Paroisse Sainte Marie de Magdala

« L’affaire Cahuzac », une affaire de conscience...       Avril 2013


Dans ce qu’il convient d’appeler désormais « l’affaire Cahuzac », qui nous plonge dans les abîmes du mensonge, ne sommes-nous pas interrogés sur notre société dans les contre-valeurs qu’elle véhicule ? Je ne reviendrai pas sur les événements du mensonge, de la trahison des idées, ou encore sur la triche pour se dérober face aux obligations fiscales, tout cela a déjà fait l’objet de tant de commentaires... Et, disons-le avec force, la justice doit passer, être effective et efficace.

Mais, un trouble plus profond peut se faire jour devant tous ces responsables politiques, économiques, tous ces acteurs, ces journalistes, dont les cris d’orfraie peuvent laisser pour le moins songeur. En effet, le mensonge n’est moralement pas acceptable. Mais, un trouble peut nous envahir devant le spectacle médiatique actuel, où l’on ne sait plus si le procès de tous les détracteurs de l’ancien ministre porte sur son mensonge ou bien sur l’aveu de son mensonge. En tant que chrétiens, nous ne sommes pas là pour distribuer des réprimandes, ou encore établir des jugements, car le visage de Mr Cahuzac n’est que le reflet caricatural de nos propres turpitudes. En revanche, notre foi nous fait obligation de toujours revenir sur nos fautes et les lire à la lumière de la conscience. Le fait que cet homme ait avoué ne le disculpe en rien de sa responsabilité, mais les gesticulations médiatiques occultent le fait que le plus grave eût été qu’il poursuive dans le déni de la faute et l’enlisement de l’affaire dans les sables mouvants d’une actualité toujours à l’affût d’autres scandales à venir alimentant l’audimat, seul critère de vérité dans ce monde barbare du profit.

Aussi, tous ces chantres de la vertu sont-ils réellement scandalisés par le mensonge et la course à l’argent, quand la pauvreté se répand telle une lèpre dans toute notre société, ou alors ne sont-ils pas davantage rageurs que cet aveu ne les fragilise tous, en braquant les projecteurs sur les disparités qu’ils entretiennent dans un esprit de caste ? Car la boîte de pandore ouverte, les langues se délient, et l’on comprend que cette révélation relevait davantage du secret de Polichinelle.

Autrement dit, le malaise actuel semble souligner en filigrane la difficulté à assumer la vérité et la portée d’une faute qui pourrait inquiéter beaucoup de monde. Dès lors, plutôt que d’alimenter la rumeur malveillante, ce qui devient un enseignement pour tous, c’est de reconnaître le naufrage de nos misères et de nos propres fragilités. Oui, chacun à notre propre niveau, nous avons déjà menti, trahi, abusé la confiance d’autrui. Et la réplique de Jésus claque à nos oreilles : « Que celui ou celle qui n’a jamais péché jette la première pierre ». S’agit-il alors d’excuser ou de minimiser la faute de ce responsable politique de haut niveau ? Certes, pas ! Mais, profitant de cette triste et douloureuse actualité, aurons-nous l’audace de nous interroger sur nous-mêmes ? Le mensonge, la trahison de la confiance semblent devenir des fautes dès lors qu’elles sont mises à jour. Or, n’est-ce pas le travail de la conscience que de traduire la faute en termes de péché, autrement dit, de reconnaître ce qui nous sépare de l’essence de notre identité profonde, pour retrouver un chemin de rédemption ?

Méfions-nous d’une lecture par trop manichéenne, départageant les bons et les mauvais et rappelons-nous la Parabole du bon grain et de l’ivraie. Nous portons tous l’ombre et la lumière et l’important n’est pas de pardonner la faute, mais de pardonner la personne qui doit s’arracher de la faute. En ce temps où nous venons de célébrer la Résurrection du Christ, portons nos regards sur tous nos dérapages personnels et collectifs et reconnaissons que la pire des abominations serait de jeter la pierre, ou bien de nier nos responsabilités. Oui, si nous assumons nos actes, des personnes comme Mr Cahuzac pourront alors entendre à quel point

leur comportement est détestable, mais combien, également, nous pouvons tous trouver un autre chemin d’humanité, à condition de poser la vraie question. Et cette question rejoint celle de l’identité même de l’homme. Tant que ce dernier ne se sent pas ordonné à un autre que lui- même, dans un rapport d’altérité absolue, la blessure sera toujours béante dans l’égocentrisme qui conduit à toutes les formes de mensonge. Tel est le message que nous délivre le Christ : en regardant l’autre, le vis-à-vis, le prochain, nous rencontrons la Présence Indicible de Celui qui nous dit jusqu’à la fin des temps « J’ai eu faim et vous m’avez donné à manger ». Alors nous décentrant de nous-mêmes, nous pourrons partager avec celui qui a faim et sortir de la maison d’esclavage qui nous fait courir vers le profit sans limites. « L’affaire Cahuzac » est notre affaire en ce qu’elle nous interroge sur nos pratiques et notre éthique de vie.

+ Père Pierre Colombani 
Prêtre Orthodoxe, Docteur en Théologie.