Homélie du Père Pierre (Colombani) - dimanche 13 octobre 2013
10 ans de la paroisse
Dt 15, 1 à 5
Ep 6, 10 à 17
Mt 18, 23 à 35
En découvrant les textes que nous propose la Liturgie ce matin, je vous avoue que j’étais un peu perturbé, car je me demandais quel lien faire entre cette demande de pardon insistante de la part du Seigneur, et cette commémoration de la création de notre paroisse. Oui, bouleversé, perturbé, car au fond, si nous avons crée cette paroisse il y a dix ans, c’est que nous étions, comme nous le rappelait Miette et Magdeleine magnifiquement, nous étions dans ce droit fil d’une transformation, d’une transmutation. La plupart d’entre nous avions quitté l’Église Catholique Romaine, et dans une forme d’errance, nous cherchions comment pouvoir trouver un autre lieu ecclésial pour nous épanouir dans notre foi au Christ. Et cette rencontre avec l’Église Orthodoxe Française, comment la vivre sans en faire une apologie qui consisterait à dire « ceux d’hier étaient vraiment les mauvais, et ceux d’aujourd’hui seraient les meilleurs ».
Méditant alors plus avant sur les textes de ce matin, il m’est apparu quelque chose, peut-être d’essentiel. En effet, dans cette parabole, que nous raconte Jésus ? Il nous raconte la primauté de l’amour de Dieu. Qu’est-ce que cela veut dire ? Cela veut dire que quoi que nous fassions, quoi que nous disions, Dieu est par essence, amour. Et dans cet amour radical, Il vient toujours reprendre l’initiative pour, comme le dit Saint Paul dans son épître aux Éphésiens, mettre l’Homme debout, mettre l’Homme en situation de vie.
Et donc toute la révélation qui est faite depuis la nuit des temps, à travers ce qu’on appelle les textes bibliques, cette révélation nous apprend que Dieu en tant qu’amour, vient nous rejoindre, non pas pour nous condamner, non pas pour nous inscrire dans des prescriptions qui nous réduiraient, mais pour nous appeler à vivre, et donc à nous arracher à ce qui nous a, à un moment donné, tenu prisonnier, pour nous libérer. Pour nous apporter une liberté, un Salut.
Ainsi, dans le Premier Testament, rappelons-nous ces images tellement inscrites dans la mémoire que nous portons depuis l’enfance, ces flots qui s’ouvrent, ce peuple qui sort de l’esclavage, de la maison de l’Égypte, pour aller vers une terre de liberté. Image des ...... (déprimante ?) certes, mais image qui inscrit dans notre anamnèse, dans notre mémoire, cette foi, cette conviction profonde. Oui, Dieu nous libère.
Et puis, dans le Deuxième Testament, la Croix n’est pas un signe mortifère pour nous rappeler que le Seigneur serait mort sur la Croix, mais que dans sa mort, il est venu vaincre toutes les formes de mort par lesquelles nous passons. Et il est ressuscité, pour nous dire que nous ne pouvons pas en rester à ces morts, mais que nous sommes faits pour la vie. Aussi, dans cette merveilleuse prédication qui s’offre à nous, depuis tant de siècles, comment se fait-il que les religions, comment se fait-il que les Églises soient toujours arc-boutées sur de petites vérités, et qu’elles condamnent, au nom même de Dieu, alors que Dieu n’est qu’amour.
Et finalement cette parabole m’est soudain apparue comme très éclairante. Il y a d’un côté ce message fabuleux d’un Dieu qui nous dit « Allez, je remets ta dette », et puis il y a, de l’autre côté, les idéologies religieuses, qui au nom même de ce Dieu, vont dire « Ta dette ne sera pas remise ».
Aussi, dans ces errements que nous avons traversés, pour trouver cette Église Orthodoxe Française, pour créer cette paroisse, pour vivre tout ce que nous avons vécu au cours de ces dix années, il me semble que nous avons goûté non pas une Église qui serait meilleure que les autres, non pas une religion qui aurait tout compris, mais nous avons goûté un chemin fragile, petit, difficile. Mais où nous avons entendu un Dieu qui nous dit « Je viens pour pardonner, et non pas pour condamner ».
Ainsi, dans la première lecture, tirée du livre du Deutéronome, il y a un verset fort, très fort mes amis, que nous avons peut-être du mal à entendre et que je vais redire avec vous : « Il n’y a pas de pauvres chez toi ». Ce verset peut nous étonner car la première des Béatitudes, c’est « Heureux les pauvres de cœur ». Oui, je suis un pauvre de cœur si j’admets que ma vérité sera toujours dans une recherche, dans un accueil, dans une ouverture, mais non pas dans une exclusion. En revanche, « pas de pauvres chez toi », cela veut dire qu’il n’y ait pas chez toi d’exclus, qu’il n’y ait pas chez toi l’excommunié, qu’il n’y ait pas chez toi le refusé, parce qu’il serait divorcé-remarié, parce qu’il serait homosexuel, parce qu’il ne conviendrait pas à telle ou telle morale. Mais au-delà de toutes les morales, au-delà de toutes les prescriptions, l’essentiel c’est l’Homme, l’Homme debout. Et lorsqu’on dit l’Homme, c’est la communauté de l’homme et de la femme, c’est cette rencontre des altérités, et c’est cela que le Seigneur est venu bénir, approfondir, proclamer à temps et à contre-temps.
Aussi, ce matin, dans l’inspiration de Saint Paul, que nous vivions debout, que nous vivions comme des êtres debout, il me semble que cet anniversaire de la création de la paroisse Marie de Magdala à la fois n’a rien d’extraordinaire, mais est extraordinaire. Rien d’extraordinaire, car nous sommes comme tout un chacun, comme tout un chacun nous cherchons, comme tout un chacun nous nous sommes trompés, comme tout un chacun nous sommes fragiles, faibles. Mais extraordinaire, parce que ce n’est pas nous qui avons crée cette paroisse, ce n’est pas nous qui nous sommes choisis, ce n’est pas nous qui avons fait qu’il y ait cette émergence, au-delà de nos humanités, c’est Lui, le Seigneur, qui est venu nous chercher et qui nous dit « allez au large, allez plus loin, ne vous habituez pas, cassez tout ce qui peut vous apparaître comme des verrous de vérité », pour toujours vous émerveiller dans le sens de l’Évangile qui est une Bonne Nouvelle, qui signifie que la vie est plus forte que la mort.
Prononçant ces mots, je pense à tous ceux qui ont émaillé notre vie au cours de ces dix ans, mais je pense à tous ce que nous avons traversé ici où là dans nos chemins ecclésiaux, dans nos chemins de vie, dans nos histoires. Entendons, à travers eux, le visage du Christ qui nous dit « je suis avec vous jusqu’à la fin des temps », « Chaque fois que vous serez deux ou trois réunis en mon nom je serai au milieu de vous ». Si tel est le cas, alors il n’y a plus l’Orthodoxie, il n’y a plus le Protestantisme, il n’y a plus les Romains, mais il y a l’Homme, en Christ, qui au-delà du fait qu’il soit homme ou femme, être esclave ou être libre, qu’il soit de telle ou telle nationalité, qu’il soit de telle ou telle culture, de telle ou telle condition sociale, il y a cet être, qui est appelé à renaître de toutes ses blessures, de toutes ses morts.
Puissions-nous entendre ce message, et faire résonner au plus profond de nos cœurs ce matin « il n’y a pas de pauvre chez toi, sois le pauvre de Dieu, ainsi tu seras riche de l’Homme ». Amen.