Paroisse Sainte Marie de Magdala

Homélie du Père Pierre (Colombani) - dimanche 4 octobre 2015 


28°dimanche du temps ordinaire


Chers amis,


Les travaux de l’Ecole de Philocalie ont repris hier au Monastère St Michel, avec pour thème de l’année, le Mystère de la Liturgie. Même si, avec Mgr Martin, nous avons essayé de montrer que la liturgie ne se réduit pas au sacrement, mais qu’elle se définit d’abord dans le fait que Dieu, en tant que créateur et amour, se défait de lui-même, la liturgie est l’expérience de la sortie de soi pour être dans le don et dans l’accueil du don ; la manifestation la plus probante de la liturgie demeure avant tout l’Eucharistie, le banquet eucharistique. C’est ce que nous propose ce matin la méditation de l’Evangile de St Matthieu.


A propos de Jésus, deux aspects paraissent importants : l’appel et l’habit de noce.


L’appel, nous l’avons tous reçus au jour de notre baptême. Nous ne sommes pas baptisés comme on peut l’être sociologiquement, socialement, sociétalement, chrétien ou autre expression bouddhiste, musulmane, juive. Le baptême, c’est réellement la plongée avec le Christ dans le mystère pascal de sa mort et de sa résurrection. Parce que nous sommes des baptisés, nous sommes des êtres appelés par le Christ et toute notre vie est une vie appelée où il nous faut répondre. Nous ne pouvons pas seulement entendre l’Evangile de ce matin comme une sorte de morale qui viendrait dire :- vas-tu ou ne vas-tu pas à la Messe ?-, la portée de l’Evangile de ce matin est beaucoup plus ample. Elle vient nous questionner sur la façon de répondre à l’appel irréprescible du Seigneur dans nos existences.


Comment sommes-nous témoins, témoins de l’Evangile ? Sommes nous habités de l’Esprit ?


Je ne puis témoigner que si je suis traversé de son Esprit, de sa présence, de telle manière qu’Il est pour moi cet intime que je vais aller chercher dans la prière, la manducation des textes, dans ce rapport à l’Eucharistie.


La parabole, que nous propose Jésus aujourd’hui, de ce roi qui envoie ses serviteurs pour inviter au Banquet, est réellement la métaphore qui nous ramène au sens même de notre existence. En tant que chrétiens, nous sommes des femmes, des hommes, des vieillards, des enfants invités à aller à ce banquet des noces et pour ce faire dire à temps et à contre temps ce que nous croyons, ce pourquoi nous vivons, ce qui nous fait nous lever le matin, ce qui nous fait espérer, et toujours croire en un lendemain meilleur, non parce que nous serions dans une illusion de religion, mais parce que nous avons rencontré le Ressuscité qui nous dit que toute situation peut devenir autre.


Ainsi, lorsque nous sommes invités à l’Eucharistie, nous sommes invités à retrouver Celui que nous avons reçu au travers du baptême, et par la Chrismation, l’Esprit Saint nous déifie et nous permet de décliner ces Béatitudes que nous venons de chanter « Heureux les pauvres en esprit, heureux les miséricordieux, les doux, les cœurs purs, ceux qui font oeuvre de justice », ce n’est pas un catalogue de principes moraux, mais véritablement l’acte par lequel nous pourrions signifier cette présence du Christ en nous, qui fait qu’au-delà de nos humanités premières, vient naître l’autrement de l’humanité : Christ en nous. Ce n’est plus moi qui vis, c’est le Christ qui vit en moi, ce n’est plus moi qui prie, c’est le Christ qui prie en moi, c’est Lui qui prie par moi.


Oui, c’est ce que nous avons à déployer jour après jour, et être invité au banquet des noces, c’est retrouver cette évidence. Lorsque nous allons manduquer le pain et le vin, devenus corps et sang du Christ, nous plongeons dans notre chair humaine, dans nos projets, dans ce que nous sommes et là nous vivons cette épiclèse, qui fait que, par la venue du Saint Esprit, autre va être notre histoire, autre va être notre chemin, autre va être notre vie, nous sommes retournés, -la métanoïa-, retournés comme ce pain et ce vin sont retournés pour devenir Corps et Sang du Christ.


Alors, oui, c’est désolant d’avoir cette invitation extraordinaire, être invités à être des témoins et tout aplatir parce que nous avons tel ou tel petit projet, telle ou telle petite préoccupation, immédiate et dans le court terme oublier l’essentiel, à long terme que nous sommes faits fils et filles de Dieu.


Oui, c’est désolant de voir notre manque de foi qui fait qu’au moment où nous sommes invités par le Seigneur, nous nous bouchons les yeux et les oreilles pour aller à nos petites préoccupations tellement misérables.


Il est une parabole qui est peut-être encore plus radicale, redoutable, c’est cet homme qui n’a pas été invité et est entré comme un intrus, non revêtu de l’habit de noces. Nous sommes effrayés parce que nous nous disons, mais comment le Seigneur, qui est tout amour, peut-il dire que cet homme qui n’est pas revêtu de l’habit de noces, qu’il sera rejeté dans la géhenne, dans le feu, pieds et poings liés ? Pieds et poings liés, je le suis, si je vais à l’Eucharistie, à l’Eglise, à la religion de manière extérieure, sociétale, sociale, c’est-à-dire montrer ce que je crois, mais sans être véritablement bouleversé, transformé, travaillé de l’intérieur. Cet homme non revêtu de l’habit de noces, c’est cet homme représenté au travers de Josué dans le Livre de Zacharie ; l’Ange entend Josué qui est l’homme sale , il est sali par le monde, non pas que le monde soit mauvais, mais il est sali par l’esprit du monde, un monde arque bouté sur lui-même, un monde qui est dans l’égoïsme, dans le court terme, dans le matérialisme, qui oublie sa destinée ultime ; c’est cela qui salit l’homme, l’homme qui se laisse enfermé par les idéologies politiques, religieuse, l’économisme, le chacun pour soi. Josué est sali par ce monde et l’Ange du Seigneur, qui va demander à ce que Josué soit recouvert du turban et de la robe des noces, annonce ce que dit l’épître de St Paul aux Ephésiens, nous revêtons l’homme nouveau. La robe n’est pas simplement un apparat extérieur, mais une transformation. Que vais-je vivre lorsque je vais à l’Eucharistie, lorsque j’entre dans la prière, lorsque je vais vers le sacrement de réconciliation ? Est ce simplement un acte cultuel ou est ce que, rencontrant le Christ, je me laisse transformer de l’intérieur ? Etant transformé, je peux alors proposé au monde environnant, non pas une morale ni une éthique, mais une transformation, une rénovation, une régénération parce que, appelant l’Esprit du Très Haut, nous allons permettre de laisser passer la vie, la vie autre, cette vie qui va faire fleurir le printemps de Dieu. 


Oui, c’est cela le sens de cet homme venu sans la robe. Reconnaissons que nous venons souvent dans nos eucharisties sans la robe de noces, pleins de nos ressentiments, pleins de nous-mêmes avec nos colères, nos chagrins, nos sentiments d’exclusion et nous ressortons plus ou moins rénovés, plutôt moins que plus parce que nous n’avons pas laissé passer ce Souffle divin, ce fleuve de Dieu. C’est cela la robe. Il nous faut revêtir la robe, nous laisser inviter, accueillir l’invitation. Pour répondre à cette invitation, il faut avoir ce désir de vivre le nouveau, la nouveauté, l’altérité, l’autrement, le commencement, le béréchit, le enarché .


Aussi, en recevant dans nos mains le corps et le sang du Christ, demandons cette folie au yeux des hommes, mais cette sagesse aux yeux de Dieu, et de devenir le corps et le sang du Christ et d’être donné au monde pour que ce monde devienne, à son tour, banquet eucharistique, car la liturgie, si elle ne se résume pas à l’Eucharistie doit embraser le monde dans une Eucharistie.


Ainsi, comme le disait Theillard de Chardin, puissions-nous célébrer la messe sur le monde. Encore faut-il que nous célébrions la Messe sur notre monde intérieur. Amen