Paroisse Sainte Marie de Magdala

Homélie du Père Pierre (Colombani) - 14 mai 2017

Ac5, 1-7 

1P 2, 4-9 

Jn 14, 1-12

Mes amis, pour ce 5ième dimanche du temps de Pâque, la liturgie nous propose ce passage de l’Evangile de Jean qui nous paraît un petit peu hermétique dans son expression. Et pourtant, plus qu’une théologie qui pourrait nous paraître un petit peu brumeuse, ce qui nous est proposé est fondamental. 


Fondamental d’abord pour un premier point : éviter ce que l’on appelle l’anthropomorphisme. Qu’est-ce que ça veut dire ? ça veut dire que dans nos recherches de Dieu, nous sommes toujours en train de représenter Dieu à l’image de nos attentes, à l’image de nos représentations ; et lorsque Philippe va dire à Jésus : « montre-nous le Père et cela suffit », autrement dit, il y a ce désir de pouvoir s’approprier Dieu ; le placer dans un lieu bien déterminé et tout le reste serait comme délaissé ; et là alors nous entrons dans le processus du religieux de la religion, toujours dans une sorte d’imaginaire. Et quand Jésus va répondre : « Qui m’a vu a vu le Père », il ramène Philippe à cette exigence énorme, essentielle : Si tu veux vivre le divin, tu dois d’abord assumer l’humain ; et donc si tu cherches réellement le Père, tu dois d’abord le reconnaître dans le Fils. Tu dois le reconnaître dans celui qui se manifeste devant toi. Et là tout à coup, il y a comme un bouleversement pour Philippe car il désirerait tellement, et il nous ressemble en cela, pouvoir s’expatrier de ce monde pour être devant un père qui lui permettrait peut-être d’échapper aux aléas de son histoire, de son temps (l’occupation de la Palestine par les Romains, les dissensions entre les divers groupes religieux, toutes ces difficultés pour faire valoir la parole de Jésus, autant de problématiques sans compter les siennes que l’on ne connaît pas, autant de problématiques dont voudrait sans doute s’arracher, s’extirper Philippe . Mais à travers lui combien nous nous retrouvons, combien nous sommes dans une quête du religieux où nous voudrions tellement oublier ce monde ; oublier ces élections présidentielles pour certains qui ne s’y retrouvent pas, pour d’autres, oublier toutes ces dissensions, ces difficultés, ces bavardages, toutes ces disputes qui ont eu lieu autour de ces élections. Pour d’autres encore oublier ce monde tellement injuste avec des tyrans qui pointent un peu partout ; oublier ces crises sociales, économiques, politiques qui sont là à émerger autour de nous. Oui, oublier cela pour regarder un Père, un Père qui nous ferait rêver. Et Jésus qui nous dit : « Qui m’a vu a vu le Père. Je suis tellement avec vous depuis si longtemps et tu ne m’as pas encore reconnu ».


Et là alors mes amis, on pourrait se poser la question : « qui m’a vu a vu le Père » qu’est ce que cela veut dire ? Qu’est-ce que Philippe aurait dû voir en Jésus ? » Vous allez me dire le Fils de Dieu, vous allez me dire le Christ. Oui mais concrètement, qu’est-ce que cela veut dire ? d’autant qu’il a cette parole tellement énigmatique : « Je suis le chemin, la Vérité et la Vie ».
La Vérité nous conduit souvent à nous confronter entre celui qui dirait vrai et celui qui dirait faux. La Vérité souvent, est l’occasion de confrontations telles que nous entrons dans des rapports de violence ; la vérité nous a pris comme un antagonisme, mais si nous devrions vivre la Vérité comme une dialectique, alors oui, la Vérité nous fait peur. 


Quel est donc cette Vérité dont nous parle Jésus, qui nous conduirait à être dans la vie et à vivre ce Jésus comme un chemin ?


Et là, il y a ce passage des Actes des apôtres, qui raisonne de façon étonnante. Oui ce passage qui nous raconte comment Etienne, et un groupe de 7 ont été choisis pour devenir ce que l’on appelle les premiers diacres. Remarquez comment le contexte va porter ces diacres. Nous sommes dans un contexte de confrontation : il y a ceux qui sont de langue grecque qui reprochent à ceux qui sont de langue hébraïque d’être trop investis dans le souci des tâches matérielles. Et donc, on est dans des fonds de jalousie, et là, on retrouve tellement notre humanité, on retrouve tellement nos oppositions, et on sent bien que les Actes des apôtres ce n’est pas simplement un livre idyllique qui viendrait nous parler des premiers chrétiens qui s’aimaient tendrement. Il y a déjà des tensions, il y a des frictions, des frottements ; et là, comment se positionner ? s’agit-il de dire que ceci est bien mieux que cela ? S’agit-il d’opposer, de séparer ? Et tout à coup, le groupe des apôtres se laissent travailler par l’Esprit, et il va y avoir cet envoi en mission. Et un envoi en mission mes amis, qui derrière cette émergence de ce que l’on va appeler le diaconat nous raconte l’émergence de deux tables ; car le diacre est au service de deux tables, et le diacre nous renvoie à notre mission de baptisés. Au travers de ces deux tables : c’est la table de la Parole et c’est la table de l’eucharistie. C’est exactement ce que nous allons trouver dans la messe, mais qui ne peut pas se réduire à un culte, à une simple liturgie cultuelle ; mais une liturgie qui doit embraser toute notre histoire singulière, qui doit embraser toute notre histoire collective. La table de la parole mes amis, c’est d’incarner le Logos, c’est de devenir cette Parole qui va dire la dignité de l’humain, c’est cette Parole qui va proclamer haut et fort le sens de l’Homme au regard du sens de Dieu, et qui fera que nous ne pourrons pas accepter les disparités du monde, que nous ne pourrons pas accepter l’intolérance, le racisme, l’exclusion et que nous devrons toujours aller au-delà de nos appréhensions, de nos peurs, pour dire, la beauté, la grandeur de cette quête que nous devons porter, vivre l’haut-delà dans la rencontre avec le frère et la sœur. Voici cette Parole dont nous sommes investis, voici cette Parole dont nous sommes dépositaires. Une Parole que Jésus a résumé dans ces versets « aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés, il n’y a pas plus grand amour que de donner sa vie pour ceux que l’on aime ». Aimer le monde c’est donc se donner et vivre la Parole, vivre le don de sa vie pour ce monde.


Et puis il y a, l’autre table : la table eucharistique. Nous savons qu’étiologiquement en grec eucharistie veut dire action de grâce. Dés lors, cette deuxième table c’est entrer dans la louange, contempler au-delà de nous, parce que si nous sommes investis d’une parole, elle n’est pas de nous, elle vient d’ailleurs. Si nous avons à vivre le Divin à travers nos actes humains, pour autant nous ne pouvons pas nous prendre pour Dieu ; et Dieu est toujours au-delà ! Je ne peux pas me représenter le Père, je peux le découvrir en toi mon frère, en toi, ma sœur, en moi-même, et pour autant, ce Père nous convoque toujours au delà. Et cet au-delà c’est vraiment cette dimension de la transcendance la plus haute, que l’on va appeler l’eucharistie, l’action de grâce, l’altérité, le mouvement qui nous fait sortir de nos enfermements pour dire : je ne m’appartiens pas, je ne t’appartiens pas, je n’appartiens pas à mon couple, à ma famille, à mon réseau social, à une identité quelle soit : sociétale, de peuple, de civilisation, car nous sommes plus que cela. Etre divin c’est toujours être dans ce mouvement qui nous dit : « va au-delà, va au delà encore » ; et là résonne cet Epitre de Pierre où l’apôtre nous rappelle que nous avons à devenir les pierres vivantes de l’édifice. Quel édifice ? : L’Eglise, mais l’église qui n’est pas un petit machin, une petite institution, une petite communauté ou une grande communauté, mais l’église qui est ce rassemblement des croyants : deux, trois mille, un milliard, des milliards peu importe !... Des rassemblements des croyants pour devenir plus qu’eux-mêmes. Et là, nous comprenons le sens de la communion, de la solidarité, de l’être ensemble. Nous sommes les pierres vivantes de cet édifice, corps mystique du Christ, dont la pierre angulaire est le Christ en Jésus. Et l’Evangile de Jean alors termine en disant par ces paroles de Jésus étonnantes : »Vous ferez les mêmes choses que moi, et vous en ferez de plus grandes encore parce que voir le Père en Jésus, c’est accueillir le Souffle créateur, l’Esprit Saint ; et vivre cela, c’est vivre cette rencontre avec l’Esprit Saint qui fait de nous des Christ, et qui nous permet de pouvoir effectivement non seulement de bénéficier de tout ce qui a été recherché avant nous, depuis 5 000 ans dans l’Ancien Testament ; depuis 2000 ans, depuis l’événement de Jésus, mais qui se poursuit aujourd’hui, demain, et qui fait que dans cet espèce de gonflement , d’expansion, nous sommes portés de plus en plus à entendre l’appel du Divin, à concevoir autrement le Divin et par là, à concevoir autrement l’homme, l’Histoire.


Oui mes amis, ces textes de ce matin, loin d’être hermétiques sont une convocation pour nous à l’évangélisation véritable, à la mission véritable, à vivre ces deux tables : table de la Parole, table de l’eucharistie, table de la parole de l’amour et table de l’action de grâce.


Puissions-nous au cours de cette messe, entendre que au-delà de ce culte nous sommes réellement investis de cette mission : Vivre ces deux tables au cœur du monde. Alors réellement nous serons habités du Ressuscité parce qu’il fera de nous des Ressuscités. 


Amen