Homélie du Père Pierre (Colombani) - dimanche 25 janvier 2015
Célébration œcuménique au Temple de Sanary
Jn 4, 1-42
Frères et sœurs, je suis particulièrement ému de parler devant vous ce matin. Tout d’abord parce que le Pasteur Ottilie, qui nous a invitée avec la communauté, va nous quitter. On a partagé beaucoup ensemble depuis plusieurs années, une amitié qui s’est liée et qui montre que la semaine de l’Unité pour nous n’est pas un moment dans l’année, mais c’est vraiment un compagnonnage. Ottilie nous voulons te dire à travers moi que, où que tu ailles, tu resteras pour nous une amie.
Une émotion aussi car comment ne pas oublier qu’il y a quinze jours, notre pays a été traversé par la tuerie, par cette intolérance qui prend des couleurs religieuses, mais qui ne sont qu’un prétexte et qu’en réalité, signifient la folie de l’homme. Tuerie qui ne peut pas cacher non plus qu’au Nigéria, deux mille personnes ont été aussi massacrées. Il ne peut y avoir un homme occidental pour lequel on se lèverait en masse et un homme africain que l’on oublierait. Oui, c’est ce même homme qui, au Nigéria comme à Paris, a été assassiné.
Ce matin, nous sommes heureux, malgré ces blessures que nous portons au cœur, de nous rassembler. Mais si nous nous rassemblons pour vivre l’unité, ce n’est pas simplement parce que nous sommes tolérants, parce que nous aurions de bons sentiments, qu’il faudrait que nous vivions l’unité que Jésus nous a demandée, et notamment dans le quatrième Evangile, celui de St Jean. C’est beaucoup plus profond. SI nous revenons réellement à l’Evangile de Jean, qui nous est proposé comme méditation ce matin, que se passe-til ?
Jésus rencontre une femme et demande de l’eau à cette femme, une samaritaine.
Nous avons là deux représentations, qui nous ramènent au sens profond de ce que doit vivre le chrétien au niveau de l’unité.
Jésus s’adresse à une femme : nous sommes dans un milieu patriarcal, où l’homme est toujours premier et la femme placée à la périphérie. Le fait que Jésus aille vers cette femme, nous oblige à comprendre que dans le plan divin, nous sommes ramenés au chapitre premier du Livre de la Genèse, au verset 27 : « Dieu créa l’homme à son image, à l’image de Dieu, il le créa, femme et homme, il les créa ». Autrement dit, la réalité profonde de l’humain, c’est cette rencontre entre l’homme et la femme, entre ces deux altérités Il n’y a pas celui qui serait premier et celui qui serait dernier, ils sont ensemble et Jésus vient briser l’interdit et va vers cette femme pour la rejoindre dans ce qu’elle est.
Le deuxième versant qui vient nous questionner : il va vers la samaritaine : il va vers l’hérétique. St Jean le rappelle dans son évangile : les Juifs et Samaritains étaient dans un débat théologique profond et les samaritains étaient considérés comme des hérétiques, car ils adoraient sur le mont Garisim, au moment où les Juifs adoraient sur le mont Sion. Il y avait une controverse, qui était dans la vérité ? Nous retrouvons toujours cette question des religions, des Eglises : qui a la Vérité ? Qu’est ce que la Vérité ?
Au nom de la vérité, on va exclure, rejeter, tuer. Rappelons-nous la St Barthélémy, la vérité qui fait que celui qui dérange va être rejeté.
Jésus vient signifier cette vérité en allant vers la femme, celle qui n’a pas de place, vers la samaritaine, vers l’hérétique.
Il lui pose cette question essentielle : donne moi à boire.
En commençant cette célébration, avec le pasteur Ottile, nous avons versé de l’eau dans une même jarre, avec deux cruches, pour nous rappeler que cette eau, à laquelle nous venons nous désaltérer, est la même pour nous tous, c’est la vie. La vie est donnée largement par Dieu, à nous tous, que nous soyons homme ou femme, samaritain ou juif, dans le bon dogme ou des hérétiques, des croyants ou des incroyants, il donne la vie à tous. Il faut que nous accueillions cette vie unique, mais alors, que veut faire Jésus en demandant cette eau ?
Le pasteur Ottilie m’a demandé de vous expliquer le sens de l’encens, et je vous l’ai défini au travers de ce mot de déification. Dans l’Evangile de ce matin, nous pouvons vivre une rencontre, entre un homme et une femme différents, une rencontre entre deux croyants différents. La véritable déification est de comprendre que la différence n’est pas un accident, n’est pas ce que l’homme aurait créer, elle a été voulue par Dieu ; si vous êtes protestants, si nous sommes orthodoxes, s’il y a des frères catholiques romains, si nous sommes différents dans nos grandes Eglises chrétiennes, Dieu l’a voulu, ce n’est pas un incident de l’histoire. Les hommes l’ont vécu comme un accident de l’histoire, comme un chemin de séparation, mais Dieu a voulu cette différenciation, car, au fur et à mesure que nous vivons la différenciation, nous vivons en réalité l’être de Dieu, l’acte divin. L’acte divin, c’est une expansion de conscience qui fait que je ne peux pas m’approprier à moi seul la vérité, qu’en tant que homme, je ne peux pas comprendre la psychologie de la femme, en tant que femme, je ne peux pas comprendre la psychologie de l’homme, et que, nous rassemblant, nous allons éclore l’autrement, le couple et que, derrière cette analogie, nous vivons les différences et nous devons les vivre comme cette vérité qui se déploie et qui nous met toujours en exode.
La Bible, au travers de l’Ancien Testament, est bâtie sur une première révélation, donnée dans le Livre de l’Exode, le sens même de notre vérité, être en exode, aller chercher l’eau dans le désert, je ne suis pas propriétaire de la vérité, mais toujours en mouvement vers un autrement, une altérité. Quand Jésus vient vers la femme, il signifie que nous devons être dans ce surgissement de l’autrement, un autrement qui fait que plus nous allons vivre des différenciations, plus nous allons faire germer la réalité de Dieu. Dieu n’est pas monolithique, même s’il n’y a qu’un seul Dieu. Dieu est celui qui nous met toujours dans le surgissement d’une création en avenir.
Ainsi, si la création est inaccomplie, ce n’est pas l’objet du péché, mais c’est pour nous mettre dans une compréhension qui n’en finit pas de se déployer sous nos yeux. Tout ce qui est inaccompli est un appel.
Dès lors, lorsque j’ai soif, je suis invité à aller chercher à boire. La foi n’est pas une affirmation dogmatique qui enferme, mais une quête, une recherche, c’est aller vers l’ailleurs, l’autrement, le recommencement. Le cœur de notre foi, lorsque nous disons Christ est mort et ressuscité, c’est de comprendre qu’il nous faut mourir à nos certitudes, pour ressusciter dans cet ailleurs, dans cet autrement, dans cette altérité.
Nous ‘avons pas à adorer sur le Mont Garezim, ni sur le mont Sion, il nous faut adorer en esprit et en vérité, c’est-à-dire peu à peu nous défaire de ce qui nous apparaît comme essentiel pour apprendre encore et toujours à mourir pour renaître et renaître encore et la vie est ainsi ouverte.
Dès lors toute différence est le temps de Dieu. Si Dieu est apparu sous la forme de la Trinité, à Membré, c’est pour nous rappeler que le temps de Dieu est le temps de la rencontre, le temps où je vais devoir échanger, où je vais devoir me quitter, te trouver. Toi, mon frère protestant, tu es celui dont j’ai besoin pour vivre cette femme, cette samaritaine, car regardons ce qui s’est passé dans le temps de l’Eglise. La Tradition catholique romaine nous a appris à vivre profondément l’universalité. La tradition orthodoxe nous a dit que cette tradition de l’universalité doit se faire dans une danse de la relation entre le Père, le Fils et le Saint Esprit, la Sainte Trinité. Et le surgissement de la famille protestante qui s’est diversifiée et a dit oui, mais à condition de ne pas trahir la Parole, de revenir à la parole.
Aujourd’hui, tous nous nous disons universels, dans ce mouvement trinitaire, tous nous nous disons de la parole, mais chacun à un moment donné, l’a rappelé et dans cette différenciation, Dieu nous a parlé et nous parle encore et nous dit de rester chacun ce que vous êtes, mais n’oubliez pas l’autre, car dans cette rencontre que vous vivez, vous goutez ce temps de Dieu, qui est le mien, qui n’est pas la chronologie historique entre un commencement et une fin, mais qui est ce surgissement, le cairos, ici et maintenant, je suis parce que tu apprends à mourir pour ressusciter.
Frères et sœurs, la semaine de l’unité n’est pas anecdotique, mais ce n’est pas la tolérance, un moment où nous sommes pieusement à vouloir être ouverts à l’autre, c’est le cœur même de ce que nous devons non seulement croire, mais vivre. C’est cela l’eau vive, l’eau de Dieu, le Christ, car le Christ, s’il s’est révélé en Yeshua, en Jésus, à partir de Jésus, va éclore dans ces temps où nous nous disons je ne suis pas toi, je ne pense pas comme toi, mais ce que tu es me met en question, en chemin, en quête.
Si nous avons ouvert cette célébration par ce chemin, c’est pour entendre qu’être enfant de Dieu, fils de Dieu, visage de Dieu, c’est devenir un chemin, une rencontre, une relation, une ouverture.
Puissions nous vivre la société au travers de l’économie, de la politique, de la culture, comme un temps d’ouverture et de chemin. Puissions-nous vivre nos couples, nos familles, nos existences comme un chemin, et là nous entendrons que le Christ, s’il s’est révélé en Jésus, devient chacune, chacun de nous, ce monde en mouvement, en mutation.
Implorons le Saint Esprit, appelons le et demandons lui de devenir cette altérité, cet autrement, alors nous serons réellement des ressuscités, des vivants, ayant bu l’eau avec laquelle nous n’aurons plus jamais soif. Amen