Homélie du Père Pierre (Colombani) - dimanche 23 juin 2013
Siracide, 27, 30 à 28, 7
1 Pierre 3, 8 - 17
Matthieu 3, 21 - 24
Les textes de ce matin ne sont pas faciles, nous entendons souvent parler de pardon, de réconciliation, mais ce sont des mots tellement galvaudés que nous avons souvent du mal à en percevoir toute la pertinence. Ces textes ne sont pas faciles car, reconnaissons-le, et moi le premier comme prêtre, nous sommes torturés au plus profond de nous-mêmes entre notre foi qui nous fait dire oui à cet amour immense, et en même temps nos passions, nos pulsions humaines qui font que nous sommes dans des comportements à l'inverse de notre foi. Souvent nous nous surprenons à avoir des propos d'exclusion, des propos de refus, des propos de racisme, des propos qui font que nous sommes écartelés entre ce que nous voudrions être et ce que nous sommes en réalité. Nous percevons alors que l'Eglise nous propose un chemin qui n'est pas simplement un chemin moral ou éthique, c'est-à-dire : avoir un bon comportement. Mais, même si on peut décliner notre foi au travers d'une morale ou au travers d'une éthique, ce que nous propose l'Eglise c'est véritablement une transformation de nos êtres, car si nous ne sommes pas transformés intérieurement alors l'éthique extérieure, la morale extérieure, sera toujours comme plaquée et elle apparaîtra comme artificielle, superficielle.
Ainsi lorsque ce matin nous entendons cet Évangile où Jésus nous dit, qu'avant de présenter l'offrande il nous faut aller nous réconcilier avec notre frère, c'est véritablement une réconciliation d'abord en nous-mêmes, ce frère intérieur qui crie en nous, car nous sommes, saisissons le, habités par Abel et Cain, habités par Jacob et Isaïe, habités par Joseph et ses frères, habités par tous les grands archétypes, dont parle le livre de la Genèse, qui sont des présentations symboliques qui disent l'intériorité de notre être. Nous sommes dans un combat, un combat profond entre l'être lumineux et l'être de l'ombre. Il ne servirait à rien de nous dire : nous voulons avoir un bon comportement moral, éthique dans le monde, si nous ne saisissons pas d'abord que le premier rendez-vous est à l'intérieur de nous-mêmes. Comment nous réconcilier avec nous-mêmes ? Comment nous pardonner à nous-mêmes ?
Cet Évangile, ce matin, nous dit : " avant de présenter ton offrande va te réconcilier avec ton frère." L'offrande, mes amis, c'est tout ce que nous pouvons apporter au Seigneur, tout ce que nous aurions pu réaliser, faire, c'est-à-dire entrer dans cette proposition de l'alliance et dire : " voici Seigneur où je me situe." Eh bien pour réaliser d'abord cette alliance et porter cette offrande, le Seigneur nous dit : " va te réconcilier, va pardonner." Le pardon c'est donc la sortie de l'exil de nous-mêmes, la sortie de notre emprisonnement, pour aller vers Celui qui est la source, le don parfait, le Père, abba, Celui dont nous nous recevons. Pardonner, ce n'est donc pas de dire à l'autre simplement, extérieurement : " ce n'est pas grave." Mais pardonner c'est aller à " l'essentiel " qui est Celui qui me conduit, le Père. Et si je contemple ce Père, je me reconnais comme un fils, et me reconnaissant dans ce lien de fils à Père et de Père à fils, je reconnais aussi que cet autre qui m'a blessé, qui m'a offensé ; ou que j'ai blessé, que j'ai offensé, est lui, ou elle, aussi fils ou fille de ce Père, enfant de ce même Père. Et par ce détour, qui est fait vers le Père, nous comprenons alors que nous sommes tous replacés et donc que la question n'est pas de vouloir bien faire avec l'autre mais d'abord de nous ré-axer, de nous recentrer vers ce Père qui va tout remettre à l'endroit. La véritable réconciliation, mes amis, elle est souvent un chemin de ré- ordonnancement, se réordonner au Père, à partir duquel tout va pouvoir retrouver son harmonie. Si nous pensons que la réconciliation, le pardon, c'est un rapport de face-à-face, de vis-à-vis avec le frère et la soeur, nous serons alors dans des attitudes de condescendance, de moralisme, la foi va devenir un instrument réducteur. Mais si nous entendons la proposition que fait le Seigneur : " On vous a dit... Moi je vous dis." Nous ne sommes plus dans le registre d'une loi qui nous situera toujours en extériorité ; mais nous sommes dans le registre de la personne recréée et qui va découvrir ce chemin indicible de l'amour à partir duquel tout devient possible.
Aussi, ce matin les textes nous invitent autour de ces grands thèmes du pardon, de la réconciliation, à considérer le monde de la fratrie, le monde de la fraternité, mais bien comme un monde qui commence au plus profond de nous-mêmes : Es-tu le frère de toi-même mon frère ? Es-tu en amitié avec toi-même ? Ou es-tu dans le combat qui te mettra toujours dans le combat de l'extérieur ? C'est cela la question que nous pose la liturgie, elle vous la pose à vous, elle me la pose à moi, car, nous tous, nous sommes de cette condition humaine où cela résiste, et pour transcender ces résistances, il nous faut être orientés vers ce Père.
Le livre du Siracide que l'on appelle aussi l'Ecclésiaste, est un livre qui a été écrit aux alentours de 180 avant Jésus-Christ. Ecrit par un éminent spécialiste de la loi, qui était déjà dans cette compréhension d'un pardon qui doit dépasser la notion de la loi. Ce personnage là, a été lu et relu dans les églises, son texte devenant l'Ecclésiaste ou l'Ecclésiastique. On a compris que désormais nous n'étions plus dans le régime de la loi, mais que nous étions dans le régime de la foi que constitue l'Ecclésia, l'Eglise, l'assemblée. Mais il n'y a d'assemblée que si nous sommes rassemblés intérieurement au plus profond de nous. Il me semble que la désertion actuelle que vit notre paroisse est l'expression même de cette désagrégation que nous vivons les uns, les autres, au plus profond de nous. Et moins nous serons unifiés à l'intérieur de nous, moins l'unité sera désirée pour faire communauté. Ainsi la question n'est pas de savoir si nous faisons nombre ou pas lorsque nous nous réunissons, mais la question est : que se passe-t-il en chacune et en chacun de nous.
Aussi pour entrer dans cette méditation sur le pardon, la réconciliation, il me semble qu'il nous faut revenir profondément au sens de la prière, au sens de la méditation, au sens de cette rencontre avec le seul qui puisse nous réordonner, nous reclasser, nous réorienter.
Au cours de cette liturgie demandons au Seigneur cette grâce, ainsi nous pourrons goûter à toute la puissance de ce mot : " être déifié," être l'image de Celui qui nous met en cette harmonie où tout devient rencontre d'amour.
Amen.