Paroisse Sainte Marie de Magdala

Homélie du Père Pierre (Colombani) - dimanche 14 juin 2015 


Nous avons très souvent entendu la parabole de la brebis égarée et chaque fois que nous l’entendons, nous sommes arque boutés en nous disant que le Seigneur est étonnant. Comment ne pas s’intéresser d’abord aux justes et pourquoi aller regarder du côté de celui qui a fauté, de celui qui a péché ? 


En réalité, le Seigneur nous invite à méditer sur notre désir de Dieu. Nous pouvons dire « je suis croyant, je suis chrétien, j’appartiens à telle ou telle Eglise ». Nous sommes pris dans un processus habituel, mais pour qu’il y ait la jeunesse de la foi, la profondeur de la foi, la rencontre véritable avec son Seigneur, encore faut-il que nous soyons dans une dynamique, dans un désir. Quel est notre désir ?


En réalité, si Jésus prend l’exemple de la brebis perdue, de la pièce perdue, Il vient nous mettre en questionnement sur la notion de perdition. Avons-nous conscience de ce que nous avons perdu, de nos états d’exil ? Avons-nous conscience de ce que nous ne sommes pas. En faisant ce parallèle entre les quatre vingt dix neuf justes et la brebis perdue, le Seigneur vient nous inviter sur notre regard par rapport à notre vie intérieure et extérieure.


Au plan intérieur, si je ne m’intéresse qu’aux quatre vingt dix neuf brebis justes, je serai tellement installé en moi, dans ma foi, dans mes certitudes, que je n’aurai plus de désir et surtout pas le désir de Dieu, car Dieu, ce n’est pas une définition dogmatique, un catéchisme, une église, une institution, une religion, mais Dieu est le Tout Autre, Celui que nous avons défini au cours de ces derniers dimanches, au travers de la célébration de Pentecôte, du mystère Trinitaire, autrement dit celui qui se laisse rechercher, qui se met dans un mouvement, celui qui nous met en mouvement. 


Par conséquent, je dois toujours être dans l’au-delà de tout, être dans le désir autre, être dans cette recherche, qui fait que, quelque soit ma situation existentielle, rien ne me satisfait, non pas que je sois dans une insatisfaction, mais au sens où je comprends, je médite que je ne suis pas fait, que ma sœur, mon frère n’est pas fait, que l’histoire n’est pas faite. Plutôt que de toujours dire que les choses vont mal, qu’il y a le mal partout, contempler dans ce qui ne va pas la réalité d’un inaccompli qui me dit que les choses sont encore à accomplir. Pour qu’elles s’accomplissent, je dois désirer Celui qui va pouvoir me sauver, Celui qui va pouvoir remettre le chemin droit, désirer ce souffle de vie en moi et dans le monde.


La première question est donc là, simple et puissante : quel est mon désir du Seigneur ? Suis-je dans les quatre vingt dix neuf brebis, installé, n’attendant plus rien, certain de ce que je suis, crois et espère ? Suis-je dans cette brebis perdue, c’est-à-dire cette frange de ma vie, cette périphérie où, à un moment donné, je reconnais que je ne sais pas, que je doute, que je n’en peux plus. Au cœur de ces doutes, de ces moments difficiles, c’est là où je dois appeler et je ne peux pas simplement m’en remettre à ce que je crois et espère, mais je dois m’en remettre à Celui qui me dit de découvrir encore, d’aller plus loin, et de réinventer ma vie.


Quel est mon désir de toi, Seigneur ?


Après cette première question, nous entrons dans ce qu’évoque l’épître de St Pierre, ce combat avec le diable. Diabolos, en grec, cela veut dire le diviseur. Plus je vais descendre dans la réalité de la brebis perdue, de la pièce perdue, plus je vais comprendre que la question n’est pas de regarder du côté des quatre vingt dix neuf justes ou de celle qui est perdue, mais de regarder ce qui me sépare des deux, ce que les Juifs et les Pharisiens viennent condamner dans l’Evangile de Luc. Comment mange-t-il avec les pécheurs ? Il y a séparation entre ce qui est juste et ce qui ne l’est pas. Je suis un homme séparé, tu es une femme, un homme séparé. Lorsque nous allons parler de ce qui est juste et de ce qui ne l’est pas, en réalité, nous allons parler de ce qui nous met en séparation. 


Nous retrouvons alors ce jardin de l’Eden où Dieu avait interdit de manger le fruit de l’arbre de la connaissance du bien et du mal, parce que, tant que nous sommes dans cette proclamation de ce qui est bien ou mal, nous sommes toujours dans la dualité. Le diable, ce n’est pas un diablotin qui tournerait au tour de moi et qui me ferait faire des mauvaises choses, mais c’est cette subtilité, cette nuance qui me fait croire que je suis dans le juste ou qui me fait désespérer parce que je serai dans le mal. En réalité, je dois me défaire des notions de bien et de mal qui mettent le monde en dualité, en division, parce qu’il y a aura toujours celui qui se croit dans le bien ou qui se croit dans le mal, qui va condamner ou qui va subir. Pour arriver au monde nouveau, au monde du Christ, ce n’est plus la question du bien ou du mal, mais la question de l’Amour. L’Amour, ce n’est pas un sentiment, une émotion, une tolérance, mais c’est cette éclosion qui fait qu’il y a de la bonne terre, mais aussi du fumier. Dans cette alchimie entre la terre et le fumier, tout à coup, va fleurir la fleur. Je suis pétri de ce bien, de ce mal. Ce que je dois rechercher au delà, c’est cet amour qui me met en mouvement, en éclosion et qui fait que, si je puis croire en cette éclosion de moi-même, je vais croire en l’éclosion de l’autre et je vais croire en l’éclosion du monde.


Dès lors, nous ne sommes pas faits, nous sommes inaccomplis. Au coeur même de ces inaccomplis, plutôt que de porter des jugements qui nous mettront toujours en violence, en guerre, en nous excluant les uns les autres, en nous excommuniant les uns les autres, au nom des dieux, des religions, des idéologies, nous allons au contraire nous unifier dans l’amour, un amour qui fait que je reconnais que l’homme, quelle que soit sa croyance, sa religion, sa culture, quel que soit son état, il est l’être universel dans lequel brille la même recherche vitale, dans lequel résonne cette même quête de la vie, dans lequel on ressent ce frémissement de la peur devant tout ce qui peut l’inquiéter. Cet homme universel, il est blanc, jaune, de toutes les couleurs, de tous les temps. Nous le sommes les uns les autres. Nous sentons à quel point, si nous descendons dans cette profondeur de l’amour, nous sommes toute la terre de Dieu, de l’Eden qui ne sera plus l’arbre de la connaissance du bien et du mal, mais la terre de l’arbre de Vie.


Ezéchiel nous le dit : Qu’avez-vous fait, pasteurs ? Où êtes-vous, pasteurs ? Nous allons toujours regarder les pasteurs du côté de l’évêque, du prêtre, du diacre, mais nous oublions que nous sommes, par notre baptême, prêtre, prophète, roi. Ces pasteurs, c’est nous tous et il nous incombe de ne pas nous laisser enfermer dans cette dualité, cette séparation entre je suis dans le juste ou je suis dans le mal. Il nous incombe d’aller évangéliser en profondeur nos terres et nous dire « entends ton Christ qui t’appelle », et de sortir de nos terres intérieures pour aller au monde et dire dans le monde : « écoutons le Christ qui nous appelle ».


Ainsi, la question du désir de Dieu nous replace dans cette grande mystique qui nous arrache à l’illusion de la dualité pour nous placer dans la contemplation de l’amour, mais qui aussi nous pose la grande exigence de notre dimension pastorale : que fais-tu de toi-même et que fais-tu de ton frère ?


Nous ne sommes pas chrétiens pour nous-mêmes, mais pour l’être nouveau qui attend en nous et à l’extérieur de nous.
Alors, soyons des êtres debout, éveillés, missionnaires, évangélisateurs, non pas en brandissant des vérités contre d’autres vérités, mais en brandissant l’Amour qui met l’homme en réconciliation de lui-même avec tous les règnes du vivant. Alors, oui, je vous le dis, Christ sera notre Pasteur et nous deviendrons les pasteurs du Christ, rassemblant nos troupeaux à l’intérieur et à l’extérieur de nous-mêmes. Oui, je vous le dis, le monde sera réunifié dans cet arbre de Vie, l’Eden de Dieu. Amen