Paroisse Sainte Marie de Magdala

Homélie du Père Pierre (Colombani) - dimanche 18 janvier 2015


Osée 2, 16-25
Rm 12, 6-16
Jn 2, 1-11


Mes amis, nous avons entendu ce matin trois textes forts, autour d’une grande question, inscrite dans quelque chose d’essentiel souvent difficile pour nous aujourd’hui, la question de l’obéissance.


Obéir, obere, écouter. Ce verbe latin veut dire écouter. Son sens n’a rien avoir avec une soumission, mais l’obéissance, c’est l’accueil d’une proposition dans laquelle nous allons pouvoir entrer pour devenir des hommes et des femmes libres.


L’Evangile de ce matin nous propose l’obéissance dans le déploiement de deux grandes figures, Marie et Jésus. 


Marie est comme la préfiguration, la symbolisation de l’Eglise, Eglise, qui n’est pas une institution, qui n’est pas le repère simplement dogmatique de quelques religieux, évêques, prêtres, mais qui est le peuple de Dieu, le peuple royal, ayant reçu cette responsabilité de faire rayonner la présence de Dieu parmi les hommes, dans le monde ; l’Eglise est personnifiée par Marie. Nous voyons alors qu’elle est la fonction de l’Eglise : voir ce dont les hommes manquent pour présenter ce manque à Dieu. Ainsi Marie voit que, dans ces noces, il manque l’essentiel : ils n’ont pas de vin, l’élément qui va permettre la fête, la réjouissance, la joie. Elle vient dire à son Fils : ils n’ont pas de vin. Dans cette attitude, Marie fait entrer véritablement la fonction de l’Eglise dans sa réalité, c’est-à-dire non seulement discerner, voir, mais surtout affirmer la nature du manque. Souvent nous disons, Seigneur sauve-nous, le salut du monde, c’est toi, tu es notre sauveur, notre rédempteur, des mots que nous employons de façon incessante, mais comprenons que derrière, si nous parlons depuis Noël de sauveur, de rédempteur, de salut, cela veut dire que nous avons besoin de salut, qu’il y a en nous des blessures, des ruptures, des manques. Connaissons-nous ces manques ?


Lorsqu’on regarde d’un point de vue extérieur, nous connaissons les manques. Dimanche dernier, nous avons prié pour notre France, notre démocratie, notre liberté, nous avons vu la nature du manque, la violence, l’intolérance. Mais peut-être que les manques les plus difficiles pour nous à décrypter, à discerner, ce sont nos manques intérieurs, ce qui, en nous, est abîmé, ce qui appelle réellement une reconstruction, une régénération, une innervation. Ainsi, nous sentons bien que, quand Marie vient dire : ils n’ont pas de vin, elle nous pose la question : connais-tu ton manque de vin ? Connais-tu ce dont tu es manquant ce matin ? Sais tu réellement ce que tu vas demander au Seigneur pour qu’il te mette dans le salut, dans une proposition de vie, car il ne suffit pas de dire Seigneur, Seigneur sauve-moi ; mais de quoi veux-tu être sauvé ? Quand Jésus posera la question à ceux qui l’entourent alors qu’ils savent qu’ils sont sourds, muets, paralysés, que veux-tu que je fasse pour toi ? Il les invite à entrer dans cette question de la conscience. 


Ainsi la première obéissance, dans l’Eglise, c’est d’être capable, dans le discernement que nous avons porté, d’être dans un état de conscience, avoir conscience de ce que nous sommes, de ce que nous ne sommes pas, de ce que nous pourrons devenir, car il n’y a pas de liberté sans conscience. Il ne suffit pas de manifester, de dire « je suis charlie » pour être dans la conscience et dans la liberté, car la liberté, c’est d’être conscient. Tous ceux qui manifestaient dimanche dernier ont eu raison, s’ils portaient le désir de la liberté, mais quelle est la liberté si je ne suis pas conscient de ma responsabilité, de ce à quoi je suis appelé, de ce dont je suis manquant ? Nous ne pouvons pas simplement être dans l’incantatoire et proclamer des choses, mis il faut devenir acteur de son histoire. Ainsi, Marie, disant ils n’ont pas de vin, permet à l’Eglise de comprendre que, lorsqu’elle discerne la réalité du monde, elle met le monde en mouvement, en se mettant elle-même en mouvement.


Regardons ce que disait Paul VI, en 1965, car ce n’est pas parce que nous sommes orthodoxes que nous aurions des œillères fermées pour ne pas voir ce qui se dit chez nos frères romains : l’Eglise est experte en humanité. L’Eglise, dans toutes ses sensibilités, romaine, orthodoxe, protestante, doit être Eglise si elle est capable d’être experte en humanité, c’est-à-dire de dire le sens de l’homme pour dire le sens de Dieu et en regardant ce dont nous sommes manquants appeler à la conscience pour mettre ce monde en mouvement. Allez, vous manquez, allez vous réveiller pour faire en sorte que ces manques deviennent des sources d’appel, de fécondité.


L’Eglise se déploie à travers Marie parce qu’elle dit le manque, mais elle dit aussi la foi : « Faites tout ce qu’il dira ». Marie ne doute pas un instant que, dans ce manque, seul le Christ va pouvoir relever cette communauté rassemblée, à condition qu’elle se mette dans l’obéissance, dans l’écoute. Marie ne sait pas ce qu’Il va dire, elle se fait rabrouer « Femme que me veux-tu ? », elle est mise à l’épreuve, mais elle dit : « Faites tout ce qu’il vous dira ». 


Souvent, nous sommes dans l’épreuve. Nous l’avons dit en commençant cette liturgie, la maladie, la mort de frères et soeurs que nous avons accompagnés, les bourrasques du temps, qu’elles soient climatiques, politiques, économiques. Comment traverser cette épreuve ? Sommes-nous des hommes et des femmes de foi au point d’être dans cette obéissance, dans l’écoute que quoiqu’il advienne, je ne me laisse pas désespérer parce que je dois comprendre ce qu’il y a derrière l’événement et faire de cet événement le tremplin de ma vie. Allez plus loin, me remettre en route. 


Voici dans la figure de Marie l’obéissance en Eglise telle qu’elle nous est demandée : avoir la conscience et avoir la foi.


L’autre figure est celle de Jésus, qui ne se présente pas comme un guérisseur, il y en avait beaucoup à son époque, il aurait pu ex nihilo, en claquant des doigts, faire le miracle, nous sommes toujours dans la recherche du merveilleux. On aurait pu se dire, Jésus est tout puissant puisqu’Il est Dieu et donc il va transformer l’eau en vin. Non, il appelle les serviteurs à remplir les jarres d’eau. Le texte nous dit qu’il y avait six jarres. Les six jarres sont ce temps de la création, tel que le propose le Livre de la Genèse les six jours de la création pour arriver au temps du Shabbat. C’est une manière symbolique de lire le monde, mais dire qu’il faut le sixième jour pour être dans le temps de l’homme, pour ensuite entrer dans le shabbat. Les six jarres sont là par lesquelles Jésus nous dit : es-tu homme pour entrer dans le temps de Dieu ? Car tu ne pourras pas entrer dans le temps de Dieu si tu n’s pas d’abord entré dans ton humanité. La révélation nous est faite que, en Jésus, Dieu s’est fait Homme. Les Pères de l’Eglise, à Chalcédoine, en 451, affirmaient Jésus Christ vrai Dieu, vrai homme. Mais pour arriver au vrai Dieu, il faut être vrai homme. Ce n’est pas simplement une définition dogmatique concernant Jésus, c’est une définition quu nous concerne nous. Si nous voulons entrer dans notre divin, dans notre déification, il faut être des hommes, c’est-à-dire des êtres éclairés par la conscience, mais aussi dans l’engagement. Etre homme, c’est accueillir la création que Dieu nous a offerte pour la déployer encore. Il ne suffit pas de dire je n’ai pas de vin, je suis dans le manque, viens me sauver, comme une sorte de gourou. Jésus nous dit « Que vas tu faire pour moi, homme ? Il va falloir porter ces six jarres, les remplir d’eau. C’est notre humanité, c’est notre engagement, c’est notre responsabilité, notre génie. Que faisons-nous ? Où en sommes-nous ? Où es-tu Adam ? dira Dieu en Eden. Où es-tu dans ton couple, dans ta famille, dans ton travail, dans ton espérance, dans ta foi ?


Si nous avons rempli des six jarres d’eau, si nous nous sommes investis, le miracle peut se passer. Il y a retournement, transformation, transsubstantiation dans l’Eucharistie, ce pain et ce vin, qui vont devenir corps et sang du Christ, parce que nous nous sommes engagés. Le miracle n’est pas un acte merveilleux d’un magicien, mais une participation à l’acte de création, car c’est la création. SI la création est inaccomplie, ce n’est pas d’abord l’objet du péché. Le péché, c’est de croire que l’inachèvement de la création serait un abandon de Dieu. L’inachèvement est une manière de Dieu de dire à l’homme « Avec moi tu vas faire, car de créature que tu es, je te rends co-créateur, participant de la création car je te veux libre, parce que tu es mon image et que cette image doit resplendir de ma présence. Tel est l’enjeu du miracle de Cana, un enjeu qui nous ramène à nos pauvres vies, qui deviennent des vies habitées. Il ne s’agit pas de dire simplement je crois en Dieu, comme on dirait je crois qu’il fait beau, que j’ai de la chance. Je crois en Dieu veut dire que je suis dans un saisissement, comme dire je crois en l’amour, en l’amitié, je m’engage, je suis avec toi. Comment dire je crois en Dieu si je ne suis pas donné à Lui. Donné à Lui, c’est être donné à la vie. Allez de par la vie, de par l’histoire, de par l’existence. Ce matin, en prononçant ces mots, je pense à tout ce que nous traversons pour être des hommes et des femmes dans l’espérance, en sachant que tout nous a été donné et que nous n’allons pas vers une issue fatale, vers la mort, mais vers la résurrection, vers l’ouverture. Quoiqu’il arrive, nous devons être des hommes et des femmes debout, car tout ce qui se passe n’est que le prélude de ce royaume qui nous est promis., non un royaume imaginaire dans une au-delà hypothétique, mais le royaume ici bas. Quand bien même, on me briserait les os, quand bien même, on me piétinerait, si je suis dans cette foi, dans cette obéissance, cette écoute, alors la vie sera plus forte que tout et je serai réellement l’être de Dieu, l’être en Dieu, l’être pour Dieu, pour l’Eternel, car Il a dit « Je suis Celui qui est » et ce Je suis n’est qu’ éternité . Amen