Paroisse Sainte Marie de Magdala

Homélie du Père Pierre (Colombani) - Fête de l'ASCENSION 29 mai 2014


Actes 1,  1 - 11

Ephésiens 1,  17 - 23

Matthieu 28,  16 - 20



Mes amis, nous ne sommes pas nombreux ce soir, car certains d’entre nous sont partis en pèlerinage à Assise, et nous sommes dans cette grande communion. Mais nous sommes très nombreux ce soir, car, en réalité, non seulement nous sommes en communion avec tous ceux qui, de par le monde, prient le Seigneur, mais nous sommes en communion avec tous ceux qui prient le Seigneur depuis deux mille ans.

Si nous pouvons prier, au-delà de l’espace et du temps, le Seigneur tous ensemble, c’est que Jésus ressuscité est monté au ciel.

Ainsi comprenons cette bonne nouvelle.  La fête de l’Ascension nous place, et ce sera vraiment ce que nous devrons entendre ce soir comme message, dans une éthique de responsabilité. En vérité, tous les hommes de tous les temps, lorsqu’ils ont été croyants, quelle que soit la nature de leur religion, ont cherché à absolutiser un Dieu. Un dieu qu’ils voulaient personnifier au travers d’un maître et ils étaient prêts à suivre ce maître, à se mettre en mouvement derrière lui. Or, ce que nous propose Jésus, en tant que Christ ressuscité, c’est bien autre chose. Oui, le Ressuscité, en disparaissant de nos yeux, c’est-à-dire en se retirant, nous place dans cette immense question : que crois-tu réellement dans ton cœur ?  Crois-tu que je suis le Ressuscité ?    Crois-tu que je suis le Vivant ?

Si telle est ta foi, alors tu ne peux pas simplement attendre de trouver un maître, un gourou, quelqu’un à suivre, mais tu dois te laisser envahir de ma présence. Et c’est cette présence en toi, par moi, qui fera que désormais ta vie sera transformée et que tu pourras mettre en mouvement la vie autour de toi.

Nous avons commencé cette liturgie en chantant «  L'homme qui prit le pain, n’est plus devant nos yeux, c’est à nous de prendre sa place aujourd’hui ». Il n’a pas disparu au sens où il serait absent, mais il s’est retiré dans l’apparence pour nous faire entendre que  Jésus ouvre le chemin du Christ, mais que chacune, chacun d’entre nous nous avons à devenir le Christ.

Ainsi, lorsque ces apôtres étaient réunis, ce que nous racontent les Actes des Apôtres, et voient s’élever le Seigneur dans le ciel, ils sont dans cette dynamique tellement humaine, " mais Seigneur ne nous quitte pas," ils sont là les yeux rivés au ciel désespérés qu’il disparaisse à leurs yeux. Et lorsque ces envoyés du ciel viendront dire " mais qu’avez-vous là à regarder le ciel ? " Allez de par le monde ", cela nous fait comprendre que nous ne pouvons pas simplement vivre dans une nostalgie en nous disant  : si nous avions vécu il y a deux mille ans, si nous avions été sur les chemins de Palestine, si nous l’avions touché, oui nous croirions, mais nous sommes deux mille ans plus tard. Justement, nous sommes deux mille ans plus tard, comme Thomas, qui demandait à toucher les plaies du Seigneur ; et deux mille ans plus tard, ce qui nous est proposé, c’est de faire mémoire de Jésus, mais dans cette mémoire, c’est de réaliser que Christ ressuscité est présent et il est présent en chacune, en chacun de nous. Cette présence nous fait obligation, non seulement d’être dans cette méditation intérieure, dans cette introspection, dans ce retour sur soi pour entendre ce Seigneur qui nous parle, mais d’être aussi ouvert à l’autre, car si je suis habité par le Christ ressuscité, tu es mon frère, tu es ma sœur, toi aussi habité.

Et là, comme le disait St Paul, dans son épître aux Ephésiens, c’est le temps de l’Eglise. L'Eglise, pas simplement une institution, pas simplement ces religions qui se battent les unes contre les autres ; mais le rassemblement des êtres qui, dans la présence du Christ, deviennent plus qu’eux-mêmes. Dans ces inter relations qui s’établissent entre eux alors, ils sont comme élevés au-dessus d’eux et ils deviennent présence de communion, car le Seigneur nous l’a dit : je vous donne le plus grand commandement : Aimez-vous les uns les autres.

S’aimer, mes amis, ce n’est pas un sentiment, ce n’est pas une émotion, c’est sortir de soi, aller vers l’autre, l’accueillir, faire avec, faire alliance, le temps de l’Eglise. Le temps de l’Eglise commence avec cette grande fête de l’Ascension.

Dans l’Evangile de Matthieu, nous entendons ce qu’est la vocation de l’Eglise : allez, faites des disciples de toutes les nations, au nom du Père, au nom du Fils, au nom du Saint Esprit. L’évangélisation que l’on a souvent confondue malheureusement, dramatiquement avec du prosélytisme. Il ne s’agit pas de prendre un drapeau et de dire nous sommes chrétiens. Evangéliser (evangelios, la bonne nouvelle), c’est  aller trouver nos frères, nos sœurs, quelle que soit leur croyance, quelle que soit leur condition, quelle que soit leur race, et leur dire : tu es une bonne nouvelle, car tu es fils et fille de Dieu. Et à ce titre, nous sommes dignes de la vie, nous sommes dignes de l’amour, nous sommes capables de faire des choses ensemble. Cessons d’avoir peur les uns des autres. Ouvrons-nous et, comme le disait Jésus au sourd muet, " Ephata," ouvre-toi, ouvrons-nous. Dans cette ouverture, nous comprenons que le monde est convoqué et que la mission de l’Eglise, c’est, dans cette convocation du monde, de mettre l’humanité en chemin vers son Seigneur. Vers le Père qui est la source principielle, le principe de tout, le principe premier, le principe de l’alpha et  de l’oméga, l’absolu, le Père.

Au nom du Fils, celui qui fait de chacune et de chacun de nous des enfants de Dieu, c’est-à-dire ceux qui sont reliés, ceux qui sont en communion, en alliance.

 Au  nom du Saint Esprit, car si Christ est présent en nous, c’est que nous sommes insufflés par le Père et avec Jésus le Christ, nous sommes traversés, et dans cette dimension, alors oui nous sommes dans le temps de l’habitation.

L’orthodoxie nous parle sans cesse de la déification, que l’homme se déifie, que l’homme se divinise, mais la divinisation, mes amis, c’est d'annoncer : " au nom du Père, au nom du Fils, au nom du Saint Esprit," que l’Homme est grand, que l’Homme est immense parce que l’Homme est plus grand que sa mortalité ; l’Homme est habité de cette immensité de la vie que rien  ne pourra limiter, pas même l’échec et surtout pas la mort.

Cette fête de l’Ascension, c’est véritablement une éthique, non seulement résurrectionnelle, c’est-à-dire en mouvement, où chaque fois que nous sommes dans l’épreuve, nous savons qu’il nous faut nous arracher de cette épreuve pour aller vers une altérité, un autrement, un nouveau, mais nous sommes aussi dans cette éthique de la responsabilité. Le Seigneur s’est retiré pour faire advenir l’Homme nouveau, comme le Créateur s’était retiré de la création pour que cette création puisse éclore, le Christ s’est retiré pour que nous devenions ensemble le Christ.

Aussi aimons l’Eglise, car lorsque nous sommes en Eglise, nous devenons son corps et nous devons l’aimer cette Eglise, quand bien même nous ne la comprenons pas toujours, car c’est par elle que nous vivons cette dimension ascensionnée qui fait que le monde est, ici-bas, déjà le commencement du Royaume.

Mes amis, prions en ayant en perspective cette belle image du pape François venu se recueillir devant ce mur qui sépare des peuples, et, par là, il a signifié que Christ est celui qui brise tous les murs et qui met les hommes en communion.

Ayons en perspective cette image de ces chefs religieux qui se sont retrouvés au-delà de leurs déclinaisons différentes pour dire la même réalité du Christ dans des floraisons différentes. Ainsi nous saisirons à quel point cette fête de l’Ascension n’est pas simplement une fête liturgique, mais que c’est la fête de la vie, la fête de Dieu, de l’Homme, de l’amour, de la plénitude accomplie.  

 Amen.