Paroisse Sainte Marie de Magdala

Homélie du Père Pierre (Colombani), Pentecôte - dimanche 19 mai 2013 


Romains 8,  8 - 17

Actes des Apôtres 2, 1 - 11 

Jean 14, 15 - 29


         Grande fête de l'Eglise, frères et soeurs, fête de Pentecôte, la venue de l'Esprit Saint, cinquante jours après Pâques. Vous avez entendu dans ce passage du final de l'Évangile de Jean, Jésus qui nous dit : " Le Père enverra le paraclet, un défenseur qui nous permettra de comprendre, d'entendre, d'interpréter, et de vous souvenir de toutes les Paroles que je vous ai dites."  Il me semble qu'à partir de ce verset de l'Évangile de Jean, nous pouvons pénétrer toute la dimension mystèrique de cette solennité de Pentecôte.

         " Nous souvenir de toutes les Paroles que le Seigneur nous a dites." Quelles sont donc ces Paroles, frères et soeurs ?  Ce sont d'abord celles du Premier Testament, qui nous annonce que nous sommes  " Images de Dieu."  Rendons-nous compte, qu'au-delà de toutes nos exactions, au-delà de toutes nos blessures, de nos limites, de nos difficultés, nous portons en nous cette dimension de l'imaginal, image de Dieu. C'est-à-dire que nous sommes dépositaires d'un trésor extraordinaire et que notre vocation terrestre est de réveiller en nous cette identité, une identité qui ne fait pas simplement de nous des images jaunies que l'on laisserait au fond d'un tiroir, mais une image qui est réactivée chaque fois que nous allons faire mémoire de cet imaginal en nous. Nous allons pouvoir sentir le bénéfice de l'Esprit Saint qui vient secouer notre poussière, secouer nos êtres de l'Adama pour nous faire passer vers Eva, l'être de vie, de l'autre côté, entrer dans cet éden nouveau que nous avions quitté, nous qui étions en exil.

          Et puis il y a ces autres paroles dites par notre Seigneur : " Vous ferez ceci en mémoire de moi."  Le pain, le vin qui deviennent le Corps et le Sang du Christ ; et au travers de ce pain et ce vin, corporéités qui semblent demeurer et qui pourtant, tout à coup, sont comme transmutées et placent la réalité divine au milieu de nous. C'est nous-mêmes, dans nos corps, qui sommes comme conduits au plus haut de nous-mêmes, transfigurés, montés sur le Mont-Thabor pour dire : " Tu n'es pas un être de chair, tu n'es pas un être de mort, mais dans ta chair et dans ta mort tu es porteur d'une vie autre, d'une vie plus puissante."  Nous souvenir de l'imaginal, nous souvenir de cette affirmation du Christ, lui qui est mort et ressuscité. Et tout à coup il faut aussi nous souvenir d'une parole qui nous a été dite à chacune et à chacun d'entre nous d'une façon singulière au moment où nous nous sommes entendus être appelés, où nous avons été choisis : " Viens, suis-moi ! "  Faire mémoire de tout cela, c'est activer en nous l'Esprit Saint, le Souffle de vie, qui fait qu'il n'y a plus Dieu d'un côté et l'homme de l'autre, dans une distance qui serait épouvantable, mais au contraire il y a eu une unité, un rassemblement, une communion ; c'est cela que l'Eglise appelle la " déification ", c'est cela que l'Orthodoxie porte depuis tant de siècles au travers de cette prédication : la déification . Ne pas simplement espérer en un Dieu, mais être traversé par ce Dieu, mû par lui, transformé en lui.

         Ainsi Saint-Paul, dans son épître, ne dit pas autre chose lorsqu'il nous dit que  nous sommes fils de Dieu, filles de Dieu.  Oui, fils et filles de Dieu, parce que nos corps mortels, nos corps de chair sont traversés par le mystère de la mort et de la résurrection et que la mort et la résurrection du Christ est un événement, survenu il y a 2000 ans, mais qui est venu mettre en incandescence ce qui était inscrit depuis le début de la création, et qui, jusqu'à la fin de la création, va venir nous placer dans ce mystère d'une présence au-delà de toute absence, d'une présence au-delà de la mortalité, une présence au-delà de la finitude.

         Cette fête de la Pentecôte, mes amis, c'est donc la fête de la déification, nous sommes invités, à la suite de Jésus, à entendre en nous le Christ, à faire vivre en nous le Christ, et Saint-Paul le dira : " ce n'est plus moi qui vit, c'est Christ qui vit en moi. "  Et de là, cette fête de Pentecôte devient alors la fête des martyrs, c'est exactement ce qui est signifié dans les Actes des Apôtres.  Martyrs ? oui, martyrs mes amis, c'est pour cela qu'aujourd'hui je porte des ornements rouges. Martyrs ; non pas au sens de l'apologie de la souffrance mais martyrs au sens étymologique de témoins : témoins de celui qui nous habite, témoins de celui qui est ressuscité, témoins de celui qui fait de nous des ressuscités, témoins qui fait que, qui que l'on soit, grec, romain, esclave, homme libre, tous nous sommes mus par l'unique et même Esprit, par l'unique et même Souffle. Dès lors, lorsque Paul nous dit : qu'il n'y a plus d'Égyptiens, de Crétois, de Romains, mais qu'il y a " l'homme en Christ, "  il nous dit : aujourd'hui il n'y a plus de catholiques romains, plus d'orthodoxes, plus de protestants, mais il y a l'homme, l'homme qui est traversé par cette dimension du Christ, l'homme qui s'éveille au Christ, l'homme qui dans cet éveil devient témoin non pas de lui-même, mais témoin de cet autre qui l'habite. Et dans ce rapport d'altérité il fait alors témoignage de ce qu'est l'Espérance, non pas un espoir car les choses sont toujours difficiles en ce monde, mais l'espérance. Le Christ a vaincu la mort et nous allons, avec lui, convaincre et ramener la dimension de l'histoire, la dimension du monde, la dimension du cosmos à ce qu'elle est : l'oeuvre de Dieu.

         Aussi, cette fête de Pentecôte c'est d'abord la fête de l'Eglise non pas au sens d'une simple institution mais de l'Eglise, corps mystique du Christ, de l'Eglise c'est-à-dire de la manifestation du Ressuscité cosmique qui habite ce temps et qui nous dit : Réveillez-vous, marchez, allez au large.  Allons au large, mes amis, c'est le temps de la vie, et cet Esprit que nous allons appeler : Esprit de feu, l'Esprit de vie, l'Esprit consolateur, cela veut dire que, dans ce souffle, nous recevons la puissance qui fait de nous des vivants, la puissance qui va nous consoler, la puissance qui va nous restaurer. Viens  Esprit ! Viens en nos coeurs et fais de nous ces êtres véritablement vivants, habités.  Alors tous nos tombeaux pourront s'ouvrir, toutes nos prisons pourront s'ouvrir, tous les rideaux de temples pourront s'ouvrir, et nous serons constamment dans le va-et-vient, dans la pescha, dans la Pâque, il n'y a plus de cloisonnement, mais il y a cette présence, présence puissante qui fait que le couple se restaure et se réunit ; que la famille, que les parents, que les enfants, que les amis se restaurent et se réunissent, que le monde se restaure et se réunit. Et nous pouvons aller vers cette Jérusalem d'en haut, la Jérusalem Céleste ; nous pouvons aller vers cette dimension de l'eschatologie, la " fin des temps ", non pas un jour, mais la fin des temps aujourd'hui.

          Car aujourd'hui, par Pentecôte tout est accompli, tout est réalisé, tout est manifesté. Gloire à toi, Père céleste, de faire de nous les ouvriers de ton chant d'amour .  Gloire à toi, Esprit Saint, Esprit du Père qui nous est donné dans le Fils. Gloire à toi, fils unique qui nous permet d'entrer dans la filiation du baptême.

          Bonne fête à tous ! et soyons des Fils et des Filles capables de dire dans notre prière : " Abba Père ! "                Amen.