Paroisse Sainte Marie de Magdala

PÂQUES - Veillée Pascale - Samedi 4 avril 2015

Homélie du Père Pierre (Colombani) 



Christ est ressuscité ! 


Comment porter cette Bonne Nouvelle, non seulement au tour de nous, mais d’abord comment la proclamer, la faire résonner au plus profond de nous ?


Christ est ressuscité !


En venant ce soir, je ne doute pas un instant que les uns les autres nous sommes porteurs de fardeaux, fardeaux d’un couple qui vacille, d’une famille qui parfois est dans des difficultés de compréhension, des fardeaux parce que nous sommes soucieux pour nos activités professionnelles, pour ce que l’on peut créer, parce que l’on va lancer un magasin, une acticité, soucieux lorsqu’on porte des responsabilités. Oui, c’est notre monde, nous sommes ce monde, cette terre.


En écoutant cet Evangile, nous pourrions nous dire : quel mythe, quelle histoire, quelle distance il y a entre la réalité de ce que je vis lorsque je prépare mon cours, alors que je suis professeur, lorsque je dois vivre mon activité d’infirmier, de médecin, lorsque je dois m’engager ici ou là dans mes responsabilités. Quelle distance entre ce que je vis et cet Evangile, ces lectures, cette proclamation, un doux rêve ! Alors on se regarde les uns les autres. On se dit ils sont là et je suis avec eux. Il y a tant d’hommes et de femmes avant nous qui ont cru. Peut-être que cette fadaise a quelque chose de réel ? Peut-être que cette histoire a une portée véritable ? On veut y croire parce qu’on a perdu un père, une mère, un enfant, un ami ou qu’on se rapproche du terme de la vie et on se dit que ce serait bien si la mort pouvait ne pas exister.


Reconnaissons que nous sommes très fragiles dans notre foi, tellement fragiles que, ce soir, en venant et écoutant tous ces textes, nous sommes à la fois intéressés, mais un peu étrangers. Nous sommes dans un mouvement de vouloir nous approprier cette Parole et rester un peu sur le côté en nous disant en quoi cela me concerne. Entendons, revenons sur l’étymologie de l’Evangile. Evangelios : Bonne Nouvelle. Cette Bonne Nouvelle doit nous faire revisiter ce que nous sommes profondément, les uns les autres.


Nous avons d’abord entendu cette parole, tirée du Livre de la Genèse, qui nous raconte la création du monde. Nous ne sommes pas naïfs, nous juifs ou chrétiens, nous savons bien que le monde ne s’est pas fait en sept jours, mais qu’il y a une théorie de l’évolution, tout à fait valable. C’est un texte symbolique qui vient raconter comment cette évolution, dont les scientifiques ont bien raison de nous en présenter la réalité, a été voulue par Dieu. Cette évolution n’est pas simplement l’histoire de la création, mais d’abord notre propre histoire : un jour je suis venu au monde, je suis né, j’ai été tiré d’un magma, d’un tohu bohu, le tohu bohu de la rencontre de mes parents, pour devenir cette terre où allait passer l’Esprit planant sur mes eaux intérieures, sur les eaux de ma psyché. Cette création, dont nous parle le Livre de la Genèse, nous devons l’entendre d’abord pour nous mêmes : nous sommes une création et Dieu lentement nous a pétris, travaillés, en passant par nos aïeux, nos parents et voici qu’un jour est venue cette éclosion et nous sommes devenus des hommes et des femmes, bébés, puis enfants, puis adolescents, puis jeunes, puis vieillards et nous sommes là. Que faisons-nous dans ce chemin ? Que faisons-nous de notre chemin ? 


Alors arrive ce livre merveilleux de l’Exode, qui pourrait nous choquer lorsque nous nous mettons à chanter : « Il a tué les premiers-nés d’Egypte, car éternel est son amour ». Eternel est son amour, alors qu’il a tué des enfants ? Entendons bien la symbolique. Les premiers nés d’Egypte, c’est cette prétention à être le premier, à prendre la place, dans le pouvoir politique, économique, social, culturel, nous, par nous-mêmes, l’homme, enfermé, qui croit qu’il va réussir parce qu’il va faire sa petite besogne, parce qu’il va gagner un peu d’argent, parce qu’il va accéder à une once de pouvoir, l’homme par lui-même (l’homme, la femme, bien sûr).


Voici que cette traversée de la Mer Rouge à pieds secs, cela veut dire que Dieu vient dire à ce peuple qu’Il choisit : « Quitte les viandes grasses d’Egypte et tu vas passer de l’autre côté ». Il faut traverser cette Mer Rouge, symbole de notre existence. Dieu nous a créés. Le Livre de la Genèse nous parlait du premier, deuxième, troisième, quatrième, cinquième, sixième jour, l’érection de l’Homme, mais un homme pour quoi faire ? Il doit passer, il doit traverser. Le sens de notre vie, c’est de passer de nos esclavages pour aller vers la terre de liberté. Marie Magdeleine est souvent présentée comme la prostituée, dans le sens où, au départ, elle symbolise toutes nos prostitutions, dans l’argent, le pouvoir, dans un amour possessif, -tu es ma femme, mon mari, mon enfant, je te garde pour moi-. Tout cela, c’est l’esclavage dont Dieu nous dit : sortez, allez vers la terre promise, vers la liberté.


Puis, nous avons entendu le prophète Isaïe qui disait que la parole de Dieu vient sur terre pour l’ensemencer et la renouveler. Parce que nous sommes créés par Dieu, nous traversons la vie pour rencontrer la liberté. Pour cela, il ne faut pas devenir des amnésiques, des gens qui oublient le sens. Sommes-nous ici simplement pour consommer de la vie et vivre comme nous le pouvons, jour après jour, événement après événement, ou au contraire, notre vie a-t-elle un sens ? Si notre vie a un sens, s’il nous faut trouver cette terre de la liberté, il nous faut nous ouvrir et quitter nos amnésies. Ainsi la parole de Dieu vient nous réveiller, nous réensemencer, et nous pose la question : où es-tu dans ta vie, que fais-tu, que crois-tu, qu’engages-tu, dans ton couple, dans la famille, dans tes relations, dans tes activités ? Que fais-tu ? Es-tu reclus sur toi, enfermé, - ma petite femme, mon petit mari, ma petite famille, mon petit travail, mes petites envies, mes petites passions - , ou es-tu l’être du large qui part, qui ose et qui vit ; la vie devient vivante lorsqu’on se met à mourir à soi pour rencontrer l’autre.


C’est ce que va nous dire le prophète Ezéchiel : ce peuple choisi, comme nous avons été choisis depuis notre baptême, avait oublié. Alors, Dieu, par le mouvement prophétique, va rappeler qu’il ne sera pas le seul élu, mais cette élection va s’étendre à toutes les nations. Se dire catholique, n’est pas réservé à l’Eglise romaine ou Orthodoxe, ou aux Eglises Protestantes qui vont parler de l’universalité, mais catholique, catholicos, l’universalité, cela veut dire que nous ne sommes pas les seuls à être élus, mais aussi que cette élection ne peut pas toucher une petite partie de ma vie, le petit temps qui reste où je n’arrive pas à faire autre chose, car alors quelle est ma conception de Dieu ? Quelle est ma foi en Dieu ? Quelle est ma représentation de Dieu ? Un barbu dans les nuages, que je sifflerais lorsque j’aurais des problèmes ? 


Etre en Dieu, c’est ramasser toute sa vie et devenir vivant en visant la liberté. La liberté, c’est de rencontrer l’autre, de pouvoir éclore dans cette relation qui fait que, continuellement, le mouvement divin nous met dans cette exigence d’un amour où nous allons devoir aller au large, rencontrer toujours plus, autrement et l’autre, et la vie et la création.


« Vous serez mon peuple, je serai votre Dieu ». Ainsi parle Dieu au travers du prophète Ezéchiel. Par là, Il nous arrache de tous nos repliements sur nous-mêmes pour faire de nous des êtres véritablement en mouvement.


Alors arrive cette parole de l’apôtre Paul aux Romains où il nous parle de l’Adam ancien et de l’Adam nouveau.
L’Adam ancien, c’est cet être en nous qui résiste. Nous sommes venus ce soir sans savoir trop pourquoi, les uns pour faire plaisir, les autres par tradition, les autres par conviction, mais ce n’est pas facile, c’est à une heure tardive, on aurait autre chose à faire. On s’est arraché comme on s’arrache dans la vie. Oui Seigneur, on veut bien croire en Toi, mais il y a tant d’exigences, d’autres essentiels. L’homme ancien résiste. Mais il y a l’Homme Nouveau, qui est promis en nous depuis le Baptême. C’est cet Homme-là que Jésus le Christ est venu réveiller dans la nuit de Pâques. 


Au matin de Pâques, lorsque les Apôtres, Pierre et Jean arrivent, et qu’ils voient le tombeau vide, il est dit dans l’Evangile : « ils virent et ils crurent » . Ils virent le vide et ils crurent. Comment croire devant le vide ?


Nous assistons alors au véritable miracle. Le vide du tombeau, c’est le dévidement de toutes nos peurs, de tous nous a priori, de tous nos enfermements. L’Adam ancien est mort, il a disparu, il n’y a plus rien. Le vide n’est pas absence, mais le mouvement qui nous permet de commencer à entrer dans l’autre côté, l’autrement. Le Christ en ressuscitant vient nous dire : va, quitte l’homme ancien, devient cet Homme Nouveau, né de Là-haut.


Pour naître de là-haut, reçois l’Esprit de ton Père. 


Comment vais-je le recevoir ? Je ne peux le recevoir que si je suis dans l’ouverture à mon frère, à ma sœur qui, plus qu’une humanité généreuse, plus que l’amour partagé, vient me dire dans son souffle, plus que lui, plus que sa vie, il vient dire la puissance de la vie, que l’on appelle l’Esprit- Saint.


Le Christ Ressuscité, c’est Celui qui dit : quittez les tombeaux où tout est vide et entrez dans cette nouveauté.


Ce soir, forts de ce passage entre l’homme ancien et l’homme nouveau, comprenons profondément que ce grand mouvement, ce grand passage, cela veut dire que, désormais, nous n’avons plus à croire en Dieu en cherchant une divinité, en cherchant une sécurité religieuse, en étant dans des habitudes. Croire en Dieu, cela veut dire sortir de cet a priori où je crois que ma vie n’a pas de sens, que je suis fait pour mourir, et entrer dans cette réalité profonde de la Résurrection où le Seigneur nous dit plus que tes projets, plus que ce que tu mets en place, il y a la vie que je te propose, cette vie qui passe par le frère et la sœur, c’est-à-dire l’Eglise. Cette vie, c’est cette capacité à pouvoir se transmettre le Souffle venu d’en haut. Cette vie demande véritablement que nous soyons inscrits dans la connaissance du Ressuscité.


Seigneur, ce soir, en accueillant la Résurrection, puissions-nous les uns les autres ressusciter. Puissions-nous mourir à toutes nos peurs et ressusciter. Puissions-nous sortir de là et dire que la vie vaut le coup d’être vécue. Je suis ressuscité. J’ai raté des choses dans ma vie, mais je suis ressuscité. J’ai raté beaucoup de choses, j’ai fait de mauvaises choses, de mauvais choix, mais je suis ressuscité. Parce que je suis ressuscité, je repars et ma vie devient alors le berechit, c’est-à-dire ce moment du surgissement de la première création. Avec Jésus, nous toucherons là à la terre nouvelle, aux cieux nouveaux, nous vivrons véritablement le temps de Dieu, parce que le temps de Dieu, c’est ce moment où je comprends que quoi qu’il me soit arrivé, quoique j’ai pu faire, je suis ressuscité avec le Ressuscité. Aujourd’hui, Il me redonne la vie et Il me permet de viser la liberté. Sortons de nos enfermements et allons à la rencontre de Celui qui est Bonne Nouvelle. Si ce soir nous crions Christ est ressuscité, en vérité il est ressuscité, soyons des ressuscités, non pas à l’extérieur, mais à l’intérieur. Portons le visage radieux de la résurrection. Que nos vies deviennent illumination, lumière pour le monde, et d’abord pour nous-mêmes. Alléluia