Paroisse Sainte Marie de Magdala

Homélie du Père Pierre (Colombani) - samedi 14 février 2015


Is 55, 6-12
Rm 12, 1-16
Lc 18, 31-43


Comment entendre et appréhender l’Evangile de St Luc, à propos de l’aveugle de Jéricho ?


Il me semble que, pour percevoir la portée de la cécité qui marque cet homme, il nous faut d’abord ne pas perdre de vue ce qui est dit au début de ce passage. Jésus annonce le kérygme apostolique, c’est-à-dire la foi des apôtres portée depuis deux mille ans, comme une prophétie : le Fils de l’Homme doit souffrir, doit être tué et ressusciter le troisième jour.


Ces paroles sont devenues pour nous comme une sorte de rengaine, parce que nous les avons entendues depuis notre plus tendre enfance, mais les disciples qui les entendent ne comprennent pas, parce qu’elles n’ont pas de réalité pour eux. A travers cette annonce, se posent les questions : quelle est leur capacité du discernement ? Quelle est la capacité de la compréhension ? Comment regardent-ils leur vie ? Apparaît alors cet aveugle de Jéricho. «Aie pitié de moi. Donne –moi la vue» - « Que veux-tu que je fasse pour toi ? » - « Que je vois ! » « Que veux-tu voir ? »


Cet évangile ne vient pas simplement nous raconter une belle histoire, une sorte de miracle comme on aime en entendre, le miracle dans le merveilleux, Jésus apparaît et il guérit. C’est beaucoup plus profond. La question portée ce soir dans cet évangile est : quel est notre désir de voir la réalité de Dieu dans notre existence ? Avons-nous ce désir ? Quelle est notre prière, quand nous nous mettons en prière ? Si nous nous mettons en prière, sommes-nous réellement habités par ce désir ? Donne-moi la possibilité de voir, la volonté de voir ce que tu attends de moi. Ainsi dire que le Fils de l’Homme doit souffrir, mourir pour ressusciter, ce n’est pas simplement l’annonce de ce qui va arriver à Jésus, mais c’est l’annonce de ce qui doit nous arriver, à nous, en ce XXIème siècle, mourir à nous-mêmes, mourir à tout ce que nous voudrions, à nos attentes, dans le couple, les relations, les responsabilités, là où nous sommes, au travail, dans tout ce que nous entreprenons, mourir à ce qui nous apparaît tellement important, le lâcher pour aller vers un autrement. Cet autrement que l’on appelle Dieu et qu’il nous faut reconsidérer parce que Dieu n’est pas un être dans les nuages, un être imaginaire, parce que Dieu est cette puissance qui nous permet de nous remettre en chemin et qui fait que ma vie n’est pas un échec, pas une erreur, une limite. Oui, ma vie est traversée d’erreurs, d’échecs, de limites. Mais elle n’est pas que cela. A travers tout cela je dois passer pour aller vers un recommencement, redonner un autre souffle à celle ou celui que j’aime, à mon ami, à mon Eglise, à ma communauté, à ce monde dans l’économie, la politique.


Ainsi, il faut apprendre à mourir pour ressusciter.

Pour cela, il faut voir, et voir, non pas mon attente de façon orgueilleuse, mais voir ce que Toi, Seigneur Tu vois.
Le prophète Isaïe disait : ce ne sont pas vos pensées, mais mes pensées, parce que mes pensées ne sont pas vos pensées. St Paul va nous appeler au discernement dans son Epître aux Romains : tu sais peut-être présider, chanter, enseigner, fais-le, mais fais-le dans cet esprit de service, les uns pour les autres, en ayant cette question non pas moi, ma personne, mais à travers ce que je vais engager, comment être à ton service. Si je suis au service de Toi, Seigneur, alors je me mets au service du frère et de la sœur.


Apprendre à voir. Voir quelle est la volonté de Dieu, du Seigneur, du Tout-Autre sur chacune et chacun de nous.
La semaine prochaine, nous allons célébrer les cendres, et entrer dans le temps de Carême, ce temps de transformation, de retournement pour monter vers Pâques. Mais avant de commencer ce temps, puissions-nous demander au Seigneur d’apprendre à voir.


Et dans l’Evangile, Jésus pose la question : que veux-tu que je fasse pour toi ? Que je voie.

Jésus sait bien que cet aveugle est aveugle et, étant aveugle, il ne peut qu’attendre la vue. Et pourtant, il lui pose la question qui le place dans sa conscience : quelle est ta quête ?


De là, il vient nous questionner. Quand tu pries, quelle est ta quête ? Dans ton désir, quel est ton désir du Seigneur ?
Souvent lorsque nous portons un luminion devant une icône ou une statue, nous sommes tellement arcboutés sur nos demandes, que nous ne sommes pas à l’écoute en profondeur de ce que le Seigneur attend de nous.


Peut-être que ce qui nous est demandé au cours de cette liturgie, c’est de nous retourner intérieurement et de faire en sorte que le vieil homme en nous se taise pour que puisse émerger l’Homme Nouveau, celui qui est dans la fraîcheur de la vie et qui se met en recommencement d’exister pour devenir réellement l’image divine, l’être divin, l’être à Dieu, le Royaume en marche.
Il y a deux mois, combien étions-nous dans les rues à crier « je suis Charlie », mais cela n’a aucun sens si nous ne sommes pas en capacité, nous chrétiens, de nous poser cette question : quel est le désir du Seigneur ? Quelle est son attente ? Seigneur apprends-moi à voir ce que je dois être. Alors oui, avec d’autres, nous pourrons crier je suis Charlie ». 


Mais la question n’est pas d’être Charlie ou ne pas l’être. La question est d’entrer dans notre route vocationnelle. Quoique nous fassions, que nous le fassions en étant reliés à Lui, le Seigneur, pour faire émerger le monde nouveau, car ce monde a besoin de salut. Il en avait besoin hier, il en aura besoin demain, il en a besoin aujourd’hui. Le salut, c’est de comprendre que tout ce qui nous apparaît comme échec et comme inaccompli, loin d’être un échec, loin d’être un inaccompli, est l’espace où la Parole vient nous dire que tout est possible, tout peut renaître. De la ténèbre, peut jaillir la lumière. 


Alors, mes amis, ne soyons pas des croyants endormis, des croyants poussiéreux, habitués, mais devenons des hommes et des femmes de foi, prenant en main leur vie et faisant de leur existence l’Histoire Sainte. Alors, oui, nos pensées ne seront plus nos pensées, mais deviendront les pensées du Tout-Autre, Dieu. Amen