Homélie du Père Pierre (Colombani), dimanche 10 mars 2013
Recteur de la Paroisse
Zaccharie 8, 19 - 23
1 Jean, 1 - 5
Jean 7, 14 - 30
Faut-il le rappeler ? Depuis le mois de septembre nous sommes dans cette thématique : quelle est notre foi en Jésus-Christ ? Et dans le cadre de nos conférences du mercredi soir nous avons commenté ce thème : comment passer de la croyance à la foi ?
C'est exactement ce que nous propose la liturgie de la Parole de ce matin : ne pas être dans la simple croyance, mais entrer véritablement dans la foi. Alors, me direz-vous, quel est le critère de discernement qui permettrait de constater que nous ne sommes pas simplement dans la croyance, mais que nous sommes dans la foi ?
Eh bien ce matin, la liturgie de la Parole nous répond et nous donne ce thème merveilleux : " la réjouissance. " Savoir se réjouir, savoir être dans la joie. Les pharisiens dont il est question dans l'Évangile de Jean, quelque part, au-delà d'eux mêmes, sont tellement ressemblants à ce que nous sommes trop souvent. Tellement pleins de nous-mêmes, tellement pleins de certitudes. Nous savons ! et parce que nous savons nous sommes toujours dans des à priori : à priori je sais ce que tu vas me dire, à priori je sais ce que va dire le prêtre, à priori je connais ce texte biblique, à priori je sais ma vie, à priori je sais tout. Et dans cet à priori je deviens comme hermétique, fermé, et je n'arrive plus à voir l'éblouissement que produit le surgissement de la présence divine. ce surgissement comme devait le découvrir Elie sur la montagne de l'Horeb, ce n'est pas seulement dans des fracas, dans des grands bruits, ce surgissement est dans le subtil de nos existences. Ainsi, ce Jésus on sait d'où il vient, on sait qui il est, mais on n'arrive plus à se laisser toucher par sa parole parce que, dans l'a priori, on a appris que le Messie devait venir de manière extraordinaire et qu'il devait surgir de nulle part ; alors on n'arrive plus à se laisser étonner, même si il rend la vie le jour du shabbat, si il rend la santé le jour du shabbat, alors qu'il réalise le sens même de ce qu'est le shabbat. Le shabbat n'est pas simplement un rituel de circoncision, mais que, dans ce rituel, nous devons nous rappeler que nous sommes faits pour la vie et que la circoncision est là pour nous placer dans une mémoire d'alliance avec le divin. Alors que nous restons là aplatis par le rituel et que nous n'arrivons plus à percevoir ce qu'est la vie, Ô la vie !
Oui mes amis, passer de la croyance à la foi, c'est se réjouir et pour cela apprendre à regarder, contempler, scruter, nous émerveiller, sortir de nos habitudes. Le prophète Zacharie ne disait pas autre chose lorsqu'il parlait de ces dix hommes de chaque nation qui rejoignaient les juifs pour se réjouir avec eux en Jérusalem. Ces dix personnes de chaque nation, c'est le chiffre de l'unité qui nous dit que l'humanité, tout à coup, est ressaisie au plus profond d'elle-même, car ce qui nous touche tous et toutes, que nous soyons de cultures différentes, de conditions différentes, de foi différentes, de non-foi aussi ; c'est que nous sommes faits pour nous réjouir, que nous sommes constitués pour la joie et que cette joie c'est de contempler ce qu'il y a dans nos existences de lumineux. Saint-Jean le disait dans cette première épître : " nous réjouir parce que nous avons contemplé que Dieu n'est pas obscur mais qu'Il est lumière." Et quand Saint-Jean dit que Dieu est lumière, il veut nous faire comprendre, par là, que toucher à Dieu c'est toucher à ce qui nous met dans l'émerveillement, ce qui nous met dans la contemplation qui fait que nous sommes totalement dévoilés, il n'y a plus de voile dans nos yeux et que nous voyons en totalité, en plénitude. Je ne vois plus la mort, je ne vois plus les cadavres, mais je vois la vie au-delà de la mort. Je ne vois plus la vie du côté relationnel mais je vois l'appel à la vie dans cette relation, je ne vois plus ces mots qui nous font tituber dans l'amour mais je vois, au-delà de la pudeur, cette capacité à crier l'amour. Oui : voir, regarder, contempler ! Comment pourrions-nous vivre ce temps de Carême simplement en nous fouettant et en nous disant que nous sommes pécheurs. Mais le péché, c'est de de ne pas avoir découvert que, au-delà de nos incapacités, nous sommes faits pour grandir.
Alors sortons de nos cimetières de l'intérieur, sortons de nos peurs et réjouissons-nous ! Réjouissons-nous car une grande, une bonne, une merveilleuse nouvelle nous sera donnée à Pâques, et c'est à cela qu'il nous faut nous préparer : la Lumière divine, c'est cette vision qui fait que nous comprenons que ce monde ici-bas est comme une sorte de marchepied qui doit nous faire passer vers une révélation, et que dans notre existence tout est révélation. Ce que je vis, ce que j'entreprends, ce que je traverse est une révélation, ce sont des révélations, ce sont des signes qui me sont donnés et que je dois interpréter. Et dans cette interprétation je découvre alors une signification qui s'ouvre à moi et qui me rapporte cette évidence que ma vie a un sens, que je suis ordonné à un autre, que je ne suis pas l'enfant du hasard mais que je suis conduit par un souffle, et que ce souffle m'habite, t'habite mon frère, ma soeur, nous habite et que tout est habité. Oui, passer de la croyance à la foi c'est comprendre que tout ce qui nous est donné dans nos sacrements, dans nos rituels, sont des éléments, sont des moyens pour accéder à cette plénitude de la vie. Et que si nous décollons de ces simples supports, que nous nous en servons pour décoller, alors nous serons dans la joie, nous serons dans l'émerveillement, et nous pourrons alors ne pas dire simplement : nous le connaissons, nous savons d'où il est... Mais nous pourrons dire : " Merveille pour ce qu'il fait." C'est cela le sens de la joie.
Être dans la joie, Saint-Paul le disait : " la joie est un flux de l'Esprit Saint ." Posons-nous cette question, sommes-nous encore capables de nous réjouir ? Dans un monde où on ne cesse de nous parler de crise, dans un monde où constamment nous sommes ramenés à l'événement difficile comme un échec ; eh bien la foi, c'est dire que l'événement difficile n'est pas un échec, mais qu'il est un temps d'épreuve ; épreuve au sens où nous devons nous prouver à nous-mêmes que nous sommes dans cette reliance, et que si je vis les difficultés comme des épreuves au sens où j'entre "dans la preuve", alors je me réjouis, tout est sujet de réjouissances, et je pourrai porter la joie. La joie qui n'est pas d'être dans une sorte d'utopie où je ne verrais pas la réalité du monde, mais la joie me fait vivre la réalité du monde comme un passage, comme une relation, comme une pâque.
Au cours de cette semaine, mes amis, portons cette interrogation, ce questionnement : " Seigneur, je ne suis plus un homme, une femme de croyance, je veux être un homme, une femme de foi et pour cela, oui Seigneur, donne-moi, par ton Esprit, la joie en mon coeur. Demandons le dans la prière, contemplons le dans l'écriture, allons le chercher dans l'eucharistie, mais vivons profondément cette joie. Alors, je vous le dis, nous serons des hommes et des femmes de foi qui au soir de Pâques pourront réellement crier, proclamer : " il est ressuscité. "
Amen.