Paroisse Sainte Marie de Magdala

Homélie du Père Pierre (Colombani) - dimanche 28 juin 2015 


Si 27, 30 à 28, 7
1P 3, 8-17
Mt 5, 21-24



Mes amis, les textes de ce matin pourraient nous amener à une approche très moralisatrice de la foi et nous pourrions quelque peu nous arche bouter, car nous pourrions nous dire que l’on vient une fois encore nous culpabiliser. Il faut pardonner, toujours pardonner.


Quand on voit le spectacle du monde actuel, ce monde de violence, de l’argent, du soupçon, nous n‘avons plus envie de pardonner, mais de crier, crier justice. Et pourtant, comment vivre la justice, s’il n’y a pas de pardon ?
Qu’est ce que le pardon ? Qu’est ce que la réconciliation ?
Est ce que pour nous le pardon serait d’accepter l’ignominie, l’injustice, la calomnie, la parole blessante ?
Pour aborder cette grande thématique, la première épître de Pierre vient comme insister, à partir d’un mot, qui fait partie des trois vertus théologales, la foi, l’espérance et la charité (l’amour). Parmi ces trois, il y a cette vertu théologale de l’espérance. Quelle est notre espérance ?


Notre espérance, c’est de savoir que nous sommes créés par un Dieu, non une énergie, mais un Dieu, un Dieu personnel, qui s’est fait visage au travers de celui de Jésus, un Dieu qui a fait cette création, qui nous a faits, et qui, dans cette relation de personne à personne, avec chacune, chacun d’entre nous, vient nous dire : je t’offre tout cela, je t’aime. Ta vie est un don, je te propose de participer de cette création et dans tout ce qui est difficile pour toi, je viens te relever, te sauver, te libérer. Telle est notre espérance. Nous savons que nous venons de Dieu, que nous sommes aimés de Lui et nous savons que nous sommes sauvés au delà de tout.


L’espérance devient, pour nous chrétiens, non seulement un slogan, mais un chemin, une dynamique. Cette création, donnée par Dieu, nous le savons, nous le contemplons tous les jours, elle n’est pas finie, elle est inaccomplie, blessée. La blessure nous vient du péché, c’est à dire de tout ce qui n’est pas dans la visée de l’ultime, répondre à ce Seigneur. Mais l’inaccompli ne vient pas seulement du péché, mais aussi du fait que ce Dieu est un Dieu tellement plein d’amour, qu’Il n’a pas voulu nous offrir sa création tout faite, devant laquelle nous serions à devoir tout subir, mais Il nous a aimés jusqu’à nous dire : je fais de chacune, chacun de vous mon image, vous devenez mon visage. Vous êtes mon image, mon visage, chaque fois que avec moi, après moi, vous allez poursuivre cette création.


L’inaccompli, c’est à dire tout ce qui pour nous ne va pas dans le monde, n’est pas le témoignage du mal, mais le témoignage de ce qui reste à faire, à parfaire. C’est cela l’espérance. Le mal, c’est de croire que, dans tout ce qui n’est pas accompli, tout ce qui reste à faire et parfaire, nous serions comme abandonnés de Dieu, liés au hasard. Nous vivrions ces espaces inaccomplis comme des malédictions. Là, nous visons mal. Pour bien viser, c’est de toujours rappeler que tout ce qui est inachevé, inaccompli en nous et à l’extérieur de nous, c’est là où Dieu nous dit : alors, où es-tu ? Où es-tu Adam ? Que fais- tu ? Es-tu prêt à venir avec moi ?


Ainsi, nous devons entendre tout ce qui nous est dit sur le pardon et la réconciliation dans cette perspective de l’espérance. Nous sommes des êtres non faits, non achevés, non accomplis. Le monde est non fait, non accompli. Dans tout ce qui pour nous est difficile, c’est le rapport à ce qui n’est pas fait, non accompli et que nous vivons comme des ruptures, des blessures, des rejets. Au lieu d’entendre où nous sommes convoqués, nous nous dressons les uns contre les autres, contre nous-mêmes, alors que nous devrions entendre tout cela comme des chemins où il nous faut encore et encore travailler la terre de Dieu. Ainsi, le pardon est une dynamique. Ce n’est pas simplement fermer les yeux sur ce qui ne va pas, mais c’est une dynamique, c’est à dire réellement une création que nous savons devoir être un jour totalement accomplie, et pour laquelle il nous faut encore œuvrer. Quand nous allons nous réconcilier avec un frère, une soeur, lorsque nous allons pardonner, chercher en lui, en elle, dans la situation, l’imago dei, l’image divine, celle qui est potentiellement présente, qui n’est pas encore là, mais qui nous convoque à la responsabilité.


Alors, plutôt que de pleurer sur un monde qui va mal, plutôt que de nous désespérer devant ces actes de violence, plutôt que de nous alarmer en nous demandant où va le monde du point de vue économique, écologique, avec les guerres, avec les violences, entendons que, dans toute cette souffrance, il nous faut encore et encore achever l’imago dei, aller la chercher, la faire jaillir, resplendir. Que l’icône du Christ puisse réellement transcender toutes nos frontières, toutes nos limites, limites entre les peuples, les religions, les nations, les économies, mais aussi les limites entre nous, dans les relations interpersonnelles ; cessons de croire que nous sommes là à nous trahir, nous tromper, mentir et regardons cette perspective ouverte, où il nous faut aller chercher cette image à réaliser. Telle est la mission qui est la nôtre, la mission qui incombe aux chrétiens, qui ne sont pas meilleurs que les autres, qui n’ont pas plus la vérité que les autres, mais ils ont cette responsabilité : cette image divine nous a été confiée dans la personne du Christ, et il faut la faire jaillir.


Alors travaillons à la réconciliation, au pardon sans pour autant devenir laxistes dans ce qui nous accepterions, mais en rappelant toujours la dignité de la personne humaine, que cette dignité nous vient de Dieu seul et que ce Dieu n’est pas une religion, qu’il faudrait bâtir contre d’autres religions, une religion qu’il faudrait bâtir contre la société, mais que Dieu c’est l’amour, l’être avec , la communion, l’expatriation de soi vers autrui, et qu’en cela Il est réellement un champ de communion. Au cours de cette eucharistie où nous allons manduquer le corps et le sang du Christ, où nous allons vivre l’épiclèse, la descente de l’Esprit sur nous, puisse cette parole devenir pour nous réalité. Le pardon, c’est le don parfait, la réalité divine accomplie en nous, qui nous convoque au-delà de notre finitude. Alors réellement, nous serons des êtres en voie de résurrection. Amen.