Editorial AUTOMNE 2015
Je suis de cette terre de France et je porte en moi toute la lignée de celles et ceux qui ont fait cet héritage dont les mots se déclinent comme tolérance, laïcité, fraternité, liberté, égalité... Je suis de ce pays qui a érigé des cathédrales, des basiliques, pour décrocher du ciel l'essentiel de la condition humaine. Une odeur d'encens et de latin parfume nos accents qui s'enivrent dans les senteurs de la fougère, de la lavande, du thym, du maquis. Une terre qui a vu se lever des révolutions et des croyances, et qui a su ériger l'homme dans les hauteurs de l'Humanisme, au point de proclamer les principes des Droits de l'Homme. Et pourtant cette terre voit, aujourd'hui, ses enfants se déchirer sur les récifs du populisme, pour savoir ce qu'il pourrait advenir de notre beau pays si, d'aventure, nous venions à accueillir tous ces êtres venus d'ici, de là-bas ou d'ailleurs.
Ce populisme m'étreint. Je le comprends dans mes racines. Mais le visage de cet homme venu de nulle part me questionne au plus haut de ma conscience. L'altérité de sa route, de son destin, croise mon propre chemin. Il est moi et je suis lui. L'universalité de nos conditions ne relève pas d'une utopie naïve. Non, c'est davantage l'universalité de l'Homme englué dans le même tourment, avec la même question : "pourquoi ?". Dans ce visage, je reconnais l'Autre Visage, Celui qui me convoque et m'invite, non à l'idéologie politique, ni au sectarisme de la peur, encore moins au prosélytisme de la vérité. Simplement, cette reconnaissance me conduit à orienter mon regard vers l'horizon d'un Dieu qui n'est pas dans l'expression d'une morale, d'un catéchisme, ni d'un dogmatisme de l'a priori. Mais j'y reconnais le Crucifié, Celui qui ne répondait pas aux injonctions de Pilate au sujet de la vérité, ni aux mesquineries des docteurs de la Loi. Je reconnais Celui qui s'est fait le chantre du petit, de l'exclu, non par misérabilisme, mais parce qu'il connaissait le coeur de l'Homme. Il faut beaucoup de souffrances à ce dernier pour qu'il se rappelle qu'il appartient à une création dont il n'est pas le maître, mais bien le serviteur. Oui, ces êtres venus de partout nous parlent la langue divine qui nous accuse dans notre égoïsme, notre individualisme, notre matérialisme outrancier, notre hédonisme. Alors, j'ose le dire, l'avouer : j'ai peur d'accueillir cet homme étranger, peur qu'il me prenne ma terre. Cependant, cette terre est-elle mienne exclusivement ? J'aime ma culture, mais peut-elle justifier le refus de l'autre ? Je ne sais rien si ce n'est que ce Dieu auquel je crois m'a parlé un jour d'Amour. Et si, au coeur de la tourmente de l'Histoire, l'Amour n'était plus qu'un mot, je deviendrais comme ces fous qui usent l'homme dans les registres de la religion. Dieu se moque de la religion si elle n'est pas le chemin de l'Amour. Or, l'Amour nous conduit aujourd'hui à ouvrir les bras et à chercher ensemble la voie de l'être-avec-autrui, de l'être-pour-autrui, de l'être-par-autrui.
Merci, ô Dieu, de nous éprouver ainsi, afin d'ériger non pas l'empire de Babel mais la Cité de la Pentecôte des Nations.
père Pierre