Paroisse Sainte Marie de Magdala

Homélie du Père Pierre (Colombani), dimanche 24 mars 2013 

Recteur de la Paroisse


Zacharie 9,  9 - 12

1 Timothée 6,  12 - 16

Jean 12,  1 - 16


       Frères et soeurs, quelle signification donner ce matin à cette fête des Rameaux ? Il me semble que la question qui se pose à nous est celle de notre rapport à la mort. Comment envisageons-nous la mort ? Est-elle pour nous une catastrophe ? Est-elle pour nous ce  naufrage vers lequel nous allons inexorablement ? Ou est-elle un lieu signifiant le sens même de ce que nous sommes venus expérimenter par cette incarnation ?

         Tout ce dialogue que nous venons d'entendre entre Jésus et les chefs des prêtres, entre Jésus et Pilate, nous ramène en réalité à cette espèce de grande peur ontologique qui nous habite tous : le rapport à la mort. Et derrière, l'autre question, notre foi est-elle seulement une peur de la mort qui nous ferait couvrir d'un voile cette espèce de grande interrogation qui ferait que nous serions rassurés en disant qu'il existe un Dieu ? Ou bien cette mort est-elle pour nous véritablement un espace de révélation ?

         C'est exactement ce qui va se vivre, mes amis, au cours de cette Passion et de cette mort de notre Seigneur Jésus, car lorsque ces foules en délire acclament Jésus, que font-elles ?  Elles nous ressemblent, elles ressemblent à l'homme de toujours, cet homme qui brandit une divinité pour ne pas passer par ce qui lui apparaît comme terrifiant.  Car pour nous il est terrifiant de devoir mourir : mourir, pourrir dans la terre ou dans un tombeau, nous demandant si réellement nous aurons un au-delà ; mais déjà ici bas, passer par des épreuves, par des difficultés qui finissent par devenir pour nous l'objet même de notre doute : Mais Dieu existe-t-il ? Alors oui nous professons des divinités, nous professons des religions, nous nous battons pour des religions au nom d'idéologies religieuses pour dire : ça suffit ! Et le Dieu auquel nous nous référons va nous permettre d'échapper à ces vicissitudes, d'échapper à ce chemin terrifiant, d'échapper à l'histoire et aux contingences du temps.

         Et voici Jésus, qui se révèle comme le fils de l'homme et comme le fils de Dieu. Il ne va pas se dérober par rapport à cette question si essentielle, il va aller vers la mort. Non pas que son père veuille qu'il meure, non pas que son père veuille qu'il souffre ; mais au-delà de la souffrance, au-delà de la mort, il affirme qu'il y a ce chemin qui le relie au Père. Et que par conséquent cette mort, non seulement n'est pas le dernier mot de son existence, mais cette mort devient la révélation même de ce pourquoi il est venu. Il ne cherche pas à mourir, mais puisqu'on doit le faire mourir pour lui faire admettre que ce qu'il prêche est une erreur ; jusque dans la mort il affirmera qui il est : Fils du Très Haut.

         Ainsi, mes amis, la mort prend toutes sa dimension de révélation, elle vient comme ébranler ce qui, en nous, pourrait être résistance, ce qui est, en nous, pourrait être opacité de peur, pour nous amener à cette vérité ultime : Te reconnais tu comme fils de Dieu ? Te reconnais tu comme fils du Très Haut ? Et ô combien lorsqu'on passe par la souffrance, lorsqu'on est dans le dernier souffle avant la mort, nous sommes traversés par ces tourments et nous dire : oui Seigneur je veux bien être ton fils mais pourquoi en passer par là ?

         La réponse est amenée dans cette évocation de la Passion et de la mort de notre Seigneur : " Père, pardonne leur, ils ne savent pas ce qu'ils font. " Ainsi le Christ aborde  sa propre mort comme la révélation du Père, car par cette mort il accomplit, il réalise ce qu'il y a de majeur dans sa prédication. Depuis trois ans, alors qu'il marchait sur les routes de Palestine il n'a fait que prêcher l'amour et, à ce moment là, il va devenir : la manifestation de l'amour, l'incarnation de l'amour, l'ultime amour, la miséricorde : " pardonne leur," le pardon ! Ainsi la mort n'est plus une malédiction, mais elle vient tuer le processus de mort qui habite l'homme. L'homme veut imposer la mort pour faire taire la parole de vie, et cette parole de vie embrasse la mort pour vivre. " Vous êtes pardonnés."  Comment appréhender nos propres finitudes, nos propres limites, nos propres échecs, notre propre mort, comme des espaces où nous pourrons révéler cette miséricorde, révéler ce pardon ? Car si nous appréhendons nos espaces mortifères comme l'occasion de dire le pardon de Dieu, alors nous deviendrons des vivants, des vivants un jour avec le Ressuscité, mais des vivants aujourd'hui avec le Crucifié. La vie passe par cette capacité au pardon, car le pardon c'est déjà la puissance de la Résurrection.  Pardonner à celui qui nous a fait mal : qu'il soit individu, qu'il soit communautaire, qu'il soit nation, qu'il soit culture, religion ; le pardon, la puissance du pardon qui révolutionne le monde et qui fait que des peuples peuvent repartir comme ce fut le cas un jour en Afrique du Sud et dans bien d'autres espaces.

         Mes amis, en ce dimanche nous célébrons les Rameaux. Serons-nous emportés par l'esprit de ce monde qui nous fait toujours voir, dans la lucarne de nos informations télévisées, simplement le mal, la mort, comme l'esprit qui devrait nous habiter ?  Ou au contraire, regarderons-nous tous ces affrontements comme la convocation pour nous à dire : l'amour est plus grand que tout et cet amour féconde  la vie, cet amour porte un nom : c'est la paix dans la miséricorde. Cette paix, mes amis, nous n'en sommes pas capables mais le Seigneur mourant sur la Croix, rendant son souffle, remet le Souffle du Père à l'homme au pied de la croix. Nous qui sommes toujours à proclamer la puissance du Saint Esprit au jour de Pentecôte, voyons que déjà, dans cet événement des Rameaux, tout est contenu, tout est ramassé : l'incarnation prend tout son sens, pour dire que la finitude n'est pas le dernier temps ; la mort qui est pulvérisée, la vie qui est déjà annoncée par cette miséricorde, et Pentecôte qui pointe déjà car le Souffle est remis à l'homme ; l'homme pantelant, l'homme qui n'en peut plus, qui se croit perdu, mais l'homme qui tout à coup va pouvoir devenir réceptacle de ce Souffle.

         Oui, au pied de la Croix, mes amis, c'est tout cela que nous recevons. Aussi en cette fête des Rameaux, approprions nous la Croix, cette Croix que nous portons, non plus comme un signe d'échec, non plus comme un signe mortifère ou de malédiction, mais comme le signe de l'espérance, car la miséricorde peut tout lorsqu'elle devient le visage du pardon.  " Père, entre tes mains je remets ma vie "  et ma vie c'est ce moment où je deviens l'Amour : pour mon époux, mon épouse, mon voisin, pour mon enfant, mon ami ; mais où je deviens surtout l'amour pour mon ennemi, celui qui me dérange tant, celui qui est le plus lointain de mon histoire, celui que je voudrais toujours rejeter à la périphérie de ma vie. Oui, le pardon pour cette nuit-là, fait que je puis devenir visage de Ta vie, au-delà de toutes les illusions religieuses ; car là, Seigneur, je touche à ce qui dépasse l'homme et à ce qui t'appartient à Toi Dieu.  Amen