Paroisse Sainte Marie de Magdala

Homélie du Père Pierre (Colombani) - dimanche 10 novembre 2013



Si 44, 1 -8 et 14 - 15

Ph 3, 15-17

Jn 14, 23-30


         Nous traversons une période difficile, et dans cette grande difficulté qui touche notre Eglise, peut-être que nous rejoignons aussi les difficultés du monde : regardez ce qui vient de se passer aux Philippines,  et ce qui se passe un peu partout dans le monde. Et ce matin, dans notre liturgie, nous est proposée la figure de St Martin, figure qui résonne avec ce passage de l’Epître de St Paul aux Philippiens, « Vous les parfaits ». Quand nous entendons St Paul nous dire " vous les parfaits " nous sommes presque effrayés car nous savons bien que nous sommes loin d’être parfaits.
Derrière la question de la perfection, se joue en réalité la question fondamentale pour toute l’humanité, depuis toujours, celle de la vérité, du statut  de la vérité. Il n’y a de perfection que dans la vérité. Or qu’est ce que la perfection ? Qu’est ce que la vérité ?

         Nous avons entendu dans ce passage de l’Evangile de St Jean, Jésus nous rappeler que celui qui réellement accueille le Christ, doit vivre cette communion au Père dans le Christ, c’est-à-dire une communion par l’amour, par le don de soi. C’est exactement ce que va nous signifier la grande figure de St Martin.

         Rappelons-nous St Martin, né en 316, dans la région de la Hongrie actuelle et qui, vers l’âge de dix ans, fut saisi par le Seigneur. Lui qui sort d’une famille de païens, qui n’a pas été instruit dans le Christ, est saisi. Mais son père, qui d’abord avait été un simple soldat qui peu à peu a gravi les échelons pour devenir général, ne va pas pouvoir laisser aller son fils vers la mystique,  et va l’obliger à embrasser la carrière militaire, comme cela se faisait à l’époque, puisque on était en plein empire romain. Martin, lui qui a été saisi par le Seigneur, va être propulsé sur les routes de cet empire pour faire l’exercice militaire non seulement de la guerre, mais aussi de la pacification dans le sens de la " pax romana ". Mais le Seigneur se sert de tout. Avec nos lignes courbes, il arrive à écrire droit. Alors que, dans une lecture humaine, nous pourrions nous dire que le père de Martin lui infligeait quelque chose de difficile, en réalité, il allait lui offrir la structure, le moyen par lequel il allait pouvoir entrer dans ce grand mouvement de l’évangélisation.  Martin va se mettre sur les routes de la grande Rome et ainsi aboutir dans notre région, à Amiens. Là, il va être à nouveau saisi par le Seigneur, au regard d’un pauvre qui n’avait pas de quoi se vêtir. Notre brave Martin va déchirer son manteau et c’est ce que nous avons retenu dans la grande Tradition. Martin déchire son manteau pour l’offrir au pauvre, autrement dit, Martin se défait de son essentiel pour l’offrir à celui qui manque de tout. Par ce geste, il entre, davantage encore, dans ce chemin du Christ, et la tradition dit que le Seigneur est alors apparu en disant  « Oui, Martin m ‘a revêtu du manteau de la pauvreté », comme si ce pauvre avait été le Seigneur qui parlait à Martin.

         Dans l’historiographie qui recouvre toute la route de Martin, cela est enjolivé, mais nous pouvons cependant retenir de cet événement que Martin n’a pas rencontré le Seigneur de façon simplement éthérée,  mais cette rencontre a été effective dans la matière du monde, dans l’incarnation, il a su entendre les douleurs de son époque, les questions de son époque et de ses frères et il répond immédiatement par la dépossession de lui-même.

Martin va encore cheminer et autour de 40-45 ans, là véritablement, il va faire ce choix définitif du Seigneur par l’Eglise. Il va devenir moine. Ce moine, qui va essaimer la Bonne Nouvelle, va être comme arraché. On va venir le chercher, comme Ambroise à Milan, pour lui imposer l’épiscopat, lui  qui n’en voulait pas, et il va se retrouver évêque de Tours à vie. Ce n’est pas lui qui a choisi d’être évêque, mais le peuple est venu le chercher et a voulu qu’il devienne l’Evêque. Il a été imposé à l’époque aux habitués des grands postes, les gens qui sortaient de la haute société, et imposé à lui-même, car il ne voulait pas de cet épiscopat. Peu à peu, Martin, fort de cet épiscopat, va rester ce moine priant et en même temps va évangéliser les campagnes, créer des centres de foi,  centres qui peu à peu deviendront  plus tard des paroisses.

         Oui, St Martin est un grand évangélisateur. Non seulement il a vécu la pauvreté,  s’est défait de son manteau et au-delà, a tout donné de lui ; il est aussi celui qui a répondu à l’appel au travers des ordres ordonnés, par l’épiscopat il a été ce grand évangélisateur, celui qui a porté la Bonne Nouvelle, il ne l’a pas gardée pour lui, et ceci  jusqu’en 396.

Au travers de cette vie rappelée rapidement, nous trouvons la réponse à cette question : qu’est ce que la perfection ?

         La perfection n’est pas un état idyllique, pas un état extraordinaire. La vérité n’est pas en quête de rapport dualiste  entre ce qui serait vrai et ce qui serait faux, la vérité de perfection est cette capacité à dire un oui au Seigneur qui soit ajusté dans notre âme, mais aussi dans nos corps. Un oui ajusté entre ce que nous désirons être et  ce que nous sommes réellement ; un oui ajusté qui nous place dans un engagement effectif, au cœur du monde ; un oui ajusté, qui fait que la foi n’est pas simplement un débat conceptuel, intellectuel, mais devient véritablement un don, le don de sa vie à Dieu et à ses frères. Nous avons donc tous les critères de discernement pour dire : je suis dans ce chemin de perfection, je suis dans ce chemin de vérité-.

         Dans le passage du Livre du Siracide, nous avons entendu à quel point celui qui est dans la vérité est celui qui se défait de son humanité pour se laisser remplir par Dieu, c’est exactement ce que disait l’Evangile de St Jean, dans l’évocation de la communion trinitaire.

         En priant pour notre Evêque Martin, lui qui passe une période difficile, nous pourrons nous dire que s’il a choisi ce nom de Martin, c’est que réellement, il a voulu opter pour cette vocation. Et au-delà de sa personne, c’est toute notre Eglise, toutes nos communautés paroissiales, toutes nos personnes qui doivent s’orienter sur ce chemin  de l’Evangélisation, du don de soi et de la réponse à Dieu.

         Puissions-nous, en priant pour la maman de Magdeleine, Hélène, demander l’aide au ciel pour être réellement cohérents dans notre foi, donner à ce monde pour rendre au monde une espérance, car, oui avec le pauvre, il nous faut partager. Cette pauvreté n’est pas simplement matérielle, mais c’est partager l’essentiel de ce que nous portons, c’est-à-dire notre conviction du Christ qui nous a saisis et que nous devons proposer à l’Homme, à tout Homme, à l’Homme dans sa plénitude.

         Puissions-nous nous laisser conduire ainsi par l’Esprit, et je crois alors que notre Eglise sera vraiment celle du Christ.                


Amen.