Paroisse Sainte Marie de Magdala

Editorial          ETE 2015


" Au secours, retrouvons le Principe de la Subsidiarité ! "


Tous les jours, les médias nous abreuvent d'informations au sujet de la Grèce, pour nous présenter les arguments des uns qui déplorent les derniers accords européens, et ceux des autres, au contraire, pour les encenser... Jusqu'à Dominique Strauss-Kahn qui, délaissant les coulisses des "affaires", a repris une posture de spécialiste en économie, pour dénoncer le diktat allemand. Et nous, devant cette avalanche de commentaires, nous nous sentons tellement démunis pour discerner la réalité... Sauf que nous voyons, depuis près de six ans, un peuple s'enfoncer devant nos yeux et que nos dirigeants de droite comme de gauche, apparaissent telles des marionnettes, agissant au nom de groupes de pression dont on ne mesure pas toujours la nature. Beaucoup de paroles, de postures et, au final, les dettes, encore des dettes et de la misère de tous côtés. 


Dans le projet européen, en 1992, au sujet du fameux traité de Maastricht, il était question d'un mot, d'un principe inconnu en France, celui de la "subsidiarité". En fait, ce principe s'inscrivait davantage dans la tradition rhénane et reprenait un enseignement traditionnel de la doctrine du Christianisme, que l'on pourrait traduire par la notion de responsabilité. Entendons que ce principe stipule que, tant qu'une instance inférieure peut assumer sa propre compétence, quand bien même l'instance qui lui serait supérieure pourrait apparemment mieux exercer cette même compétence, l'instance inférieure doit tout mettre en oeuvre pour garder sa propre compétence, avant de la déléguer plus haut. En termes plus simples, cela revient à dire que nous ne devons pas trop vite nous dédouaner de nos propres responsabilités et maîtriser au maximum notre droit et notre devoir de contrôle. Or, dans notre démocratie dite "représentative", les modes de représentations deviennent de plus en plus opaques et les décisions finissent par se concentrer dans quelques bureaux de ce qu'il convient d'appeler pudiquement, une véritable technostructure. Sans tomber dans les accusations populistes et démagogiques des extrêmes, de gauche comme de droite, reconnaissons que nous devenons davantage des spectateurs que de véritables citoyens, acteurs de leur propre Histoire.

Comme fidèle de Jésus-Christ, je ne peux me résoudre à suivre comme un mouton les avis des uns et des autres. Dans l'horizon du personnalisme chrétien promu par un penseur tel que, Emmanuel Mounier, faut-il rappeler que le Christianisme ne relève pas de la religion du Livre, comme certains le prétendent ? Il est bâti sur la Personne du Christ qui nous fait contempler la Personne du Père, par l'intermédiaire de la Personne de l'Esprit-Saint. Le mystère trinitaire, loin d'être une abstraction pour quelques théologiens échevelés, nous renvoie au Livre de la Genèse où il est dit que, l'image de Dieu se réalise au travers de la communauté de rencontre de l'homme et de la femme. (Cf. Gn 1, 27). Cela affirme la singularité de chacun (Homme-femme) et l'altérité d'une responsabilité (une incomplétude qui appelle une plénitude). 


Dieu, présenté comme le Vivant, permet la vie, à condition que chacun se déploie pleinement et qu'il s'articule avec l'autre et non contre l'autre. Saisissons, bien sûr, que l'homme et la femme ne deviennent pas, ici, les archétypes de la sexualité, mais davantage la représentation de toutes les différences, de toutes les altérités, qu'il s'agisse de la culture, de la religion, de l'idéologie, de tout ce qui nous différencie et qui peut nous enrichir et non nous séparer. Dès lors, l'idée du Personnalisme chrétien consiste à affirmer, non l'individu comme englué dans des grands ensembles, mais davantage la Personne dont la singularité appelle une présence en relation avec autrui. Ainsi, chacun est responsable de soi et d'autrui et, comme l'indiquait Emmanuel Lévinas, ma liberté ne s'arrête pas où commence celle de l'autre, mais commence avec celle de l'autre.


Par conséquent, le personnalisme conduit à la subsidiarité, en ce que nous ne pouvons pas nous satisfaire de décisions venues d'instances "supérieures", ayant des connaissances que nous n'aurions pas. Nous avons le devoir de nous informer, afin de garder notre libre arbitre et de ne rien céder de notre autonomie et de notre propre compétence. Ma foi dans la Sainte Trinité me conduit alors à rester ouvert au monde, en le vivant comme l'appel irrépressible à mon propre engagement, pour assumer ma propre responsabilité et ne pas apparaître tel Ponce-Pilate se lavant les mains devant l'injustice.


La Personne du Christ m'introduit dans la communion des Trois Personnes de la Trinité, pour devenir à mon tour, non pas un individu, mais une Personne. Cela m'oblige à rester libre et à exercer ma compétence. Cela m'oblige à ne pas instrumentaliser Dieu pour pleurer sur les malheurs du monde. Cela m'oblige à devenir acteur de ma vie et non pas un être assisté, se laissant réduire au rang de spectateur dépassé et impuissant.


La tradition orthodoxe a toujours privilégié dans le mystère trinitaire une conception collégiale de la foi. Elle ne peut pas concevoir l'Église comme une hiérarchie pyramidale, mais davantage comme une autorité vécue dans la communion d'amour. Dès lors, en corrélation, notre rapport à la société nous incite à vivre dans une dynamique non de soumission à des hiérarques, mais dans une appropriation du devenir de notre propre humanité. Car la foi en Jésus-Christ n'est pas un enfermement religieux, c'est un engagement qui relie de haut en bas, de bas en haut, pour tout mettre dans la lumière de l'Unique Personne, le Christ, dont nous sommes tous. 


Concrètement cela pose la question de notre propre place dans la société, en tant que chrétiens. Où sommes-nous ? Agissons-nous au travers des corps intermédiaires, tels les syndicats, les partis politiques, les associations, ou acceptons-nous de nous laisser cloisonner dans cet individualisme où nous perdons le sens de notre présence au monde ? Depuis l'exil de l'homme ayant perdu son Eden, Dieu ne cesse de nous appeler en nous interrogeant : "Où es-tu ?". Quand certains chrétiens disent préférer la spiritualité pour oublier le monde, il me semble qu'ils sont sans conteste religieux, mais qu'ils n'entendent pas l'Appel du Dieu de Jésus-Christ dont l'incarnation fait que, selon les mots de St Grégoire de Nazianze (Père de l'Église du IVème siècle),"ce qui n'est pas assumé n'est pas sauvé". 


Quittons donc nos téléviseurs, nos tablettes, pour aller à l'Histoire. C'est là que Dieu nous attend. Et nous deviendrons des Personnes, à la mesure de la Personne du Christ, en agissant, certes petitement, mais concrètement, pour ne plus subir les commentaires des "spécialistes", et devenir auteurs de la page du monde qui s'écrit. Que ce principe de subsidiarité, au sujet de la Grèce, comme dans d'autres domaines d'ailleurs, deviennent pour nous l'occasion de nous configurer au Ressuscité, en vivant comme des Ressuscités.

Père Pierre Colombani +