Paroisse Sainte Marie de Magdala

« Un monde ecclésial où le Seigneur nous interroge » - Novembre 2015



Au moment où l’Église romaine semble balayée par le vent de l’Esprit Saint, à travers notamment la figure du pape François, notre propre identité d’Orthodoxes occidentaux n’est-elle pas largement questionnée ? En effet, dans nos histoires singulières, nous sommes pour la plupart d’entre nous d’origine catholique romaine. Notre choix de l’Orthodoxie s’est souvent opéré grâce à la redécouverte de la beauté de la liturgie pour les uns, de la prière du cœur pour les autres, pour certains aussi (et dont je suis), de l’évocation du grand thème de la déification, ou d’autres encore de l’iconographie. De plus, nous avons choisi de vivre ce climat particulier dans notre culture occidentale.


Or, l’environnement ecclésial occidental évolue en ce moment. Le dernier synode sur la famille, de l’Église romaine, laisse apparaître bien des ouvertures appréciables et l’annonce d’un prochain synode devant traiter de la collégialité, inscrit là un thème essentiel, pour nous orthodoxes, dans l’horizon du mystère trinitaire.


Paradoxalement, nous sentons des crispations dans le monde orthodoxe canonique, et notre désir d’apparaître comme des traits d’union entre les uns et les autres, semble englouti dans le flot des suspicions à notre égard, du fait de notre « non canonicité ».


Dans quelque temps aussi, autour de la grande fête de l’Ascension de notre Seigneur, nos trois Églises sœurs (l’Église Orthodoxe Celte, l’Église Orthodoxe de Béthanie et l’Église Orthodoxe Française) vont se retrouver pour réfléchir sur le sens de leur communion.


Ne devrions-nous pas entendre, dans tous ces événements actuels, l’appel irrépressible du Seigneur à ne pas nous scléroser ? Ne devrions pas nous ouvrir davantage à d’autres chemins possibles de rencontre au sein des Églises, afin de servir l’Unité de l’Église Une, Sainte, Catholique et Apostolique ?


Si nous voulons réellement honorer notre réalité d’Église, Corps du Christ, il est essentiel de ne pas nous enfermer dans nos petites communautés, dans un « entre soi » et d’envisager le monde, et notamment le monde ecclésial occidental, avec ses bouleversements actuels, comme le grand chantier où Dieu nous attend.


Notre choix de l’Orthodoxie occidentale repose d’abord sur la dimension collégiale fortement rappelée dans le climat oriental. Mais depuis Vatican II, les latins retrouvent, eux aussi, cette dimension. Et si des errements ont pu voir le jour, dans l’Église Romaine, au cours des dernières années, le pape François replace bien l’axe ecclésial dans l’esprit de la communion collégiale et non dans celui de l’exercice d’une autorité pyramidale.


Ensuite, la prière du cœur fait écho à tout un renouveau spirituel qui saisit la plupart des chrétiens, autant chez les romains que chez les réformés, et l’orthodoxie s’harmonise à merveille avec les expériences vécues dans toutes ces traditions, en Occident.


La liturgie retrouve également, chez nos frères romains, un nouvel attrait, et si nous déclinons des particularités, dans nos rites, liées à nos histoires locales, c’est une richesse qui ne doit pas se confondre avec des particularismes qui mettraient à mal le mystère de la catholicité de l’Église, entendue comme universelle. C’est dire que nos liturgies, avec leur caractère local, ne sont pas des chemins exclusifs de célébration du Seigneur, et que d’autres formes sont aussi valables et riches de tout un passé qui s’inscrit dans cette « occidentalité » dont nous nous réclamons.


Enfin, la thématique de la déification, dont les orthodoxes sont les grands dépositaires, au moins dans son expression, induit comme le rappelait à merveille le Patriarche Daniel, de l’Église orthodoxe roumaine, une « mystique de l’engagement social », de vivre « la liturgie après la liturgie » (Cf. son livre « La joie de la fidélité », p. 256). Car cela nous replace dans le mystère de la double nature du Christ, vrai Dieu et vrai Homme, qui appelle l’Homme à se diviniser.


Sur ce terrain, avouons humblement que nous nous situons, le plus souvent, davantage du côté de la mystique spirituelle que du côté de la mystique de l’engagement. Alors que nos frères, protestants ou romains, sont très présents dans tout ce qui concerne le caritatif, comme dans le social en général. Or, précisément, l’argument de la déification implique une présence au monde, dans ses rouages politiques, économiques, sociaux, culturels, pour y inscrire la portée de l’Évangile comme source de transformation de l’Histoire.


Dès lors, pouvons-nous nous retrancher dans nos certitudes, en affirmant une spécificité absolue qui nous singulariserait, au point de vouloir « à tout prix » justifier une identité qui nous couperait de toutes les traditions, et nous installerait dans une vérité de la marginalité ?


Nous pouvons trouver une voie nouvelle, en vivant notre singularité dans un esprit qui appelle davantage la relation d’altérité avec toutes ces réalités d’Église. Certes, nous sommes raillés, moqués, rejetés. Peu importe, l’essentiel demeure dans l’annonce de Jésus-Christ dans la ténacité, par le fait de vouloir encore et encore, non une reconnaissance en termes de structures, mais une communion, en termes d’Églises.


D’autant que le Pape François lance, à partir du 8 décembre prochain, une Année Sainte, sur le thème de la Miséricorde. Comment ne pas entendre cet appel au pardon ? Mais pour rendre audible le message de la réconciliation en ce monde profane, encore faut-il que nous l’incarnions, entre chrétiens, au sein de nos Églises.


Dans les temps d’apocalypse que traverse le monde, il serait essentiel que nous manifestions, dans la pauvreté de notre réalité d’Église orthodoxe occidentale, l’urgence de trouver la voie de l’unité, pour devenir davantage source d’inspiration pour les hommes et les femmes de notre temps et rendre à la Bonne Nouvelle de Jésus le Christ, tout son caractère opératif. Oui, le monde a besoin de chrétiens réconciliés et d’une diversité d’églises qui chantent l’Unique Église du Christ, pour la réalisation de l’unique humanité, dans l’Amour. Je crois en cela et peu importe si nous serons encore et toujours rejetés. Vivons pour cet idéal. C’est là, le mystère de la nouvelle évangélisation !

Père Pierre (Colombani)
Recteur de la Paroisse St Marie de Magdala à Toulon