Paroisse Sainte Marie de Magdala

Homélie du Père Pierre (Colombani) - dimanche 24 janvier 2016

Célébration œcuménique au Temple de Sanary


Esaïe 55,1-3
Psaume 145
1 Pierre 2,9-10
Matthieu 5,13-16


C’est un rendez-vous sympathique que de se retrouver ainsi ensemble ce matin, et ce depuis plusieurs années.
Si nous sommes dans la joie de nous retrouver, pour autant, nous n’oublions pas ce monde dont nous sommes porteurs et dépositaires, un monde qui a été, au cours de cette année, bouleversé par ces attentats, à Paris et ailleurs, violence politique, violence religieuse, violence qui nous interroge nous chrétiens, car il est facile ce matin de dire que nous célébrons la semaine de l’Unité et d’avoir un regard presque inquiétant et inquiété sur le monde. Mais comment pourrions-nous oublier que nous-mêmes chrétiens, sommes porteurs d’une histoire, histoire déchirée, blessée, où les St Barthélémy sont encore dans nos mémoires.


Catholiques romains, orthodoxes, protestants, oui, en regardant ce monde blessé, n’oublions pas notre responsabilité. Responsabilité d’avoir vécu nos différences comme des divisions, des séparations, des péchés comme si la différence était un péché contre Dieu. Au moment où nous allons célébrer cette unité, ne pensons pas que, parce que nous serions différents, nous n’honorions plus l’unité.


Ainsi ce matin, les textes proposés pour cette célébration, nous invitent à réfléchir, à méditer sur le sens profond de l’unité. Qu’est ce que l’unité ?


L’unité, ce n’est pas l’effacement de nos différences, bien au contraire. Dans l’Evangile de St Matthieu que nous venons d’entendre, il est très étonnant que l’évangéliste nous propose cette parole du Seigneur où le Christ nous dit « Vous êtes le sel de la terre, vous êtes la lumière du monde ».


Il aurait pu dire « Je suis le sel de la terre, Je suis la lumière du monde». Mais il nous dit « Vous êtes le sel de la terre, vous êtes la lumière du monde ». Qu’est ce que cela veut dire ?


Cela nous renvoie profondément au fait que nous sommes toutes et tous dépositaires de la lumière venue d’en haut, cette lumière de l’Esprit Saint que nous venons de célébrer, de prier, d’invoquer, l’Esprit du Père que le Christ nous donne. Cette lumière brille en nous et, en brillant, elle nous conduit alors à la faire éclore, à la manifester dans la singularité de nos personnes, de nos histoires, car il y a une seule lumière et son éclat va se différencier suivant nos cultures, nos horizons sociaux, nos sensibilités ecclésiales. Et ainsi, les différences que nous portons viennent assurer que la lumière ne peut pas briller de manière univoque, mais qu’elle doit briller d’un éclat tel qu’elle va donner des scintillements toujours différenciés, toujours autrement, et que plus cette lumière va se différencier, plus elle sera de l’ordre de ce Divin que l’on ne peut pas réduire à une définition, à une appréhension, à une conception quelle qu’elle soit.


Vous êtes le sel de la terre ». Saler sa vie, c’est lui donner du goût. Le goût que je vais donner à ma vie, c’est le Christ. Mais ce goût sera totalement différent selon que je suis un homme ou une femme, un jeune ou une personne en fin de vie, suivant que je suis de tel ou tel état culturel. Etre la lumière du monde, être le sel de la terre demandent d’aller à la source unique pour décliner cette source dans les différences qui feront que nous toucherons toujours davantage au mystère de Dieu.


Ainsi nous pouvons entendre cette première lecture, tirée du prophète Isaïe qui nous rappelait cette parole forte qui résonne dans tout le premier Testament, l’alliance en Dieu. Faire alliance, ce n’est pas entrer dans un principe réducteur, mais c’est au contraire affirmer que nous sommes autres et que dans cette altérité nous devons aller nous chercher les uns les autres. Dans ce lien d’alliance que nous allons vivre alors nous toucherons à l’alliance de Dieu, car Dieu n’est pas un principe, une idée, une émotion, mais Dieu est Celui qui se donne dans l’acte transcendant, dans ce moment où, dévidé de mon ego, de ma certitude et courant à la rencontre de l’autre, tout à coup je meurs à mon idée et je ressuscite à ce que tu es et que je ne suis pas, et tu meurs à ton idée et tu ressuscites à ce que tu n’es pas.


Le mystère de la Mort et de la Résurrection nous fait comprendre que l’unité, c’est une exigence dans la diversité. Cette semaine de l’unité, ce n’est pas un moment que nous prendrions par générosité, par tolérance, mais c’est le cœur même de notre foi. Nous sommes faits pour être autres, mais cette autrement nous amène alors à nous rencontrer pour nous nourrir, pour nous grandir, nous mettre en expansion les uns par les autres. Nous entendons alors que l’unité n’est pas le rebondissement à ce que nous restions pour les uns protestants, pour les autres romains, pour les autres orthodoxes, et que dans nos traditions différentes, nous portons des notes qui viennent ainsi dilater nos coeurs, nos consciences, nos âmes, nos corps et faire que l’Eglise du Christ est au delà de ce que nous pourrions en dire.


Alors, cette épître de St Pierre est réellement essentielle puisqu’elle nous dit « vous êtes la nation sainte ». La sainteté, c’est de décliner cette charte du Royaume que sont les béatitudes où nous disons « Heureux les pauvres, les doux, les miséricordieux, les artisans de paix » et ainsi chacune de ces béatitudes, chacune de ces notes va être portée de manière différente et ô combien enrichissante par cette unique Eglise, par cet unique peuple qui va marcher sur les chemins différents.
Osons la différence et nous serons davantage unis. Osons la différence et nous serons davantage peuple de Dieu en marche. Osons la différence, et nous serons davantage en alliance. Osons la différence et nous pourrons dire au monde le sens de la paix, le sens de la réconciliation, le sens de l’amour. L’amour n’est pas un sentiment, mais une éthique, une construction qui prend acte de ce que nous sommes différents et qui va nous conduire peu à peu à cet unique sel par lequel nous allons pouvoir donner du sens, du goût à nos histoires, à cette unique lumière par laquelle nous allons pouvoir irradier cette création en marche, qui n’est pas achevée. 


Qu’il est beau ce temps que nous prenons ensemble pour prier notre Seigneur. Demandons lui d’être de plus en plus attachés à nos histoires, nos traditions, nos cultures religieuses, ecclésiales, et ainsi nous témoignerons en ce monde, déchiré par la haine et la violence, combien l’appel à l’amour est le sens même de cette différence qui fait que nous sentons que le Seigneur nous dit toujours l’autrement du possible.


Prions pour que notre unité au cours de cette année soit cette affirmation que homme, femme, noir, blanc, protestant, catholique, orthodoxe, dans toutes les déclinaisons, nous soyons l’Unique Homme de l’Unique Christ par l’Unique Esprit, pour l’Unique Père. Alors, nous serons de sa lumière et nous salerons l’Histoire. Amen