Paroisse Sainte Marie de Magdala

Homélie du Père Pierre (Colombani) - dimanche 16 février 2014 


Jérémie 2,  1 - 7

Colossiens 3,  5 - 15

Matthieu 20,  1 - 16

 


         Cet appel de " l’ouvrier de la onzième heure " est un texte que nous avons tellement travaillé, labouré, traversé, et médité. Je pense que, si aujourd’hui, il était imprimé dans nos journaux, ce serait une levée de boucliers dans un certain contexte social où on crierait à l’injustice. Mais nous ne devons pas entendre ce texte comme une proposition de réflexions en terme de droit social ou de justice et de morale sociale. Ce texte est vraiment l’évocation de cet appel de Dieu fait à l’homme. Et dans cet appel, certains ont répondu avant d’autres.

         Bien sûr au temps de St Paul, lorsqu’il va écrire son épître aux Colossiens en résonnance avec cet Evangile, ceux qui ont répondu avant, bien sûr, c’est le peuple élu, le peuple juif, et dans cette comparaison St Paul, dans son épître aux Colossiens dira : il n’y a plus ni juif, ni grec, il n’y a plus ni esclave, ni homme libre, mais il y a l’Homme en Christ.  Dès lors, lorsque St Paul entend ce texte, il dit : désormais nous ne pouvons pas  dire, il y a les premiers qui ont tellement travaillé depuis l’annonce faite à Moïse, et qui portent cette attente messianique ; et puis il y a les nouveaux venus, qui seraient un petit peu les benjamins et qui devraient se mettre en arrière. St Paul, en entendant ce texte d’Evangile, dit désormais : toutes et tous nous sommes convoqués dans notre histoire, dans la présence aujourd’hui, de ce Dieu qui nous interroge.

         Mais nous aujourd’hui, au delà de St Paul, comment entendre cet Evangile ?

 Il y a bien sûr en nous toute une partie qui a été traversée par cet appel de Dieu, parce que nous avons reçu le baptême, petit enfant, parce qu'on nous a transmis, peut-être au travers d’une catéchèse, de témoins rencontrés,  la foi.  Et cette foi, nous la portons depuis longtemps et parfois nous nous disons : je sais, je crois, j’ai compris, j’ai entendu, et il y a une forme d’habitude qui s’installe, nous sommes comme des poussiéreux de la foi, nous sommes des habitués, nous sommes un peu affadis, il n’y a plus cette joie de la première rencontre. Or, l’Evangile, en nous proposant cette méditation sur celui qui est appelé à la première heure, puis à la troisième, puis à la sixième, la neuvième, puis à la onzième, non seulement nous fait comprendre que, tout au long de notre existence, nous sommes des êtres appelés, mais que la réponse que nous allons donner aujourd’hui, n’est pas la réponse d’hier et ne sera pas la réponde de demain. C’est la réponse d’ici-bas, maintenant.

         Dès lors, nous comprenons que l’éternité en Dieu n’est pas une espèce de temporalité où nous allons nous ennuyer, mais lorsque nous réfléchissons à l’au-delà, nous sommes un peu effrayés en nous disant : " mais quand nous serons dans le face à face, que ferons-nous pendant toute une éternité,"  parce que nous sommes toujours dans une vision limitative entre un commencement  et une fin. Mais l’éternité, cela veut dire aujourd’hui.  Aujourd’hui, comment suis-je prêt à te répondre pleinement ?

         Et cette pièce d’argent que va recevoir chacun des invités, c’est vraiment cette récompense, mais non pas comme des enfants qui attendraient une récompense, mais cette plénitude, une plénitude qui nous est proposée maintenant, au-delà de ce que nous avons été et au-delà de ce que nous sommes. Et là, une espèce d’espérance peut se déployer en nous, car quoi que nous ayons pu faire hier, aujourd’hui nous sommes convoqués, et dans cette convocation, il y a tout le pardon de Dieu, il y a toute la miséricorde du Seigneur qui nous appelle quoi que nous ayons pu rater, quoi que nous ayons pu manquer, il nous appelle et dans cet appel, dans cette convocation, nous pouvons surgir nouveaux, que nous ayons été esclave ou homme libre, que nous ayons été  juif ou païen, autrement dit quelle que soit notre histoire aujourd’hui, aujourd’hui est le jour de Dieu. Aujourd’hui est le jour de Dieu dans ce que j’entreprends. Il y a vraiment cette nouveauté qui devient possible. Ainsi nous avons une approche de l’histoire que nous ne pouvons plus envisager toujours dans une espèce  de comparaison entre le mal qui a pu être fait et ce qu’il faudrait réparer. Nous ne sommes pas dans une réparation, mais dans une convocation pleine d’amour.

         Bien sûr, St Paul, qui est un homme comme nous, au-delà de sa foi, nous met encore dans cette espèce de dualité, et il va parler : vous qui étiez des êtres à commettre l’impureté, vous êtes devenus des hommes justes, des spirituels, bien sûr, mais l’Evangile va encore plus loin que le propos de St Paul. Il va beaucoup plus loin parce que, désormais, nous saisissons à quel point nous ne pouvons pas réparer quelque chose, mais nous pouvons accueillir Celui qui toujours nous replace dans la création, aujourd’hui.

         En cela, si nous réfléchissons avec nos frères bouddhistes, nous ne pouvons pas être dans l’évocation de l’idée d’une réincarnation où nous devrions réparer des vies antérieures qui auraient été ratées, nous ne sommes pas dans des réparations, nous n’avons pas de compte à rendre, nous n’avons qu’à répondre à un appel, et cet appel nous remet dans l’état premier tel que Dieu l’a voulu depuis toujours, c’est-à-dire l’homme libre, l’homme debout, l’homme vivant, une liberté, une ascension, une vie à la mesure de cette confiance qu’on peut placer en lui, non pas comme dans une sorte d’infantilisme, mais une confiance, c’est-à- dire un partage, une communication, une altérité, savoir que l’on s'en remet à un Autre et que cet Autre vient constamment nous remettre en capacité d’aller au-delà, plus loin ; qu’aucune limite ne peut barrer notre chemin.

         Oui, mes amis, cet Evangile est porteur d’une espérance extraordinaire. En une époque où nous sommes tellement désespérés, en une époque où nous sommes toujours dans le souvenir, mais s’il y a un souvenir, c’est celui dont parle le prophète Jérémie, car lorsqu’il va se souvenir de ce Dieu qui a libéré ce peuple,  ce n’est pas pour dire : rappelle-toi et regarde le mal que tu as fait, mais se souvenir veut dire que cette libération continue d’irradier en nous et qu’aujourd’hui  se joue encore la sortie de l’Egypte pour nous. Aujourd’hui se joue encore la Résurrection du matin de Pâques, aujourd’hui se joue encore la fête de la Pentecôte, la venue de l’Esprit Saint. Aujourd’hui.

         Et si telle est notre foi, quoi que nous traversions de difficile, dans les champs économiques, financiers, sociaux, culturels, conjugaux, familiaux, nous allons être présents au rendez-vous  de l’Histoire en étant des hommes et des femmes qui entendent l’appel de celui qui nous dit aujourd’hui : toi tu es le premier, ne sois pas le dernier, c’est-à-dire celui qui retourne toujours en arrière, mais sois le premier dans le sens présent à la présence de ce jour premier, car ce jour te replace dans les premiers jours du béréchit, ce jour te replace dans le premier jour de l'enarqué, aujourd’hui tout recommence, tout surgit, car il n’y a pas eu de commencement, mais le commencement, c’est ce moment où tu me dis : " me voici Seigneur !"

Puissions-nous, au cours de cette semaine, méditer cette parole, appeler en nous, l’Esprit Saint, pour, comme la Vierge Marie, dire : " me voici Seigneur," et que ce, "me voici", nous place dans le jour  de Dieu, au jour le jour, dans le quotidien de nos histoires.      Amen