Paroisse Sainte Marie de Magdala

Homélie du Père Pierre (Colombani) - dimanche 20 octobre 2013

      

Siracide 10, 1 - 5

Philippiens 1,  1 - 11

Matthieu 22, 15 - 21


Ce texte, " Dieu ou César," nous l'avons tellement traversé, parcouru, commenté, médité. Qu'en dire ce matin ?

D'abord nous rappeler que lorsque dans l'Évangile il est question de César, ce n'est pas simplement la figure de l'empereur dont il est question, mais derrière César, c'est non seulement tout le monde politique, mais c'est surtout tout le monde humain, l'organisation de la vie de la cité, notre vie concrète, notre travail de tous les jours, nos projets, tout ce dans quoi nous nous engageons.

Et de l'autre, Dieu, c'est cette évocation de la finalité de notre existence, Celui vers lequel nous tendons, que nous recherchons. Et finalement, lorsque ces hommes, contemporains de Jésus, qu'ils soient Pharisiens, Hérodiens, viennent tenter Jésus et lui tendre un piège en lui demandant: faut-il payer ou non l'impôt ? Et cette réponse de Jésus, " Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu", cela nous ramène en fait à cette épître de Paul au Philippiens, lorsque Paul nous parle de discerner pour être prêts pour le jour du Christ. Qu'est-ce que cela veut dire?

Quand nous sommes vraiment de César, nous sommes de ce monde. Et disant cela, il ne faut pas y voir une connotation négative, nous sommes faits pour ce monde, faits pour être en ce monde. C'est tout le sens de l'incarnation de notre venue. Nous travaillons, nous aimons, nous avons des projets, nous nous engageons les uns les autres. Et tout cela, pourquoi le vivons-nous?  En réalité, l'Évangile de ce matin nous pose la question essentielle : pourquoi vivons-nous ce que nous vivons? Est-ce que tout ce que nous engageons est vraiment orienté vers cet essentiel que nous appelons Dieu

Et en fait lorsque Jésus, dans l'Évangile de Matthieu, va dissocier César et Dieu, il veut nous montrer que le monde a ses lois. Le monde a son organisation. Et ce monde peut tout-à-fait tourner par lui-même dans une forme d'autonomie. Mais cette autonomie ne peut pas être une forme d'indépendance, c'est à dire : nous existons hors de Dieu, nous existons hors de toute transcendance, nous existons hors de tout ce qui pourrait nous placer dans le questionnement essentiel. et si nous le faisons, alors nous allons à la catastrophe.

Si nous regardons autour de nous, qu'il s'agisse des questions d'écologie, qu'il s'agisse des questions de guerre, d'intégrisme, etc, ce ne sont que les expressions de cette humanité qui se pense par elle-même et pour elle-même et qui ne se laisse plus orienter par Dieu.

C'est César pour César, et Dieu est laissé à la périphérie. Or, en disant : " Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu ", le Seigneur vient nous dire qu'il y a deux temps pour nous préparer à ce jour du Christ. Il y a le temps du monde, et dans ce temps du monde, nous devons constamment nous poser cette question : mais tout ce que je fais, est-ce que c'est suscité, est-ce que c'est mu, est-ce que c'est porté, est-ce que c'est travaillé, par ma foi au Christ? Ou est-ce que c'est un peu au petit bonheur la chance et puis, tout à coup, je me rappelle que je suis chrétien.

Oui, il y a ce premier temps où il nous faut nous poser cette question essentielle.  Et l'autre, c'est le moment où alors nous allons déposer ce que nous avons vécu. Et où nous allons nous laisser interroger par ce Seigneur. Et finalement, la foi au Christ passe par ces deux mouvements : d'une part un questionnement où constamment nous allons nous demander si nous sommes véritablement orientés vers le Seigneur, et de l'autre, nous laisser interroger dans la méditation. 

Eh bien, mes amis, ces deux mouvements résument, au fond, ce que nous pouvons trouver, et dans le sacrement de Confession, et dans le sacrement de l'Eucharistie. Car dans le sacrement de Confession il ne s'agit pas d'énoncer quelques petits péchés comme cela, cela n'a aucun sens. Mais dans le sacrement de Confession, avec son accompagnateur spirituel, avec le prêtre, c'est déposer son existence et c'est essayer, véritablement, de se poser la question : mon couple, mon travail, mes activités, mes responsabilités, est-ce que tout cela est traversé de la Présence ou pas ?

Et dans ce questionnement, alors chercher à être beaucoup plus cohérent, cohérente. Et à se dire : est-ce que là  j'ai vu ta Présence Seigneur, est-ce que je t'ai entendu?  Ce moment où ça a résisté dans ma relation conjugale, ce moment où l'ami me semblait se perdre dans ma relation à lui, est-ce que je t'ai perçu, Seigneur, est-ce que je t'ai reconnu ? Est-ce que j'ai entendu ce que tu venais me dire ?

Voilà le sens du sacrement de la confession. Qui nous ramène à César. Qui nous ramène à cette humanité qui se laisse questionner.

 

Et puis de l'autre, le sacrement de l'Eucharistie, c'est à dire ce moment où, recevant la Présence réelle au travers du pain et du vin qui deviennent, par la consécration, le corps et le sang du Christ, nous laisser toucher par cette Présence du Seigneur qui, au coeur de notre humanité, chemine avec nous, et devient une Présence évidente, une Présence indicible, une Présence qui nous dit : " va au large, va plus loin, allez, suis-moi."  Et là alors ce n'est plus seulement le temps du questionnement mais c'est le temps où nous sommes nourris, où nous sommes dans l'écoute, où nous sommes dans l'accueil, où nous sommes transmutés. Et l'Eucharistie, ce n'est pas simplement d'aller à la messe pour être dans un rituel, mais c'est ce moment où toute notre humanité, tout ce que nous portons, tout ce que nous sommes, est comme élevé au plus haut de nous-mêmes et fait que nous devenons la création nouvelle, l'homme et la femme nouveaux. Oui, mes amis, ces deux mouvements, ces deux temps, c'est cela, le jour du Christ.

 

Alors dans le Livre du Siracide, il était question d'obéir au chef ; mais l'obéissance au chef, ce n'est pas une soumission à un ordre établi. L'obéissance, nous nous rappelons que cela vient du verbe obere, c'est à dire écouter. Et l'obéissance au chef, c'est être dans l'écoute d'un ordonnancement, car notre vie est ordonnée, elle est finalisée, et dans cette finalité il nous faut constamment être dans le questionnement pour répondre à l'appel irrépressible, et en même temps être dans cet accueil de celui qui vient nous dire : " je fais de toi une création nouvelle."

 

Si nous entendons ainsi notre chemin, la Résurrection n'est plus un vain mot, la foi ce n'est plus une idée éthérée, mais, tout à coup, tout devient concret, concrétude, transformation de nos histoires. Et alors oui, nous sommes dans l'Évangile, Evangelios, qui veut dire Bonne Nouvelle, c'est une Bonne Nouvelle pour nous car nous sommes des hommes et des femmes debout, en chemin, vivants.

Au coeur de ce monde, dans les tourmentes de l'économie, de la politique, du social, du culturel, où tout semble s'écrouler, pour être dans l'espérance absolue, il nous faut revivre ces deux temps. La Confession dans le sens : je me laisse questionner dans ce que je vis ; et l'Eucharistie, pour rendre grâce de Celui qui m'habite et me transforme.  Alors je vous le dis, le temps de César, et le temps de Dieu, ne seront plus opposés, mais ils deviendront le temps de la plénitude, le jour du Christ.     Amen.