Editorial Juin 2015
S'il fallait s'en convaincre, la nouvelle encyclique "Laudato SI'" du pape François, parlant de « notre maison commune » (n° 3), à propos de l'écologie, relève bien de cette théologie de la responsabilité. Elle met en évidence, ce que les Patriarches orthodoxes Bartholomée Ier, de l'Église oecuménique de Constantinople, ou encore Daniel, de l'Église orthodoxe roumaine, n'hésitent pas à affirmer de leur côté. Ainsi le Pape François ose cette affirmation : "il n’y a pas deux crises séparées, l’une environnementale et l’autre sociale, mais une seule et complexe crise socio-environnementale (n° 139)". Dès lors, selon le Saint-Père : "Ces situations provoquent les gémissements de sœur terre, qui se joignent au gémissement des abandonnés du monde, dans une clameur exigeant de nous une autre direction (n° 53)".
Il dresse alors un réquisitoire sans complaisance en dénonçant : « La soumission de la politique à la technologie et aux finances (...)." En effet, selon lui : "Il y a trop d’intérêts particuliers, et très facilement l’intérêt économique arrive à prévaloir sur le bien commun (…)." Avec un regard lucide, loin de toute naïveté, il souligne encore : "Ainsi, on peut seulement s’attendre à quelques déclarations superficielles, quelques actions philanthropiques isolées, voire des efforts pour montrer une sensibilité envers l’environnement, quand, en réalité, toute tentative des organisations sociales pour modifier les choses sera vue comme une gêne provoquée par des utopistes romantiques ou comme un obstacle à contourner (n° 54)".
Dans l'horizon de l'histoire biblique de Noé, le Pape rappelle alors que Dieu "a donné à l’humanité la possibilité d’un nouveau commencement. Il suffit d’un être humain bon pour qu’il y ait de l’espérance ! (n° 71)". Par conséquent, pour lui : "tout n’est pas perdu, parce que les êtres humains, capables de se dégrader à l’extrême, peuvent aussi se surmonter, opter de nouveau pour le bien et se régénérer, au-delà de tous les conditionnements mentaux et sociaux qu’on leur impose. Ils sont capables de se regarder eux-mêmes avec honnêteté, de révéler au grand jour leur propre dégoût et d’initier de nouveaux chemins vers la vraie liberté (n° 205)".
Cela conduit à "miser sur un autre style de vie", alors même que "le marché tend à créer un mécanisme consumériste compulsif pour placer ses produits" (n° 203)." L'Évêque de Rome dénonce ainsi particulièrement "l’individualisme (n° 208)". Appelant au "don de soi dans un engagement écologique (n° 211)", le Pape François propose de promouvoir "une éthique écologique" (n° 210), avant d'inviter à vivre "une spiritualité écologique", en invoquant les grandes figures de François d’Assise, Thérèse de Lisieux, Bonaventure, Jean de la Croix, lesquels ont vécu selon lui , "une écologie intégrale (qui) implique de consacrer un peu de temps à retrouver l’harmonie sereine avec la création, à réfléchir sur notre style de vie et sur nos idéaux, à contempler le Créateur, qui vit parmi nous et dans ce qui nous entoure, dont la présence ne doit pas être fabriquée, mais découverte, dévoilée (n° 225)".
Décidément, on peut le constater, la mystique chrétienne peut réellement apporter aujourd'hui une réponse essentielle, pour "réenchanter" un monde blessé. À l'heure où certains parlent tant de laïcité, en confondant celle-ci avec une absence de références spirituelles pour régler les problèmes de notre siècle, il serait temps d'entendre que la vraie spiritualité est celle qui met l'homme debout, en responsabilité face à l'Histoire, et qu'elle est inhérente à la perspective des vraies valeurs de la laïcité. André Comte-Sponville, qui parlait d'une spiritualité sans Dieu, a bien montré que la spiritualité est essentielle au-delà des horizons philosophiques des uns et des autres, pour construire l'homme. Le Christianisme est, de ce point de vue, une contribution essentielle, à la redéfinition des valeurs, grâce auxquelles nous pourrons retrouver toute la pertinence du Bien Commun, surtout lorsqu'on aborde ces questions, telles l'écologie et le devenir des générations futures.
Je salue donc l'importance radicale de cette magnifique lettre encyclique, "Laudato Si'", du Pape François, et je ne peux qu'inviter à sa lecture pour une méditation, mais aussi pour un engagement concret de chacun d'entre nous. Et je prie pour que cela incite aussi les Églises à sortir de leurs dogmatismes sclérosants, pour assumer le vrai dogme du Christ : il vaincu la mort et a ouvert toutes les portes de la vie ! Alors, en écho avec le grand Saint Irénée, nous pourrons proclamer à la face du monde, que "la plus grande Gloire de Dieu, c'est l'Homme Vivant !"
Père Pierre Colombani +