Paroisse Sainte Marie de Magdala

Homélie du Père Pierre (Colombani) - dimanche 26 mai 2013 


Génèse 18,  1 - 15

Galates 6,  8 - 14

Matthieu 28, 16 - 20


         Méfions-nous, mes amis, des expressions toutes faites qui font que bien souvent nous en perdons le sens et la saveur, ainsi celle qui consiste à dire : " Dieu est amour, Dieu est vivant."  Sur quoi fonde-t-on ces expressions pour affirmer cela ? 

         Là, le mystère de la Sainte Trinité que nous fêtons ce matin vient nous permettre d'entrer dans la compréhension de ce double mouvement : de la vie, et de la mort. Il n'y a pas de vie sans relation, il n'est qu'à regarder ce que nous sommes, nous sommes des êtres faits pour la relation, nous sommes faits pour voir, pour entendre, pour parler, pour nous enlacer, et toutes nos fonctions humaines vont permettre cette nécessité anthropologique d'étre dans la relation, être avec l'autre. Si nous regardons la cellule vivante dans l'infiniment petit comme dans l'infiniment grand, tout le système cellulaire du cosmos est un mouvement incessant,  une relation incessante. Ainsi la relation vient dire la vie, une vie en vis-à-vis, une vie en appel, établissant un mouvement qui permet la complémentarité. Il y a cellules cancéreuses dans le corps lorsque les cellules ne sont plus en harmonie et en organisation mais qu'il y a explosion par la suprématie de certaines cellules sur d'autres, et là c'est la désorganisation et la mort.

         Ainsi, l'amour est lié à la vie en termes de relations harmonieuses, de relations où l'on est ordonné les uns aux autres. C'est pour cela que dans le Premier Testament il est dit que la plénitude de l'image divine c'est homme et la femme. L'homme et la femme dans le sens où deux identités différentes, non pas contraires mais autres, sont appelées à se regarder, à se retrouver, et dans cet appel il y a comme un mouvement qui permet, au-delà de l'échange, une fécondité. Dès lors, la vie et l'amour sont deux mouvements d'un même chemin. Lorsque nous allons dire que Dieu est amour nous entrons dans ces deux mouvements du même chemin, un chemin qui nous permet tout à coup de saisir à quel point l'amour est une fécondité en termes d'une relation qui permet un autrement, un nouveau, une possibilité toujours extraordinairement autre qui nous est proposée.

         Le mystère de la Sainte Trinité, mes amis, s'inscrit donc dans cette révélation qui est faite depuis le judaïsme, depuis  le Premier Testament. Le judaïsme à porté haut et fort ses couleurs pour dire que Dieu est amour. Le judaïsme l'a exprimé d'abord dans le livre du Deutéronome : " Tu aimeras ton Dieu, tu l'aimeras de tout ton coeur parce qu'il est l'Unique." Mais cette unicité ne pouvait pas être une sorte de monolithisme, et ce " Un " appelait une sorte de communion. Déjà au livre du Lévitique il était dit :" tu aimeras ton prochain comme toi-même," et ainsi nous saisissions que ce Dieu " Un " qu'il fallait aimer nous ne pouvions pas l'approcher sans l'amour du prochain.  Mais, dans le Nouveau Testament cela va beaucoup plus loin puisque Dieu se manifeste en un homme, Jésus de Nazareth, qui est totalement Dieu et totalement homme, et qui va nous dire que pour accéder à cette divinité à travers notre humanité nous devons être dans cette ouverture à l'Esprit Saint, ce que nous avons signifié la semaine dernière, au travers du mystère de la Pentecôte, l'Esprit Saint.  Saint-Paul, dans son épître aux Romains, que nous venons d'entendre, nous dit que, si nous pouvons crier : " Abba Père," c'est que nous sommes instruits par l'Esprit Saint qui vient parler à notre esprit. Un esprit qui nous permet d'entendre que ce Jésus, qui est totalement Dieu et totalement homme, nous ouvre un chemin tout à fait particulier en cela qu'il nous inscrit dans la relation. Nous n'allons plus regarder Dieu comme un lointain, mais nous allons regarder Dieu comme un Père qui nous appelle, comme une Parole appelante qui nous identifie dans une réponse à donner, en cela il est : " Abba Père ", en cela nous devenons des fils et des filles, en cela nous sommes dans une communion, dans une intimité, dans une complicité.  Tout ce mouvement de la vie, dans les relations dont nous parlions au point de vue cellulaire dans l'infiniment petit comme dans l'infiniment grand, prend tout son sens dans cette relation de père à fils et de père à fille, de fils et de fille à Père : Abba !

         Là alors, comme le disait le livre du Deutéronome, nous pouvons contempler Dieu comme Amour, amour en cela qu'il nous regarde non pas comme des créatures mais comme des enfants, c'est-à-dire des êtres issus de Lui et appelés à revenir à Lui. Là le mouvement trinitaire s'instaure. C'est-à-dire que nous venons de Dieu, nous sommes appelés à retourner en Dieu ; nous sommes investis de Dieu par la puissance du Saint Esprit et il nous faut cheminer pour aller constamment vers Lui.  Alors, me direz-vous, quel est le sens de cette incarnation, pourquoi être venu sur terre puisque nous sommes de Dieu, que nous venons de Dieu et que nous retournerons à Dieu ? Quel est le sens de cet aujourd'hui ? Le sens de cet aujourd'hui dans l'incarnation c'est justement d'expérimenter la Loi , car il n'y a pas d'amour sans une liberté. Si, par évidence, tout s'impose à moi, je ne suis plus libre et je ne peux pas aimer,  car l'amour est un appel, c'est une réponse, c'est donc une recherche, c'est un désir, c'est une quête, c'est une histoire où nous sommes dans une danse incessante : l'époux qui appelle l'épouse, la bien-aimée qui appelle son bien-aimé, une relation qui nous met dans une danse et qui constitue le couple, mais qui constitue  tous les couples, car il y a le couple conjugal mais il y a aussi le couple des amis, il y a le couple des parents, tous ces couples, tous ces corps par lesquels nous passons et dans lesquels il nous faut entrer dans  un mouvement de danse, la danse de l'amour, la danse où je saisis que cette incarnation c'est ce temps où j'apprends à passer par des épreuves pour trouver le sens du chemin qui est un temps de l'amour. " Me voici " je me défais de toutes les attentes pour être dans cette réponse radicale à ce que tu veux de moi, me voici ! Et quand ce " me voici " nous le déclinons auprès de notre bien-aimé, de notre ami, de notre frère, de notre soeur, de notre voisin, nos appréhendons le mystère du," me voici," en Dieu. Car il n'y a pas de séparation entre Dieu et l'homme puisque tout est réalisé, déjà, ici bas en ce monde, par la puissance du Saint Esprit. Saisissons donc que ce mystère trinitaire, ce n'est pas pour nous embrumer, pour nous rendre opaque la réalité de Dieu, mais au contraire pour comprendre la profondeur de ce qui est engagé ici et maintenant et qui ouvre le chemin.

         Si nous saisissons cela nous saisissons aussi qu'il n'y a pas de mort, qu'il n'y a que des passages. Et aujourd'hui, alors que nous prions pour deux défunts,  nous comprenons que tout est mouvement, que tout est relation, que tout est expansion, ils sont aspirés vers la lumière divine.  Je me souviens de notre amie Marthe qui a été une grande militante chrétienne, mais de façon très humble en soutenant celui qui a été son époux pour qu'il soit investi de responsabilités dans l'Eglise, à travers l' ACO, à travers le syndicalisme, et elle, simplement, faisait un travail de petites mains, élevait ses enfants, était là pour instiller un mouvement de vie et c'est la vie qui passe.  Je me souviens également du père Johann qui était toujours dans cet accueil de l'autre, qui n'était pas un grand intellectuel, qui n'était pas dans de grandes déclarations théologiques, mais qui avait ce souci de l'accueil de l'autre au travers de l'orthodoxie au monastère, au travers de la diaconie du Var pour accompagner les malades et les souffrants, au travers de ceux qui de façon plus large, avec Mère Âma, se retrouvaient au Zénith une fois par an pour prier dans une sorte de méditation.  Oui, ces êtres nous permettent de comprendre la profondeur de ce mystère trinitaire. Et aujourd'hui nous qui sommes des croyants, des baptisés, qui sommes enflammés de ce désir de répondre à Dieu, regardons précisément comment nous pouvons nous mettre dans un chemin d'amour qui nous permettra d'être des vivants et d'entrer dans cette foi qui n'est pas simplement une adhésion à un système de pensée, mais véritablement un saisissement qui fait de nous des créatures nouvelles.

         Chaque jour, lorsque nous nous levons, quand bien même nous sommes faits de soucis, parce qu'il y a le travail, pour certains le manque de travail, parce qu'on a son handicap à porter, parce qu'on a à porter l'absence de l'autre qui a disparu, parce que tous nous avons des soucis matériels ou des projets à réaliser. Prenons de la distance et regardons ce temps qui s'offre à nous comme le jour où nous devons répondre, répondre à l'appel de l'amour et être dans cet amour, mais pour cela toujours prendre cette distance pour reconnaître Celui qui est notre Père, Celui qui nous appelle, " Abba ", et qui nous constitue comme des Fils et des Filles.

          Alors la journée sera radieuse, alors chaque rencontre deviendra l'épiphanie, le visage de ce Dieu qui sera présent en nous, alors tout prendra son sens et alors la relation, la communion, l'amour, la vie ne seront pas des vains mots et nous serons dans cette présence ineffable de Celui qui nous dit : " Va sur la montagne, élève toi et ta vie aura de la hauteur."            Amen