Paroisse Sainte Marie de Magdala

« Deux canonisations qui interpellent l’Orthodoxie »

« L’Homme est la route de l’Église ». Cette expression chère à Jean-Paul II colore le sens de la canonisation, dont ce pape a fait l’objet lors des cérémonies du dimanche 27 avril dernier, au Vatican, en lien avec l’un de ses prédécesseurs, Jean XXIII. Expression, ô combien essentielle, qui résume tout l’esprit du Concile de Vatican II, convoqué par Jean XXIII et labouré par Jean-Paul II. Le premier avait voulu, par ce concile, revenir aux fondements d’une Église, plus collégiale dans l’affirmation des conférences épiscopales de chaque pays, plus enracinée dans l’enseignements des Pères de la grande Tradition, plus œcuménique dans une vérité partagée avec d’autres Églises. Le second porta à sa pleine maturité toutes ces intuitions, en invitant tous les grands responsables religieux à se retrouver à Assisse (en 1986) pour prier pour la paix dans le monde, en enrichissant aussi la réflexion de l’Église sur toutes les questions de société. Et le tout fut ramassé dans sa première encyclique, Redemptor Hominis, en 1979, par cette formule étonnante : « L’homme est la route de l’Église ». Étonnante en ce qu’elle renversait le processus quasi habituel de pensée selon lequel l’Église serait la route de l’Homme, en résonance avec le fameux axiome de St Cyprien « Extra Ecclesiam nulla salus » (Hors de l’Église, point de salut). En réalité, non seulement Jean-Paul II invitait à entendre que pour faire éclore le Corps du Christ, entendons l’Église au-delà de ses aspects institutionnels, encore fallait-il partir des préoccupations de l’humanité, de ses questionnements, à l’image de Jésus posant la question à son contemporain : « Que veux-tu que je fasse pour toi ? ». Mais plus fondamentalement encore, cette formule était une manière de signifier que l’Humanisme véritable et plénier ne peut se trouver que dans le visage du Christ , simultanément, vrai Dieu et vrai Homme, comme l’indiquaient les Pères du Concile de Chalcédoine, en 451. Ainsi, au travers de cette formule, dans l’inspiration du Concile de Vatican II, ces deux papes canonisés ont rendu à l’Église Romaine sa dimension mystérique pour envisager l’évangélisation, non comme un ordre moral de civilisation à imposer, mais davantage comme une divination de l’homme à proposer. L’orthodoxie, qui a toujours porté dans ses principes fondateurs, cette conception de la « théosis », se reconnaît donc dans cette formulation et dans les grands principes de ce dernier Concile de l’Église Romaine.

Rappelons, à propos de la divinisation de l’homme, ce que Saint Athanase d’Alexandrie écrivait dès le IVème siècle : « Dieu s’est fait homme afin que l’homme devienne dieu ». En effet, dans la contemplation du Dieu trinitaire, les êtres humains viennent à connaître et à expérimenter ce que signifie le fait d’être pleinement humain (crée à l’image de Dieu) ; par leur communion avec Jésus-Christ, Dieu se partage lui-même avec le genre humain, afin de le conformer à tout ce qu’Il est en connaissance, justice et sainteté. Comme Dieu est devenu humain, en toutes choses excepté le péché, Il fera également des hommes des dieux (saints), en toutes choses excepté son essence divine (incréée). Saint Irénée expliquait déjà au IIème siècle : « la Parole de Dieu, notre Seigneur Jésus-Christ, par son amour transcendant, est devenu ce que nous sommes, afin qu’il puisse nous amener à être ce qu’Il est Lui-même. »

Que le Pape François ait impulsé la canonisation de ces deux grandes figures que furent Jean XXIII et Jean-Paul II ne peut être que bénéfique au rapprochement entre Catholiques romains et Orthodoxes, dans la perspective de la déification de l’homme, en écho avec le mystère trinitaire de la communion du Père, du Fils et du Saint Esprit. Il est évident que pour notre petite Église Orthodoxe Française, laquelle se définit comme un pont entre l’Orient et l’Occident, la canonisation de ces deux Saints que sont devenus Jean XXIII et Jean-Paul II est un signe de Dieu qui confirme notre vocation à nourrir la communion sans confusion ni séparation entre ces deux grandes traditions. À la suite du Ressuscité, devenons donc tous ensemble des Saints, en nous conformant à l’image du Christ qui nous invite à la déification. Et que la prière de Saint Jean XXIII et Saint Jean-Paul II nous accompagne désormais dans un climat d’œcuménisme et d’unité.

 

+ Père Pierre Colombani