anime tout ".

             Dès lors cette réflexion de Jésus : " je suis le pain de vie," nous fait entrer dans le sens profond de la sacramentalité. Mes amis, l'Eglise nous parle souvent des sacrements, nous entendons par sacrements : le baptême, la chrismation-confirmation, l'eucharistie, le sacrement de pardon, le sacrement des malades, le sacrement de l'ordre, mais qu'est-ce que veut dire ce mot sacrement ?  Eh bien justement ce mot sacrement, c'est de comprendre que le rapport au divin passe totalement par lui-même, que je ne peux pas faire l'expérience de Dieu si je ne fais pas l'expérience de l'homme, et que par conséquent dans notre expérience humaine il s'agit de rendre manifeste, de rendre visible, ce qui est de l'ordre de l'invisible. Il s'agit de mettre dans le "manifester" ce qui est de l'ordre de l'indicible, et que notre rapport au Christ ne soit pas de l'ordre de l'incantatoire, de l'éthéré, mais que cela devienne palpable, physique, matérialisé .  Ainsi, lorsque je suis chrétien, que j'appartiens au Christ, cela transforme le climat de ma vie : le climat de mon couple, de ma famille, de mes relations, de mes pensées. Le Christ n'est pas une option parmi tant d'autres, mais Il est une personne dont la corporéité se joue dans tout ce qui fait le matériel de notre vie, au quotidien, ici, là, ailleurs, je t'attends.

            Le jeûne que nous pratiquons n'est donc pas, du coup, une privation, un effort, mais c'est, de constamment, nous recentrer et de nous poser cette question : dans tout ce que je vis, comment vais-je, réellement Seigneur, te rejoindre ? Car si je mets ma foi d'un côté et ma vie de l'autre, alors je redeviens schizophrène comme l'étaient ces juifs : " Jésus est le fils de Joseph, il n'est pas le fils de Dieu." Nous ramenons alors le monde à une compréhension philosophique, nous sommes dans de bons sentiments, à dire le bien, le mal ; le permis, l'interdit ; le juste, le faux. Mais cela n'est pas ordonné à l'essentiel. Or pour nous chrétiens, l'essentiel c'est vraiment le Christ qui est Celui qui, en tant que vivant, met tout dans ce rapport en Dieu. Comment suis-je vivant dans ce lien que je vis avec toi dans cette existence conjugale ; comment suis-je vivant dans ce lien que je vis avec mes enfants, avec les enfants de ma famille recomposée, avec mes petits-enfants ; avec mon collègue de travail ; avec celui qui ne pense pas comme moi. C'est cela l'enjeu du Carême, mes amis, et nous ne pouvons pas être seulement dans un rapport de confrontation à l'autre, mais bien dans un rapport de questionnement. Que me dis-tu mon frère qui me fait rejoindre la question essentielle de Dieu ?

            Oui, en ces temps troublés où nous voyons monter tous les intégrismes, qu'ils soient dans l'islam, dans le christianisme, dans le judaïsme, dans toutes les traditions ; intégrismes que l'on peut retrouver aussi dans des traditions areligieuses, il nous faut revenir à cet essentiel. Si notre foi n'est que maquillage, alors vaine est notre foi ! Il faut qu'elle creuse notre manière d'être, qu'elle creuse notre cri à Dieu, qu'elle creuse notre intériorité, notre intimité avec Celui qui ne cesse de nous appeler. Si nous vivons ainsi nous serons alors dans la sacramentalité, nous serons dans le pain de vie, car tout ce que nous entreprendrons deviendra ce moment où je mange la vie, non pas l'existence, mais la vie en Dieu ; où je bois le sang, c'est-à-dire où je bois ce qui est vital ; et là alors je redeviens celui qui se déploie comme l'être appelé à la vie par le divin. Tel est le sens du sacrement, tel est le sens de ce Carême, tel est le sens de ce que nous appréhendons d'être, cette Pâque que nous espérons et qui arrivera dans près d'un mois. Puissions-nous au cours de cette semaine, mes amis, prier de la sorte, et demander au Seigneur d'être constamment dans ce recentrement, ainsi nous ne serons plus dans une culpabilité de savoir si nous faisons bien ou mal, mais nous serons dans l'acte à Dieu quand nous sommes dans l'acte à l'homme, car Dieu se vit par l'homme, mais l'homme n'est rien s'il n'est pas en Dieu.       

Amen