Paroisse Sainte Marie de Magdala

Homélie du Père Pierre (Colombani) - dimanche 1er septembre 2013


1 Rois 17, 17 à 23

Galates 5, 25 à 6, 10

Luc 7, 11 à 17


Dans son épître aux Galates, Saint Paul qualifie ses interlocuteurs de « spirituels ». Et par ricochet, nous pourrions entendre que nous le sommes, malgré les deux mille ans qui nous séparent  des interlocuteurs de Paul, qui ce matin nous qualifie de spirituels. Le spirituel, frères et sœurs, c’est celui qui est animé par le spiritus, c’est à dire par le souffle, par le pneuma, par la ruah, par le souffle de Dieu. Et alors se pose à nous la question : sommes-nous des êtres animés? Pour vérifier si nous sommes des êtres animés, c’est à dire des êtres vivants, Saint Paul dit : « regardez votre manière de vivre : êtes-vous dans le jugement, êtes-vous dans le refus de l’autre, ou au contraire êtes-vous dans la responsabilité les uns à l’égard des autres ? »

Et au fond on peut dire que les deux textes qui enchâssent cette épître de Paul viennent nous montrer la pertinence du propos de l’apôtre. D’abord il y a ce passage du premier livre des Rois : la veuve de Sarepta, celle qui avait accueilli l’homme de Dieu Élie, et qui lui avait donné, sur l’essentiel qu’elle avait, ce qui lui restait, car elle pensait devoir mourir, elle n’avait plus rien. Élie qui lui avait demandé de donner ce peu qui lui restait, elle avait fait cet acte, et par là elle était entrée dans la fécondité. Car non seulement elle n’est pas morte mais la farine est venue en abondance, tout est venu en abondance, et non seulement elle a pu nourrir Élie, mais son fils également. Et voici qu’au moment où elle est au cœur de cette fécondité, tout à coup son fils meurt. On peut comprendre alors son désarroi. Et dans ce désarroi, elle va dire à Élie : « écarte-toi de moi ». Autrement dit, « écarte-toi de moi », cela veut dire : je suis encore marquée par mon péché, car si mon mari est mort, c’est que j’ai péché, et si mon fils vient à mourir, c’est que j’ai péché. Et dans cette façon de dire, elle ne se met pas totalement en cause, mais elle condamne l’homme de Dieu : écarte-toi de moi, Élie, toi l’homme de Dieu, toi qui m’a apporté cette fécondité qui me manquait. Tout à coup je te rejette parce que je pense que tu es la cause de ma malédiction.

Et là, derrière cette veuve de Sarepta dont l’attitude est tout à fait légitime, compréhensible dans notre humanité, nous retrouvons exactement ce qui nous habite souvent. C’est à dire que nous disons avoir la foi, nous disons être animés par l’Esprit Saint, mais dès qu’arrive l’épreuve, dès qu’arrive la difficulté, nous pointons notre doigt vers le ciel, vers Dieu. Et nous disons : si Dieu existait, cela ne serait pas ; où est Dieu? Et Dieu devient alors l’objet de notre colère : où est Dieu ? Dieu m’a abandonné. Et nous vivons nos difficultés comme des trahisons divines.

Or, l’homme de Dieu, Élie, va faire un acte assez troublant. Non seulement il va dire à cette veuve : « ton enfant va vivre » mais il va allonger ce fils, et il va s’allonger sur le fils, pour le réanimer, pour lui redonner le souffle. Et là, il se passe quelque chose d’assez étonnant. C’est que le fils de la veuve de Sarepta c’est l’Adam ancien, c’est celui qui manque de souffle, c’est celui qui n’est plus animé. Et celui qui se couche sur lui par trois fois,  pour rappeler l’Esprit du Père, c’est le nouvel Adam, c’est celui qui vient réanimer, qui annonce le Christ, qui annonce celui qui nous met en résurrection.

Ainsi, mes frères, mes sœurs, ce que nous devons entendre, c’est que les spirituels ce sont ceux qui vont se coucher sur les souffrances humaines. Non pas pour les cacher, non pas pour les oublier, non pas pour les nier, mais pour les épouser. Et en faire des lieux d’appel et de réponse pour entrer en Alliance et faire que là où nous pensions qu’il y avait la mort, tout à coup la vie surgit. Car par nous-mêmes nous ne pouvons rien, et Saint Paul le dit bien. Mais par le Seigneur, tout devient possible.

Ainsi, dans l’évangile de saint Luc, lorsque Jésus va croiser cette pauvre veuve qui vient de perdre son fils, à Naïm, on comprend sa douleur, et Il va relever ce fils. Le relèvement bien sûr peut nous terrasser, parce que nous nous disons « moi j’ai perdu un fils, une fille, j’ai perdu un père, une mère, un ami, alors pourquoi eux et pas moi ? » Mais entendons que ce propos va bien au-delà. Il ne s’agit pas simplement d’être réanimé dans une vie physique, car de toute façon la mort est inéluctable pour aller vers la vie en plénitude. Mais la réanimation dont il est question c’est d’être véritablement libre, debout, capable d’être dans cette réponse à l’indicible, à l’ineffable, à Celui qui nous dit que tout est possible. Et plutôt que de nous arcbouter sur ce qui nous paraît difficile, limité, enfermant, raté, regardons tous ces espaces de vie comme les lieux où Dieu nous dit : vois-tu ce commencement, ce recommencement possible, le vois-tu ?

Ainsi, frères et sœurs, être des spirituels, c’est nous coucher par trois fois, au nom du Père, au nom du Fils, au nom du Saint Esprit, sur tout ce qui nous blesse. Et là, devenir les vecteurs de ce souffle divin pour que l’humanité retrouve le chemin de la vie.

En prononçant ces mots je pense à ce qui se passe en Syrie, en Irak, en Égypte, en Afghanistan. Je pense à tous ces êtres qui au moment où se fait cette rentrée, se disent : comment vais-je nourrir mes enfants, moi qui suis au chômage ? Je pense à tous ceux qui sont brisés par la vie, dans leurs rapports, parce qu’ils sont malades, dans leur âme parce qu’ils sont sans espérance.

Je pense à tous ceux-là. Et je me dis que ce sont sur ces plaies là qu'il nous faut nous coucher pour réactiver le monde, pour réanimer le monde, pour que le monde retrouve ce souffle, qui nous met, non pas dans une espérance illusoire, mais dans l’espérance qui fait de nous des hommes, des femmes, capables de faire circuler la vie, de redonner de la dignité, de redonner de la grandeur, de permettre à l’être, d’être.

Ceci nous ouvre donc à notre mission. Soyons des spirituels. Soyons des êtres animés, et animons le monde de ce souffle. Car il ne suffit pas de dire que nous croyons, mais notre foi doit devenir agissante. Notre foi doit être palpable, notre foi doit être sacrement de Salut, c’est à dire manifestation de cette fécondité de Dieu qui veut que l’être soit un être vivant.

Et si nous agissons ainsi, alors la gloire de Dieu éclatera, car on aura beau briser mes membres, on aura beau m’empêcher d’être, si je suis porteur de cette vie, je serai plus grand que la mort. Ainsi, la résurrection de Naïm, en écho de celle de Sarepta, vient rejoindre celle du Christ et nous sommes porteurs de cette bonne nouvelle. Allons, mettons-nous en marche, nous, les spirituels.

Amen.