Paroisse Sainte Marie de Magdala

Un espace ouvert à tous à Toulon

" Répondre à l'inaccompli " - février 2014


Dans les débats actuels qui traversent notre pays, au-delà des clivages partisans, bien des questions soulevées concernent l’image et les valeurs que nous véhiculons au sujet de la personne humaine. Qu’il s’agisse de l’égalité hommes femmes, du retour du dossier sur la contraception et l’interruption volontaire de grossesse, de l’évocation des familles monoparentales, du mariage pour tous, de l’homoparentalité, de l’euthanasie, autant de thèmes qui, non seulement font polémique, mais surtout risquent de laisser apparaître les chrétiens comme des individus décalés dans leur temps, peu en phase avec la modernité dans les réactions qui se font jour, ici ou là. Or, la position des chrétiens sur ces sujets est aussi large et variée que leur nombre. Mais ce qui pourrait laisser planer une ombre de suspicion dans leurs prises de position, c’est la notion de « péché ». Comme si, par définition, la foi chrétienne devait se décliner en termes moraux d’interdiction. Dans cette optique, le Christianisme apparaît toujours comme une source d’obscurantisme aux yeux de certains, ne permettant pas l’avancée des idées et l’évolution des mœurs.

Rappelons, cependant, que le péché n’est pas l’évocation d’un mal en général, ni d’une vision moralisatrice de la réalité. C’est l’interprétation des événements qui ne sont pas, dans leur visée essentielle, orientés vers le Bien Commun, dont l’expression ultime trouve sa réalité dans le Dieu Trinitaire. Non qu’il s’agisse  de rechercher l’érection d’une société confessionnelle, avec l’élaboration d’un ordre moral. Mais, l’évocation du mystère trinitaire, en coïncidence avec l’affirmation biblique de l’homme image de Dieu, permet d’entendre combien la relation, au centre de la vie du couple, de la famille, de la cité, donne accès au divin. Et c’est au cœur de cette relation, que se réalise tout le sens de la dignité intrinsèque de l’homme.

Nous ne sommes donc pas dans une posture idéologique de l’a priori. Autrement dit, a priori, nous ne contestons pas tel ou tel débat, ni toutes les options et opinions les plus diverses. En revanche, nous entendons pointer, au cœur de toutes ces discussions, les notions de « sens » et de « manque ». Notre société donne-t-elle encore du sens et avons-nous conscience que le manque est une inhérence de la condition humaine ? Dès lors, si tout doit être débattu, pour autant faut-il accoler, de manière récurrente, le vocable de « droit » à tous les sujets abordés ? Droit à l’homoparentalité, droit au mariage pour tous, droit à l’euthanasie, droit à… Cette posture revendicatrice relève davantage de l’état réactionnel de l’adolescence que de la réflexion en profondeur et de l’écoute de l’autre. Mais surtout, elle ne laisse que peu de place à la question du sens à rechercher dans tel ou tel manque.

En effet, pour nous chrétiens, il s’agit fondamentalement d’entendre que chaque limite imposée à la nature humaine ne traduit pas, nécessairement, une loi naturelle de l’inéluctable, condamnant l’humanité dans les retranchements de ses possibles immédiats et fixant, ainsi, l’évolution dans le cadre strict des contingences. Car alors, chaque limite serait interprétée comme une volonté supérieure devant laquelle l’homme devrait impérativement se soumettre. Cela fermerait, ainsi, la porte à toute idée de recherche et l’humanité serait encore dans un état d’évolution très précaire. Bien au contraire, nous croyons que chaque manque porte en lui-même une question. Autrement dit, lorsque nous nous heurtons à une forme d’impossibilité apparente, quelle qu’en soit la nature,  nous touchons à ce manque ontologique qui renvoie à la liberté de l’homme. Quand nous manquons au travers des problèmes de santé, de dignité sociale, de ressources énergétiques, d’égalité des chances, nous ne sommes pas interpellés en termes de revendication. Il s’agit d’entendre davantage l’appel à la mobilisation de notre responsabilité, pour promouvoir un autre possible, devant tel ou tel schéma qui paraît barrer la route à l’évolution de la condition de l’homme.

Ce que nous voulons dire, c’est que le manque appelle la conscience et l’intelligence de l’homme à s’affiner de plus en plus. Ce manque fait partie de notre construction caractérisée par la finitude. Dans notre mortalité, nous touchons à la limite qui vient se rappeler à nous au travers de chaque épreuve de la vie. Et, tout effort, pour vaincre la limite apparente, devient une réponse au Vivant. Nous pensons par là que l’inaccompli de la création apparaît à travers ces manques et qu’ils ne sont pas la marque d’une condamnation divine. En revanche, cela signifie que Dieu appelle l’homme à participer à sa création en poursuivant, par l’accueil de l’Esprit Saint, tout ce qui semble non encore harmonieux avec le développement plénier de l’humanité. Ainsi, qu’il s’agisse de l’économie, de la finance, de la santé, du travail, des questions sociales, de la recherche scientifique, tous les domaines  que nous qualifions de « problèmes » relèvent en réalité, dans l’horizon de notre foi, de l’appel primordial de Dieu à l’homme : « Adam, où es-tu ? ».

Cela implique que nous admettons totalement l’idée qu’il faille parfaire ce monde, et que les avancées que nous cherchons à réaliser ne sont pas à mettre en opposition avec une quelconque réalité de la loi naturelle. Pourvu que, ce qui est engagé, le soit dans l’orientation du Bien supérieur qui donne le sens à tout. Ce bien supérieur, que nous déclinons dans la personne du Dieu Trinitaire que le Christ nous a révélé, nous fait le devoir d’affirmer la dimension sacrée de la vie et des relations humaines au cœur du couple, de la famille, de la Cité. Certes, il va s’en dire que la loi de la laïcité correspond à notre vision de la société non confessionnelle, à condition que celle-ci garde la préoccupation majeure d’éduquer les êtres à l’aune de cette compréhension du caractère sacré de tout homme et de tout l’homme.

Par conséquent, les chrétiens ne sont pas les témoins d’une pensée d’un autre âge. Ils rappellent et signifient, au-delà de toutes les croyances et des diverses philosophies, ce qui caractérise le sens profond de l’homme et la portée des manques qu’il peut connaître. Ainsi, nous affirmons la grandeur de l’homme appelé à la vie. C’est dans cet éclairage que nous envisageons l’ensemble des débats actuels. En cela, les chrétiens ne sont pas les garants d’un ordre moral, mais les gardiens du respect de la vie dans sa dimension la plus sacrée.

 

+ Pierre Colombani

Prêtre orthodoxe, théologien.