Paroisse Sainte Marie de Magdala

Homélie du Père Pierre (Colombani) - Fête de la TOUSSAINT 2014


Apocalypse 7, 2-4.9 - 14
1 Jean 3, 1 - 3
Matthieu 5, 7 - 12


Fête de la Toussaint, fête de tous les saints, fête aussi de nos amis qui sont partis et que nous disons morts.


Cette grande fête de la Toussaint nous ramène à quelque chose que l’Eglise a toujours évoqué, la communion des Saints. Cela veut dire que nous sommes en relation entre ceux qui sont vivants spirituellement et ceux qui sont vivants dans l’histoire d’aujourd’hui. Lorsque nous prions pour ceux qui sont partis, en réalité, nous sommes en contact, nous nous parlons ; car au travers de la prière, il ne s’agit pas simplement d’invoquer le Seigneur au travers de quelques formules toutes faites, mais il s’agit de communiquer, de dialoguer, de nous rencontrer dans le monde du subtil, ce que l’on appelle symboliquement le ciel. La mort n’existe pas, la mort n’est qu’un passage et les chrétiens lorsqu’ils parlent de la Pâque, ils parlent de la Pesha, de ce passage, de cette ouverture du tombeau de Pâques, autrement dit, de cette rupture, de ce déchirement du voile du temple qui fait que, désormais, nous sommes dans la relation entre ceux qui ne sont plus dans la densité cellulaire du corps et nous qui sommes encore ici et nous pouvons nous retrouver.


Quelle est la différence à établir entre ceux que l’on dit saints et ceux qui sont partis ? Les saints sont des hommes, des femmes, des enfants, des vieillards qui étaient exactement comme nous, de même condition. La différence est que toute leur vie a été saisie par le Seigneur. Ils se sont trompés, ils ont trahi, ils ont oublié, ils sont tombés, mais toujours ils se sont relevés et ont imploré le Seigneur et ont vécu en fonction de Lui 


Alors, oui, nous pouvons réentendre les Béatitudes de St Matthieu.
« Heureux les pauvres de cœur », car le pauvre de cœur, c’est celui qui dit je ne sais pas, je ne comprends pas, je me suis égaré, mais je m’en remets à Toi et je t’appelle mon Seigneur, je reconnais que je ne suis rien sans toi, voici quelle est ma misère, ma pauvreté, c’est de ne pas pouvoir vivre si je ne te trouve pas. 


« Heureux les cœurs doux », les doux, ceux qui auront la terre, mais pas n’importe laquelle, la terre de Dieu, la terre promise, la terre de l’Eden, cette terre à partir de laquelle nous pourrons nous déployer, ne pas être simplement les enfants de nos propres parents, de notre père et mère, quand bien même nous les avons aimés, nous sommes appelés, comme dit St Jean dans son épître, à devenir enfants de Dieu. Celui qui se laisse enfanter par la terre de Dieu, comme Marie, la Vierge Marie, connaîtra la terre virginisée, la terre où il n’y a plus la blessure du péché, la terre où nous sommes dans la plénitude avec Dieu.
« Heureux les artisans de paix », shalom, la paix qui n’est pas l’absence de guerre, la paix qui n’est pas l’absence de violence, mais bien au-delà, la paix est dans cette harmonie, dans cette communion où je sais que tout est ordonné à Dieu, que tout a du sens par rapport à Lui. 


« Heureux les artisans de la justice ». La justice de Dieu n’est pas seulement la justice des hommes, mais c’est notre capacité à toujours être orientés vers la Jérusalem d’en-haut, orientés, être à l’Orient, être tournés vers Celui qui nous dit « ta vie a un sens, ton histoire a un sens, l’histoire a un sens. Quelle est ta vocation ? Quel est ton chemin ? A quoi vas-tu répondre ? » 


«Heureux ceux qui seront persécutés au nom de Jésus », cela ne veut pas dire simplement entrer dans une guerre de religion, mais persécutés parce que nous affirmons, à la suite de Jésus, que nous sommes enfants de Dieu, qu’à la suite de Jésus, nous sommes faits pour ressusciter, que notre vie est noble et grande, parce que nous sommes ainsi appelés à devenir l’imago dei, l’image de Dieu, dans la relation au frère, à la sœur, dans la relation à l’autre. 


Voici quelles ont été les harmoniques qui ont véritablement coloré la vie des Saints. L’exégète juif, Chouraqui, retraduisant le texte fondamentalement, disait que la béatitude, « heureux » veut dire « en marche ». Les saints ont été des marcheurs et poursuivent cette marche, comme le dit le Livre de l’Apocalypse, et, avec eux, nous sommes tous entraînés. En parlant des 144.000 élus, ces douze tribus constituées de douze mille personnes, ce Livre nous parle de la totalité de l’humanité, d’hier, d’aujourd’hui, de demain, de la totalité de la création, minérale, végétale, animale, humaine, mais aussi de la totalité de la création cosmique, angélique, des mondes inconnus, des mondes incréés, de ces mondes que nous ne connaissons pas encore et dans lesquels nous serons un jour.


Une immense foule, qui marche vers son Seigneur, tel est le sens du Livre de l’Apocalypse. Ces enfants de Dieu, dont parlait l’Epître de St Jean, ce sont ceux qui ont affirmé, assumé, incarné toutes ces béatitudes. Regardez-les, ils sont des millions derrière nous, pressentons-les, ils sont des millions devant nous, mais aujourd’hui la sainteté est pour maintenant, c’est dans ce temps, ce temps où il nous faut apprendre à partager avec le frère, la sœur, pas dans une simple générosité, mais partager parce que la relation à l’autre, ce moment où je m’expatrie pour aller vers l’autre, c’est le temps, l’espace du divin, ce moment où je suis dépassé de moi-même, élevé au-dessus de moi, élevé au-dessus de mon corps, élevé au-dessus de mon âme et où je touche au noùs, l’esprit, ce contact avec l’Esprit Saint, le souffle de Dieu. 


Alors, oui, individuellement, nous devons être les uns avec les autres, collectivement être les peuples ensemble, et marcher à la réconciliation. Ces paroles ne sont pas vaines, ne sont pas utopiques, ne sont pas théoriques. Bien sûr, elles tombent dans un monde en feu parce qu’il y a la guerre ici et là. Bien sûr, elles tombent dans un monde en crise parce qu’il y a la crise économique. Ces crises ne sont que le reflet de nos crises intérieures, lorsque nous ne sommes pas dans cette grande orientation. Aussi, tendons nos mains, nos bras, communions avec tous ceux qui sont dans ce monde du subtil, et mettons nous en marche, ne soyons pas des croyants par habitude, des croyants fatigués, mais des croyants joyeux. Et dans cette joie, prions, agissons, implorons. Dans la célébration de l’ Eucharistie, n’oublions pas que le pain et le vin, qui vont devenir le corps et le sang du Christ, nous renvoient à nos humanités qui, tout en étant limitées, blessées, peuvent se déifier et nous font toucher au Christ en nous.


Tous ceux qui ont lavé leurs vêtements dans le sang de l’Agneau comprendront qu’il s'agit de notre baptême, de notre chrismation, de notre confirmation et en prenant l’eucharistie, nous irons joyeux à la rencontre de nos histoires pour faire du couple, de la famille, de la relation d’amitié, de travail, de voisinage, le lieu où nous pourrons dire : Seigneur, me voici, avec Toi, je deviens aujourd’hui, et avec mon frère, le temple de l’Esprit, Ton Souffle éternel.

 Amen