Paroisse Sainte Marie de Magdala

Homélie du Père Pierre ( Colombani ), dimanche 10 février 2013 

Recteur de la paroisse 


Isaïe 55,  6 - 12

Romains 12,  1 - 16

Luc  18,  31 - 43


Mes frères et sœurs je ne vous cache pas mon émotion ce matin, célébrant cette eucharistie en mémoire de Monseigneur Madec et, à travers son visage, me reviennent tant de souvenirs de l’Eglise catholique dans laquelle nous avons creusé ensemble beaucoup de choses au cours de 15 années.

Et ce matin, l’Evangile nous invite à être dans la lumière et donc ne nous laissons pas submerger par l’émotion et restons dans cette lumière. La lumière pourquoi ? Parce que ce passage de l’Evangile de Jéricho, que nous connaissons tous, est tout à fait étonnant. En effet, nous saisissons le sens profond de ce qu’est la foi.

Au cours de cette année, nous nous sommes posé cette question : quelle est notre foi en Jésus-Christ ? Nous avons essayé de décliner peu à peu, semaine après semaine, ce thème. Et c’est comme si nous étions à un point d’orgue avant d’entamer, la semaine prochaine, le temps du carême avec le dimanche des Cendres.

Mais aujourd’hui, oui, nous est donné comme une réponse essentielle : qu’est-ce que la foi ? Et nous voyons la réponse dans ce passage, dans la rencontre de cet aveugle de Jéricho avec Jésus : « Fils de David, aie pitié de moi ! » Devrions-nous entendre dans ce passage que Jésus devrait avoir pitié du péché de cet homme, en ce qu’il est aveugle. Alors si nous pensions cela, nous serions dans la foi de ses contemporains qui consistait à croire que quelqu’un qui avait un handicap physique était un impur et que son corps reflétait un état d’impureté non seulement dans son âme mais aussi dans toute sa généalogie et il portait comme une malédiction divine. Non, frères et sœurs, ce n’est pas cela ! Mais lorsque cet aveugle va crier « Fils de David, aie pitié de moi ! »,  c’est qu’il est dans la conscience de son état d’Homme manquant, de son être inaccompli. Et là résonne alors l’Epître de St Paul qui avant de parler des charismes, des dons offerts aux uns et aux autres, nous dit : « oui mais pour cela vous devez être capable de travailler le discernement ». Et il n’y a pas de conscience sans discernement. Discerner, cela veut dire ouvrir les yeux sur notre état, ouvrir les yeux sur ce que nous sommes réellement, profondément.

Et cet aveugle de Jéricho qui physiquement semble aveugle ; lui, a déjà ouvert les yeux du cœur intérieur puisqu’il est capable de dire : « Aie pitié de moi ! ». Au long de mes bientôt 27 années de sacerdoce, grâce à l’ordination que j’ai reçue par Monseigneur Madec, que de fois ai-je entendu : « oh vous savez mon Père, moi je n’ai pas besoin de me confesser, je n’ai pas péché ! » D’abord c’est une vision très réductrice du sacrement de confession, comme si on était là pour se culpabiliser de quelque chose, alors que le sacrement de confession est un moment d’exaltation, où présentant sa vie au Seigneur elle vient être consacrée, étonnamment traversée par la présence du Saint Esprit. Mais cette réflexion renvoie en réalité à un état d’inconscience, car lorsque je dis : « Je n’ai pas péché. », c’est que je suis aveugle, c'est que je ne vois pas, car le péché n’est pas de mal faire, mais c’est de mal viser, c’est de ne pas être orienté. Et comment pourrais-je croire que ma vie est totalement orientée vers l’absolu, vers Dieu, le Maître de ma vie, mon Tout puissant ? Non, ma vie n’est pas orientée ! En tous les cas, elle n’est pas toujours totalement orientée. Et cet aveugle quand il crie : " Aie pitié de moi ! " c’est qu’il demande à être rectifié. En cela il est grand, il est beau. Il demande alors ce miracle que son état intérieur puisse être saisi par son corps et que son corps puisse devenir l’expression de son cœur, de son âme, de son esprit en un mot qu'il devienne sacrement de la Présence. Parce que, frères et sœurs, arrêtons de penser que les sacrements sont des actes cultuels. Nous allons à la messe, nous allons nous confesser. Ce n’est pas cela un sacrement, ce n’est pas un ritualisme. Le sacrement, c’est de rendre manifeste, de rendre la lumière, c’est de donner la visibilité. C’est de traverser de part en part ce qui apparaissait comme obstrué. Dès lors, dans le sacrement, tout à coup l’indicible prend visage et nous devenons expression du Divin. Nous devenons Théosis, Déification. Le miracle, n’est pas que tout à coup cet homme va voir, mais c’est  que par sa vision, il rend compte de la vision intérieure et quand Jésus va lui dire : « Ta foi t’a sauvé. », Il reconnaît dans la liberté de l’homme, cette capacité à accueillir la grâce de l’Esprit, la grâce du Souffle qui vient le traverser, le bouleverser et le restaurer. Car le miracle est toujours une rencontre entre la primauté de l’Amour de Dieu pour l’Homme et cette liberté de l’Homme qui dit oui à Dieu. Ainsi, l’aveugle de Jéricho est véritablement un homme de foi, car il a demandé le discernement et le demandant,  il a vu et voyant ce qu’il n’était pas, il a demandé à être. Et voir ce qu’on n’est pas n’est pas entrer dans une culpabilité, ce n’est pas dire je suis pécheur, tapi parterre. Mais c’est être un homme, une femme, un enfant, un vieillard de l’espérance, car tout inaccompli est un appel à l’accomplissement et si je dis : « Je suis inaccompli », alors mon couple, ma famille, mes amitiés, mon travail, mes responsabilités, tout prend une dimension autre. Et c’est le temps de « l’adventus », le temps de l’avenir, de l’ouverture, le temps du Royaume. C’est exactement ce que disait le prophète Isaïe : « Mon temps, n’est pas votre temps, ma sagesse, n’est pas votre sagesse ».

Ainsi arrêtons d’avoir peur de regarder ce qui serait faussé en nous. Regardons Le, car chaque fois que nous Le regardons se déploie alors l’espace du possible pour nous. Je suis médisant, mais c’est que j’ai peur. Je suis jaloux, mais c’est que j’ai peur. Et ainsi chaque fois que nous allons toucher à notre inaccompli, nous allons pouvoir toucher à la réponse possible. Et là nous entendons l’appel de Dieu, l'appel qui résonne en Christ, en Yeschoua et qui dit : « Ta foi t’a sauvé ! » Ainsi le prophète Isaïe, quand il dit : « La parole de Dieu qui est descendue sur terre va tout ensemencer. », nous comprenons à quel point la foi au Christ n’est pas simplement une croyance, mais c’est le temps de la re-création, de la régénération, de l’éclosion, le temps de l’Homme nouveau, des épousailles, de l’éternité où le baiser de Dieu vient se poser sur mes lèvres, le temps où l’Esprit fait de moi l’Homme de l’éternité, l’Adam nouveau, l’être éternel

Oui, Père, nous te rendons grâce de nous aimer au point de faire tomber de nos yeux ces écailles. Aussi au cours de cette semaine, dans ces petits temps de prière que nous pouvons accorder, quelque minutes le matin avant de partir au travail, quelques minutes le soir pour faire une sorte de bilan de la journée, demandons le discernement, demandons l’Esprit-Saint pour le discernement et nos yeux s’ouvriront lorsque nous dirons cette prière du cœur : « Seigneur Jésus-Christ, fils du Dieu vivant, aie pitié de moi ! » Nous saurons qu’il n’y a plus de culpabilité, mais qu’il y a cet appel à être ce qui est inscrit en nous depuis toujours et pour toujours : devenir fils et filles de l’Eternité.          

Amen.