Paroisse Sainte Marie de Magdala

Homélie du Père Pierre (Colombani) - dimanche 18 juin 2017


Dt 8, 2-3 : 14-16

1Co10, 16-17

 Jn 6, 51, 58


Le Saint Sacrement


Aujourd’hui mes amis, ce matin nous sommes invités à célébrer une solennité. Une solennité car faire mémoire de l’Eucharistie, c’est être au cœur même du mystère ; du mystère chrétien que nous portons. 


En prérequis, nous pourrions reprendre les critiques que nous entendons de ci ou là : « Quelle est donc cette religion qui fait mention d’un être qui se donnerait à manger ». Et l’Evangile de St Jean n’est pas sans reprendre cette critique des Juifs : qu’est ce que cela veut dire que de donner sa chair en nourriture ? Par ailleurs également on entend que si réellement nous mangerions réellement l’eucharistie nous obtiendrions la vie éternelle ; or nous savons que comme tous les êtres humains nous mourrons. Alors quel est le sens de cette Eucharistie ? Quel est le sens de ce que nous célébrons tous les dimanches ? Quelle est véritablement notre foi lorsque nous disons « je crois recevoir le Corps et le Sang du Christ » ?


Il y a d’abord ce passage tiré du Livre du Deutéronome où Moïse fait cette espèce de rappel, de mémoire, on parle d’une anamnèse. Il rappelle au peuple Hébreux qu’il a été tiré de l’esclavage pour aller vers la Terre Promise, la terre de Liberté ; et que dans cette espèce de passage, d’arrachement, de l’état d’aliénation à l’état de liberté, il y a eu le passage au désert, un passage dans lequel il fallait être nourri pour subsister. 


Cette évocation, ne l’entendons pas comme une évocation historique telle qu’une belle histoire où Moïse dirait à ses contemporains « rappelez-vous » ; mais entendons ce rappel comme le rappel de ce que nous vivons les unes les autres, les uns les autres ; c’est ce que l’on appelle une évocation ontologique, c’est à dire un texte qui vient décrire ce que nous vivons profondément. Le désert dont il est question c’est cette expérience qui est la notre où nous sommes venus nous incarner en cette existence, et où parfois nous titubons, nous tâtonnons parce que nous avons perdu le sens. Et qu’entre ce moment où nous avons été arrachés de nos ténèbres, nous avons fait une expérience du Christ et où ça été un émerveillement, et puis le terme que nous espérons un jour ; ce qu’on appelle l’eschatologie, la fin des temps ; mais pas la fin des temps la fin du monde, mais la fin des temps où nous serons vraiment dans une face à face avec Dieu que nous espérons. Et bien nous marchons ! Nous marchons comme nous pouvons. Et nous rencontrons beaucoup d’obstacles. Nous sommes dans une existence où les aléas font que parfois nous doutons, parfois nous nous révoltons, parfois nous n’en pouvons plus ; et pour pouvoir perdurer dans cette expérience difficile du désert, nous avons besoin d’une nourriture qui nous tienne debout. Cette nourriture quelle est-elle ? Et là, St Paul nous répond :« et bien cette nourriture c’est ce pain et ce vin qui sont le Corps et le Sang du Christ ». Et là ici, cette évocation de St Paul vient nous faire comprendre quelque chose d’essentiel mes amis ; tout ce que nous vivons dans l’expérience du visible, n’est qu’un pâle reflet d’une réalité beaucoup plus profonde qu’il nous faut appréhender. Quand je vais dire à quelqu’un « Je t’aime », parce que c’est mon conjoint, mon épouse, par ce que c’est mon enfant, mon parent, mon ami, mon voisin ; quelle est l’expérience de cet amour ? Cet d’une fragilité extrême ; ce n’est pas grand chose, c’est un frémissement, et pourtant cela vient faire écho à une réalité beaucoup plus profonde, de ce pourquoi nous sommes venus ; une espèce d’expatriation de nous-mêmes pour aller vers l’autre et qui fait que nous sommes grandis par cette rencontre parce que nous contemplons un autrement possible, et que l’amour c’est un appel, un appel à aller plus haut, toujours plus loin, toujours plus dans cette plénitude.


Et bien dans cette évocation du Corps et du Sang du Christ mes amis, c’est de cet ordre. Oui, nous sommes dans la contemplation de la matière du pain et du vin, comme nous contemplons nos histoires humaines, matérielles, physiques, physiologiques. Oui, en contemplant le Pain et le Vin nous contemplons l’histoire, la sociologie, l’économie, la politique, tout ce qui fait nos réalités. En contemplant le pain et le vin nous contemplons ce monde fait de violences, fait d’erreurs, fait de jalousies. Nous contemplons ce que nous sommes profondément et pourtant, il y a plus que cela. Et ce plus, nous qui venons de célébrer Pentecôte, c’est à dire l’appel de l’Esprit Saint, nous qui venons de célébrer la Sainte Trinité, c’est à dire cette relation qui fait qu’au cœur de toute rencontre il y a plus que nous-mêmes, nous devons percevoir que l’évocation du Corps et du Sang du Christ, c’est cette affirmation que la matérialité apparente qui est la notre, n’est que le reflet d’une réalité plus profonde qui est en jeux, qui se joue. Et quand le Christ nous dit : « Désormais je suis la chair que vous devez manger, je suis le sang que vous devez boire, il nous invite donc à entrer en nous-même depuis le jour de notre baptême pour non plus dire simplement de cette humanité qui se laisse prendre au jeux des apparences, mais vivre l’humanité, celle qui est investie du Saint Esprit, celle qui a reçue cette épiclèse, celle qui s’est laissée saisir du Souffle d’en haut , et qui tout à coup se réveille et dit « Oui me voici; voilà ce pourquoi je suis fait ; je suis fait pour rencontrer mon Seigneur  » et rencontrer mon Seigneur, c’est rencontrer l’Amour, c’est rencontrer la dignité humaine, c’est rencontrer la justice, c’est rencontrer la miséricorde, c’est rencontrer tout ce que je dois faire éclore en moi, par moi, autour de moi. Et cette eucharistie alors c’est une invitation à nous transformer les unes les autres, les uns les autres singulièrement dans nos histoires, collectivement dans nos sociétés. Il n’y a pas d’eucharistie sans compréhension de l’évangélisation c’est à dire une transmutation, une transformation ; nous sommes malaxés. Et quand Saint Paul dira « Il n’y a qu’un seul Corps, il n’y a qu’un seul Esprit », ce qu’il veut nous dire c’est que plus nous entrerons dans cette réalité plus nous deviendrons dans nos différences culturelles, dans nos différences sociales, religieuses, peut importe ! nous deviendrons ce seul Christ qui nous unifie et qui nous fait tendre vers le Divin véritable.


Ainsi, cette fête du Saint Sacrement mes amis, c’est la fête profondément de l’Eglise ; pas une simple institution, pas un simple rituel, mais la fête de l’Eglise c’est à dire la fête de ceux qui se rassemblant touchent à la réalité ontologique de ce pourquoi nous sommes ici : manger le Corps, boire le sang, ce n’est pas simplement cette matérialité que je reçois extérieurement, mais c’est l’affirmation que ce que je signifie dans le symbole, je le devient intérieurement, et qu’au moment où nous tendons la main, au moment où nous tendons la langue pour recevoir cette matérialité du Corps et du Sang, nous devenons ce que nous recevons, nous le devenons personnellement, nous le devenons communautairement et nous le devenons pour le monde, par ce que cette nourriture que le Christ nous donne en nous, nous devons la devenir pour le monde et être donnés en nourriture monde. Ce n’est donc pas un acte magique où nous recevrions je ne sais quelle nourriture céleste, mais c’est une transformation ; une transformation qui fait que désormais depuis Pâque le monde de Dieu visite le monde de l’homme et que par cette transformation, plus que nous-mêmes nous devenons tabernacle du Christ, nous devenons icône du Christ, nous devenons présence du Christ. Célébrer le Saint Sacrement, célébrer l’eucharistie c’est donc célébrer l’Homme nouveau dont parlait Saint Paul.


Puissions-nous avoir cette conscience ; et chaque fois que nous recevrons le Corps et le Sang de Jésus, nous nous souviendrons que nous recevons ce que nous devenons et qu’ainsi la Vie Eternelle est réellement commencée en nous. Amen.