Paroisse Sainte Marie de Magdala

VIGILE PASCALE

Homélie du Père Pierre (Colombani), samedi 30 mars 2013 

Recteur de la Paroisse


Genèse 1,  1 - 2, 2

Exode 14, 15 - 15, 1a

Isaïe 55,  1 - 11

Ezéchiel 36, 16 - 17a. 18 - 28

Romains 6,  3b - 11

Jean 20,  1 - 9

  

Depuis de longues minutes nous proclamons avec joie, avec foi, avec passion : " Christ est ressuscité ! " Ce cri est proclamé, bien sûr, depuis 2000 ans. Mais ce cri, mes amis, si il est proclamé depuis 2000 ans, c'est-à-dire depuis qu'il y a eu cette révélation par la personne de Jésus, ce cri est proclamé depuis la nuit des temps par toute la création. Car le Ressuscité n'est pas seulement venu il y a 2000 ans, mais le Ressuscité habite toute la création depuis les commencements de la création. C'est ce que dira St Jean dans son prologue : " au commencement était le verbe, et le verbe était tourné vers Dieu, et le verbe était Dieu, il était tourné vers Dieu, tout fut par lui, et rien de ce qui fut ne fut sans lui, en lui était la vie. " Ainsi depuis le commencement, mes amis, cette Résurrection habite la création. L'Incarnation de Jésus a permis, il y a 2000 ans, de révéler le sens de la Résurrection.  Alors que veut dire :     " Christ est ressuscité " ?

Dans l'Évangile de Saint-Jean, nous voyons les apôtres venir découvrir un tombeau vide, ce tombeau vide va devenir la marque du témoignage de la Résurrection. Ce tombeau vide est vraiment étonnant, car dans toutes les mythologies, lorsqu'on parle des divinités, on nous présente des spectacles extraordinaires. Or la foi en Christ n'est pas une mythologie, la foi en Christ part de ce que nous sommes, et que sommes-nous ?  Nous sommes à l'image de ce tombeau ouvert et vide. Oui, la question pour nous, elle vient du vide, c'est-à-dire de notre vide intérieur, de ces moments où nous n'en pouvons plus, de ces moments où tout semble vaciller, de ces moments où nous doutons ; le doute : le doute dans le couple, le doute dans la famille, le doute dans nos communautés humaines, le doute partout. Voici que nous sommes habités par ce vide et lorsque nous doutons et que nous traversons nos vides, nous sommes souvent désespérés et nous avons le sentiment d'être abandonnés. Combien d'hommes et de femmes, combien de peuples, combien de philosophies ne crient-t-ils pas : " Mais où est Dieu ? si Dieu existait, cela ne serait pas ! " Il n'y aurait pas de haine, il n'y aurait pas de mort, il n'y aurait pas d'injustice. Et dans nos nuits, dans nos manques, dans nos vides, dans nos peurs, nous sommes tremblants à dire : " nous sommes abandonnés, nous sommes enfants du hasard."

Ce tombeau vide de Pâques, il vient comme ramasser toutes ces expressions et il nous ramène peu à peu à la réalité de ce qu'est cette création voulue par Dieu. Oui, la création telle que nous l'avons entendu dans le premier récit au livre de la Genèse : premier jour, deuxième jour, troisième jour, quatrième, cinquième, sixième jour ; et à chaque jour une création. Une création qui est tirée du vide, une création qui est tirée du néant, une création qui apparaît de rien, une création qui nous fait comprendre que le vide du tombeau n'est pas une absence, mais c'est le moment d'une fécondité, d'une naissance, et qu'il nous faut descendre dans la profondeur de ce rien, pour tout à coup, de ce rien, sortir du vide, et nous défaire de ces vieux linceuls, de ces linceuls qui entouraient la dépouille du Seigneur pour aller vers la Résurrection.

Alors nous entendons ce deuxième texte tiré du livre de l'Exode, et nous pourrions aussi dire : c'est effrayant de chanter : Seigneur tu es bon, éternel est ton amour, alors que nous chantons : que les premiers  d'Israël sont assassinés, écrasés. Mais ces premiers d'Israël ils sont à l'intérieur de nous, et ils s'appellent : orgueil, vanité, mensonge, égoïsme ; les clous qui ont été placés sur la Croix de Jésus, ils sont là, en nous. Les fils d'Israël vont devoir sortir de cela. Et lorsqu'on parle des premiers nés d'Égypte on parle de ces enfants de l'orgueil, de la vanité, de l'égoïsme, du chacun pour soi, dont il faut se départir. Eh bien, le Seigneur va faire traverser son peuple, c'est-à-dire qu'il va l'amener à comprendre qu'il doit se départir de ses ennemis intérieurs, car ce ne sont pas les Égyptiens contre les Hébreux, ce n'est pas celui-ci contre celui-là, mais c'est un combat ontologique, le combat de l'intériorité, le combat de chacun d'entre nous, frères et soeurs.

Et ce vide du tombeau de Pâques, tout à coup, nous apprend que pour qu'il y ait création il faut d'abord qu'il y ait dévidement, pour que du rien surgisse la vie, il faut qu'il y ait dévidement, c'est-à-dire purification, passage, Pâques, passion. Comment pourrions-nous dire que nous célébrons le Ressuscité avec des mines défaites, en allant au monde en nous croyant déjà perdus. Non ! Le Ressuscité veut des hommes et des femmes debout qui s'engagent dans l'histoire et pour cela portent ce tombeau ouvert ; car si le tombeau est ouvert je n'ai pas d'à priori, je n'ai pas d'idéologie à priori comme si, à priori il y avait solution pour tout. Non, j'ai les mains nues, je me suis défait du linceul comme Jésus s'en est défait, et je vais pouvoir laisser émerger : la lune, les étoiles, c'est-à-dire tout ce qui est vie en moi. En passant la mer rouge à pied sec c'est-à-dire en passant de l'esclavage, ma terre intérieure, pour aller vers la terre de liberté ce à quoi je suis appelé, une terre libre, libre !  Et quand nous dirons : Marie la vierge, arrêtons d'avoir ces sourires stupides en disant Marie la vierge. Oui, Marie la vierge, mais en ce qu'elle est vierge parce qu'elle touche à la terre vierge, parce qu'elle touche à la terre pure, parce qu'elle est l'expression de cette terre nouvelle ; comme nous devons devenir nous-mêmes frères et soeurs.

Alors il y a les prophètes, et d'abord le prophète Isaïe qui nous dit : " venez vous qui avez soif."  Vous qui avez soif, comment pourrions-nous vivre en ressuscités si nous n'avons pas soif ? Et ainsi entendre que le vide du tombeau de Pâques c'est l'appel à un autre sens, à un autrement.  J'ai soif !   Et la, nous nous souvenons des Paroles du Seigneur : " j'ai eu soif, et vous m'avez donné à boire ; j'étais un étranger et vous m'avez accueilli ; j'étais nu et vous m'avez vêtu."  Venez vous qui avez soif !  Alors, mes amis, nous chantons le Ressuscité mais avons-nous soif ?  Avons-nous soif de la vie ? Car lorsque nous parlons du Ressuscité nous parlons de Celui qui a vaincu la mort et qui a porté la vie à son incandescence.  Avons-nous le désir de la vie, avons-nous le désir d'être vivant ?  Ou bien sommes-nous des vivants avançant masqués avec de grosses lunettes noires, pour dire : surtout que le temps ne passe pas trop vite, parce que je vois arriver la maladie, la vieillesse, la mort.  Sommes-nous convaincus de notre foi ? Si oui alors vivons, et pour vivre ayons ce désir de la vie. Quel est ton désir du Royaume mon frère ? Et c'est la question que nous pose le prophète Isaïe : " venez vous qui avez soif " ; et si vous n'avez pas soif, ne venez pas ; si vous êtes des riches, restez chez vous ; si vous croyez que j'ai la solution à tout, restez chez vous.

On peut parfois se dire : le Christ ? oui, le Christ ? non.  Aors lorsqu'on raisonne ainsi on est des riches, on n'a besoin de rien, on a tout compris, on est tellement plein de soi, plein de ses idées, plein de ses certitudes et de son intérieur, et surtout que l'on ne soit pas dérangé. Ni dans sa vie, ni dans ses histoires, ni dans ses habitudes ; que tout se passe le plus tranquillement possible pourvu que nous puissions dormir dans la béatitude de de notre illusion. Mais si nous sommes véritablement croyants, ressuscités de la mort, il nous faut entendre cette question : " quel est notre désir du Royaume ? As-tu soif de la vie de Dieu ? Si tu as soif, viens boire l'eau de la source.

Et là vient alors l'autre prophétie, celle d'Ezéchiel : " vous serez mon peuple et je serai votre Dieu ".  Non plus un Dieu inaccessible, non plus une espèce de grand barbu qui serait dans le ciel, et que l'on sifflerait lorsque ça irait mal. Quand tout va bien, surtout Dieu reste là où tu es, à la limite on pourrait t'invoquer pour avoir une morale sociale qui va nous dire, plus ou moins, comment on peut cohabiter ensemble, surtout reste là où tu es dans ton ciel. Non !  " Je serai votre Dieu, vous serez mon peuple. "  Tout à coup nous sentons que le Seigneur nous choisit, il nous choisit, à la fois, personnellement,  et il nous choisit communautairement. " Si tu veux être mon enfant, sois de mon peuple ".  Alors lorsque nous allons dire : je crois Seigneur, mais en restant dans notre petite bulle , sommes-nous du peuple ? Sommes-nous du peuple élu ?  Car pour rejoindre Dieu, mes amis, il y a la prière personnelle, cette verticalité qui nous ressaisit, qui nous traverse ; mais si je veux vivre ce rapport à la vie de Dieu aujourd'hui, pas hier, pas avant-hier, pas demain, pas un jour, mais aujourd'hui ; alors il me faut voir le frère, la soeur, et à travers eux te rencontrer mon Seigneur.  " Vous serez mon peuple, je serai votre Dieu ". Vivre la présence de l'indicible au travers de ce peuple qui se rassemble pour le célébrer, pour le manifester, pour dire la lumière dans un monde ténébreux.

Arrive alors Saint-Paul avec son épître aux Romains, et qui nous rappelle que nous avons reçu le baptême. Le baptême, souvent ce pauvre baptême vécu comme un simple rituel. Le baptême, mes amis, le baptême, plongé dans les eaux, cela veut donc dire que, avec le Christ ressuscité, nous sommes morts à l'ancien nous, mais nous avons été relevés, ainsi ce vide du tombeau de Pâques est habité d'une autre réalité. J'ai été défait de mes vieux habits, de l'Adam ancien, et avec le Christ, me voici Seigneur ! Comme disait Marie à l'ange Gabriel : " qu'il me soit fait selon ta Parole ".

Nous aboutissons alors à cet Évangile qui nous dit quelque chose de merveilleux : le tombeau de Pâques était ouvert ! Oui c'est cela tout le message de la Résurrection. Nous sommes du tombeau c'est-à-dire que nous portons en nous un potentiel de mort, mais le Christ ressuscité a ouvert nos tombeaux ; non seulement les tombeaux de nos cadavres et de ceux qui sont déjà morts, qui sont passés de l'autre côté du voile mais qui sont des vivants spirituels, mais aussi nos tombeaux humains, nos tombeaux  anthropos  qui sont tellement fermés dans leurs peurs . Il les a ouverts, il les a brisés, et il nous dit : allez, venez, faites de toutes les nations des disciples au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit.  Pas de prosélytisme, pas de religions qui vont se battre pour une vérité, mais avancer au nom du Père, du Fils et du Saint Esprit, c'est-à-dire se mettre dans le mouvement du Ressuscité qui nous fait goûter à la vie trinitaire : la vie du Père, celui qui est la parole appelante ; la vie du Fils qui se reconnaît comme fils car il est ordonné à un autre que lui ; la vie du Saint Esprit qui donne le souffle, qui nous met en expansion comme toute la création.

 

En cette nuit j'ai une pensée pour nos frères de Syrie, pour nos frères d'Irak, pour nos frères d'Afghanistan, pour nos frères de chez nous, chômeurs, malades, estropiés, oubliés, pour ceux qui n'ont plus. Aurons-nous l'audace de les rejoindre pour leur dire la vie, la vie en plénitude, pas comme une extrapolation, mais la vie qui me demande de me défaire de mes vêtements : vêtements de nos certitudes intellectuelles, de nos certitudes matérielles, de tous nos égoïsmes. Partager et vivre la relation à l'autre comme le déjà là de la Résurrection.  Oui en cette nuit j'entends le pape François, j'entends le patriarche Daniel, j'entends le patriarche Bartholomée, j'entends toutes ces Eglises qui chantent la gloire de Dieu parce que " Christ est ressuscité."  Et ce chant se moque bien des cloisonnements institutionnels, oui ce chant se moque bien de toutes les séparations de nos Eglises, car ce chant vient briser nos propres tombeaux ecclésiaux, pour nous dire : " laissez passer le Ressuscité ! "  Et ainsi une parole de vie qui se répand et qui dit que l'homme est appelé à la vie. Oui, en cette nuit j'entends la souffrance et j'entends l'espérance et entre ces deux vies il y a la Croix qui nous fait tendre vers le tombeau ouvert de la résurrection. Un tombeau qui nous dit : alors, alors quel est ton désir de ressusciter avec le Ressuscité ? 

Oui, frères et soeurs, chantons la gloire de Dieu, car Christ qui était mort est ressuscité !  Alléluia !