Paroisse Sainte Marie de Magdala

Homélie du Père Pierre (Colombani), dimanche 2 septembre 2012

Recteur de la Paroisse


Ne vous inquiétez de rien 

Qo 3, 1 à 15 ; Ga 5, 16 à 24 ; Mt 6, 24 à 34 


Un temps pour rire, un temps pour pleurer ; un temps pour faire la guerre, un temps pour faire la paix. Ainsi le livre de l’ecclésiaste, nous fait entrer dans une perspective de la temporalité avec cette espèce de basculement : négativité, positivité. Et l’auteur de ce passage nous présente ainsi 14 paires qui se répartissent dans le versant positif et dans le versant négatif. 14 paires, autrement dit : deux fois 7. Deux créations pour aboutir à la troisième, dans laquelle nous sommes aujourd’hui, à laquelle nous sommes conviés. Il est intéressant dans ce passage qu’il y ait toujours ce double mouvement, car se faisant, l’auteur nous décrit exactement ce qu’est notre existence. Comme il y a le jour et la nuit, nous sommes dans une sorte d’étirement permanent : entre nos bonnes intentions, ce que nous voudrions être, ce que nous voudrions choisir ; et ce que nous sommes, vaille que vaille, poussés par nos pulsions, par nos démons intérieurs, par tout ce qui nous aliène, nous emprisonne, nous empêche d’être totalement présents à cette conscience qui voudrait que nous soyons pleinement parfaits. Oui, c’est le combat de l’Homme depuis toujours, ce rapport entre le bien et le mal, ce combat entre ce qu’il voudrait tellement devenir et ce qu’il est encore, en devenir. Et puis nous avons cette épître de St Paul aux Galates qui reprend exactement cette problématique, mais en la présentant sous les thématiques de la chair et de l’esprit. Paul nous éclaire en nous disant : chaque fois que dans ces paires, nous sommes dans le versant négatif, nous sommes tirés par l’esprit de la chair. La chair, mes amis, ce n’est pas simplement la chair physiologique, sexuelle, sexuée. La chair c’est l’humanité dans son amnésie, l’humanité qui oublie d’où elle vient, où elle va, qui elle est, l’humanité qui est en exil, sortie de l’Eden, l’humanité qui n’est plus dans cette respiration du divin, qui ne se replace plus dans l’essentiel. Et cette humanité, lorsqu’elle n’est plus dans l’essentiel, passe alors dans ce versant parce qu’elle craint tellement pour elle-même, elle est toujours dans la guerre, dans le refus de l’autre, dans le meurtre d’Abel perpétué depuis Caïn, et que nous portons encore individuellement, collectivement, socialement au niveau des êtres, des peuples. 

Regardez tout ce qui se passe aujourd’hui malgré toute cette conscience humaine qui a essayé de se travailler au travers des sagesses, des philosophies, des religions. Cette humanité est toujours la même. Elle piétine l’autre, par peur, par besoin de se grandir au travers de ce qui est tellement irréel, passager. C’est cela que nous rappelle St Paul dans son épître : l’Esprit de la chair, le monde en exil, le monde sans Dieu, sans racine, le monde non centré. Et puis il y a le monde de l’Esprit, ce monde qui se laisse insuffler et ce monde là, nous dit Paul, peut produire la joie, la paix, l’Amour. Alors, nous sommes tous prêts à vivre cet esprit là, l’Esprit Saint, le Souffle de Dieu ; nous sommes prêts à le vivre, nous le désirons, nous le voulons. Et nous serions prêts à dire à Paul : donne nous la recette : « Car toi qui a parlé il y a 2000 ans, tu devais avoir une recette pour nous arracher de cet esprit de la chair pour aller vers l’Esprit Saint, vers le Souffle, car nous l’avons reçu ce Souffle à notre baptême, nous l’avons reçu à la vie. Ce n’est pas le baptême qui nous l’a donné, mais la vie, le baptême nous l’a manifesté, signifié et pourtant nous vivons comme si nous n’étions pas insufflés. Alors Paul, dis-nous le secret ! » Mais le secret est donné par le maître, par Jésus, donné dans l’Evangile de Mathieu ce matin. Jésus nous dit : « Ne vous inquiétez de rien ». En écoutant cet Evangile, nous sommes pris de vertige, en un monde où nous sommes constamment en train de contracter des assurances parce que nous sommes toujours dans l’inquiétude, dans la peur, dans le souci du lendemain. Cet évangile apparaît complètement décalé. Nous appelle-t-il donc à l’insouciance, à l’incohérence, à être comme des êtres qui seraient totalement dédouanés de toute responsabilité ? Pas du tout ! Entendons cet Evangile, non pas comme la promotion de l’insouciance, mais beaucoup plus comme l’appel profond, radical, à la confiance. Se confier, c’est avoir foi avec. Et je ne peux pas avoir confiance si je n’ai pas foi en un autre. Comment pourrions nous avoir confiance si nous ne prenons pas le temps, d’écouter Celui qui nous parle, de nous retourner pour accueillir Celui qui ne cesse de nous instruire, comment pourrions nous avoir confiance si nous ne prenons pas le temps de prier, c'est-à-dire de casser cette temporalité qui voudrait nous promener entre le mal et le bien, entre ce que nous ne voudrions pas être et ce que nous sommes ? 

Oui, la prière est là pour casser cette temporalité et nous replacer dans un appel, car nous sommes tous des êtres convoqués, appelés à la vie par Celui qui est le principe de la vie, le Vivant, l’Eternel, Celui qui ne cesse de nous dire : « Tu es digne, tu es grand, tu es beau, non pour ce que tu fais, pauvre grain de sable perdu dans le désert, mais parce que je t’ai désiré depuis les commencements jusqu’à la fin ». Aussi, mes amis, la confiance, ce n’est pas de vivre totalement sorti du monde et de ses contingences, mais la confiance c’est de savoir que quoique nous fassions, quoiqu’il nous arrive, tout est grâce, Comme le disait St Augustin : « Tout est grâce. », il n’y a plus le bien, le mal, la bénédiction ou la malédiction, mais il y a l’évènement au cœur duquel je dois entendre la Parole, lire le signe. Et pour entendre cette Parole et lire ce signe, je dois me fier, me confier, je dois vivre cette confiance, c'est-à-dire : quoiqu’il advienne, Seigneur, je sais que c’est pour me conduire vers le port, vers cet Eden perdu, c’est pour m’arracher de l’exil, c’est pour retrouver ce lien à toi. Et tout devient ainsi initiatique, devient réparation, transformation, montée vers la Jérusalem d’en haut. Voilà ce qu’est la confiance, et si nous vivons dans cette confiance, alors oui, je vous le dis, il y aura de la joie en nous, de l’Amour, il y aura cette capacité à regarder le monde comme il est beau. Mais il ne peut pas être beau si nous ne sommes pas investis pour le voir beau, car il nous faut nous arracher de toutes ces vieilles peaux qu’on ne cesse de nous mettre sur les yeux, de toutes ces vieilles écailles. Il faut nous défaire de tout cela. 

Quand nous écoutons la radio, regardons la TV, lisons les journaux. Il faut nous tenir au courant pour être dans ce monde mais ne pas croire à tout ce qui nous est dit, car ce n’est pas cela la foi, ce ne sont que des croyances. La foi, c’est d’être conscient de ce qui se vit et d’une conscience qui fait que nous sommes tenus au courant de tout ce monde en effervescence, mais nous, n’oublions pas qui nous sommes, d’où nous venons, où nous allons. Alors au cœur de cette cohérence, nous aurons la paix en nous, nous ne serons plus dans les tempêtes et nous pourrons voir tous les volcans, toutes les laves se déverser autour de nous. Nous serons acteurs du monde parce que nous aurons la paix et pourrons dire à nos frères et sœur : « N’ayez pas peur ; nous pouvons avancer, trouver notre dignité, travailler à la Justice, au Royaume, à faire des liens entre nous, parce que nous sommes enfants de Dieu et que nous nous reconnaissons comme tels ; et que toi mon frère je te reconnais comme tel au-delà de tout ce que tu peux me faire. » 

Oui mes amis, écoutons ce livre du Qohelet « un temps pour rire, un temps pour pleurer ». Et que nos pleurs et nos rires soient le chemin qui nous conduise toujours au Souffle de l’Esprit et pour cela ayons confiance, soyons dans cette Présence: prions, écoutons, observons et nous serons les pierres vivantes de ce moment. 

Amen.