Paroisse Sainte Marie de Magdala

Un espace ouvert à tous à Toulon

« Sauvons le monde par une laïcité de la Transcendance » - Novembre 2013


D’aucun s’accorde à constater combien, actuellement, nous traversons des temps troublés, tant sur le plan socio-économique que politique. Mais, fondamentalement, n’est-il pas temps de reconnaître que le mal-être présent vient sans doute, plus radicalement, de ce que nous avons perdu nos repères, pour donner du sens à la bonne marche du monde ? Montent, en effet, de tous côtés, des signes de désespérance qui se traduisent par des replis identitaires, de la violence, de la peur sous toutes ses formes, et l’émergence, de plus en plus exacerbée, de marchands d’illusion distillant leur venin à tous les échelons de la société. Or, dans ce qu’il conviendrait de qualifier de crise de civilisation, avec la perte, notamment, du sens d’un bien commun supérieur, ne serait-il pas temps de revisiter les conceptions archaïques de la laïcité, encore revendiquées par les derniers hussards d’une vision dépassée de la sécularisation ?

Non que la crise ne soit pas le résultat d’une dérégulation outrancière des échanges économiques, ni de l’abus des revenus du capital au détriment de ceux du travail, ni encore, de l’arrivée massive des pays émergeants dans le cadre de la globalisation de l’économie. Mais ce ne sont là que des effets, au même titre que la crise, sans précédent, des subprimes de 2008. En réalité, la profondeur de ces bouleversements vient de ce que nous avons perdu la notion de l’orientation solidaire de la société. Des groupes se dressent, ici ou là, pour donner des solutions, souvent en termes communautaristes, corporatistes, et l’individualisme, telle une déferlante, emporte tout sur son passage.

Dans un tel contexte, les religions, au-delà de leurs confessions de foi, ne seraient-elles pas habilitées à redonner du sens au bien commun autour de l’idée d’altérité, à travers l’évocation d’une spiritualité ? Reconnaissons que la question de la transcendance a souvent été perçue comme l’occasion d’institutionnaliser une morale sociale pour s’assurer la stabilité d’un ordre établi.

Or, plus fondamentalement, les religions, en éduquant les êtres à s’élever vers un état supérieur, ne les initient-elles pas à vivre en fonction d’un autre que soi-même et éviter, ainsi, les pièges d’un narcissisme délirant, où les personnes sont toutes focalisées sur leur petit « moi » égocentré ?

Poser la question, n’est-ce pas déjà y répondre ? Certes, précisons en préalable, que la réalité du transcendant ne peut se confondre avec les limites des idéologies religieuses. Comprenons qu’il ne s’agit pas de savoir si telle ou telle approche mystique serait la plus appropriée, et notre propos n’est pas l’occasion de faire l’apologie du Christianisme vis-à-vis d’autres traditions religieuses. Mais la portée d’une transcendance permet d’orienter l’humanité vers un dépassement, dans sa quête d’un au-delà. Dès lors, l’horizon ne peut se limiter à des questions touchant au seul profit à tout prix, au plaisir hédoniste, à l’idée que l’autre serait porteur de tous les maux.

La force de la transcendance place l’être dans une vision où il se découvre comme conduit, appelé, inspiré. Et sa vie devient un mouvement ascendant vers un plus d’être. Le philosophe bouddhiste Matthieu Ricard plaide pour la promotion d’une sagesse altruiste. Cela est tout à fait positif. Mais la transcendance induite par l’expérience d’une altérité amplifie encore cette tendance à l’altruisme qui, déjà, est un mouvement lumineux en ce qu’il promeut un humanisme vivant. Car, le phénomène de la transcendance pousse l’être à passer de l’altruisme, ouverture sur l’autre, à l’altérité, expérience d’un Tout Autre, ou un tout autrement.

En cela, la religion n’est plus un endoctrinement visant à imposer une vérité, mais un chemin d’élévation permettant à la personne de se réaliser dans une réponse à un appel irrépressible. L’existence devient alors un espace de rencontre et non un champ de bataille. L’histoire a malheureusement révélé des expériences funestes où les religions sont devenues des occasions de terreur au nom d’idéologies. Ce furent des contre témoignages qui ne relevaient pas de l’expérience transcendante véritable, mais davantage de l’instrumentalisation du religieux au profit d’intérêts partisans et financiers. C’est dire que l’idée de transcendant suppose une approche d’altérité, où le croyant se met en ouverture avec ses vis-à-vis et vise, avec eux, un bien supérieur, dont l’impact sur l’évolution de la société est tout à fait significatif.

Dès lors, pour redéfinir un pacte de vie commune, une recherche d’un bien commun, ne serait-il pas pertinent de traduire la laïcité, non plus en termes d’une neutralité, qui ne donne aucun fondement au vivre ensemble, mais bien plus en termes d’intégration, afin d’articuler toutes les traditions en quête d’élévation de l’humain ? Cette question se pose à notre pays, la France, championne de la question des droits de l’Homme pensés à l’aune de la laïcité. Mais cela devient aussi une exigence pour l’ensemble du monde. Avec des flux migratoires de plus en plus massifs, où des populations entières s’exilent pour fuir la misère, la guerre, et recherchent des zones de paix, le brassage des cultures et des religions devient une réalité évidente. Or, cela génère, de par le monde, non seulement de nouveaux communautarismes, mais aussi des antagonismes qui nourrissent la haine de l’autre. Si la laïcité n’est pas envisagée autrement qu’une simple conception sécularisée de la société, en termes de neutralité, les êtres vont se trouver privés de valeurs, de quête de sens. Ce sera, alors, le règne de l’égoïsme absolu, sous toutes ses formes, spectacle que nous offre,  aujourd’hui, la civilisation occidentale. Ou bien, ce sera la déferlante d’idéologies politiques et religieuses qui dresseront les êtres, les uns contre les autres, ce que proposent tous les intégrismes actuels, qu’ils soient religieux ou athées.

Pour sortir de ce dilemme épouvantable, les sagesses, les traditions religieuses, les grandes philosophies, toutes doivent se rencontrer pour croiser leurs quêtes du transcendant et permettre l’élaboration d’une civilisation plus humaine. Le philosophe André Comte-Sponville va jusqu’à militer pour une spiritualité sans Dieu. C’est dire si la transcendance occupe un terrain qui englobe autant le monde religieux que le monde athée. L’important étant que tous se retrouvent pour dialoguer et rechercher un socle commun de valeurs fondant la spiritualité de l’homme. Tel est l’enjeu de la véritable laïcité, tel est l’enjeu du devenir de notre société : l’élaboration d’un projet d’un vivre ensemble.

Les sociétés occidentales ont bâti leur socle de valeurs sur le fondement du judéo-christianisme, ensuite sécularisé sous les vocables de « république » et de « démocratie ». Mais l’individualisme lié à une vision économique libérale a brisé ces schèmes de pensée. Aujourd’hui, les nouvelles populations, produit de l’émigration notamment, ne se retrouvent plus dans ces valeurs et revendiquent d’autres supports identitaires. Il est urgent de reconnaître la nécessité d’un dialogue englobant toutes les richesses de toutes les traditions, afin de repenser les valeurs pour élaborer un vivre ensemble qui dépasse les frontières nationales ou régionales, car le devenir de la planète est un enjeu qui posent des défis mondiaux et globaux.

En un mot, ne désespérons pas, mais entendons la portée de la crise actuelle. Elle convoque toutes les femmes et tous les hommes de bonne volonté et appelle toutes les traditions à décliner ensemble le sens de l’Humain dans un dépassement de lui-même, par l’expérience du mouvement transcendant. C’est bien là le chemin de l’avenir de l’humanité et de la planète tout entière…

 

+ Père Pierre Colombani

Théologien, prêtre orthodoxe