La Théophanie - Janvier 2012


Après la célébration des fêtes de Noël, alors que le monde profane souhaite chaleureusement les meilleurs vœux pour cette nouvelle année 2012, notre Église Orthodoxe fête la Théophanie. 

Que peut représenter pour nous une telle évocation ? 

Étymologiquement, la Théophanie signifie la révélation du divin. En effet, le célèbre baptême de Jésus par Jean, dans les eaux du Jourdain, manifeste la dimension de la personne divine dans la personne humaine de ce Jésus de Nazareth, ayant vécu, il y a plus de deux mille ans, dans la région de Palestine. Mais cette fête de la Théophanie a surtout une double portée : elle souligne, d’une part, le mystère de l’Incarnation et annonce, d’autre part, la réalité sacramentelle de l’Église. 

Le mystère de l’Incarnation d’abord. La venue de l’homme sur terre a toujours suscité un certain nombre de questions, portées par les philosophes et les théologiens de toutes les traditions religieuses. Pourquoi vivre les aléas de l’histoire, tels que nous les traversons les uns les autres, dans la longue lignée de l’humanité depuis ses origines ? Or, le baptême de Jésus par Jean met en évidence, non seulement sa nature divine, mais au-delà, affirme la nécessité pour tout être de laisser surgir de sa propre humanité la source profonde de son identité : une filiation divine. 

Autrement dit, en se faisant baptiser, Jésus n’annonce pas uniquement un chemin de purification et de repentance. Il proclame l’urgente nécessité, pour tout homme, de se libérer des entraves qui l’empêchent d’accéder à sa condition d’enfant de Dieu. Nous ne nous incarnons pas par hasard, mais pour cheminer vers cette conscience qui appelle de notre part une acceptation de cet état, dans une réponse libre. Elle conditionne le sens de l’amour. De même que Dieu se signifie comme un Père faisant le Don de lui-même, pour faire émerger la création et les créatures, ainsi l’homme doit faire le don de lui-même envers son Père. 

L’Incarnation devient pour l’homme le temps du dévoilement de son apparence et, en touchant à sa nature originelle d’image divine, l’appelle à ressembler à Dieu dans sa façon de vivre et de considérer le vivant. Entendons que la vie est un rendez-vous incessant entre notre condition provisoire, dans un corps et un environnement éphémères, et notre condition définitive, d’une éternité déjà réalisée, mais dont l’accomplissement demande de notre part, un accueil, un désir, une quête. Par conséquent, en nous incarnant, nous apprenons à devenir des hommes, dont la vérité est le chemin initiant à la rencontre avec Dieu. 

La réalité sacramentelle de l’Église, ensuite. Le baptême du Christ nous introduit dans le sens de l’Église, en tant que visage donné à l’Indicible. Quand Jésus sort des eaux du Jourdain et que l’Esprit Saint, sous la forme d’une colombe, descend sur lui, nous entrons dans la compréhension de Dieu fait homme invitant l’homme à se hisser vers Dieu. L’homme Jésus est investi de la présence divine, pour devenir l’Icône du Père, son visage, dans la condition humaine. St Jean dira qu’Il est l’Envoyé du Père. Non comme un prophète qui annonce une réalité qui lui est extérieure. Jésus est, lui, de même nature que Celui qui l’envoie. En cela l’Eglise récapitule la dimension du prophète et celle du Christ. Comme les prophètes, elle annonce le Salut. Mais comme le Christ, elle donne visage au Salut en divinisant l’homme, en inoculant en lui la nature du Fils. Car le Christ sortant des eaux du Jourdain engage la nouvelle humanité à sa suite dans les eux baptismales, pour que chacun devienne l’image particulière, singulière de ce Dieu, Père, suscitant des Fils et des frères. Si le mystère de l’Incarnation doit conduire l’homme à se découvrir Fils de Dieu, la dimension sacramentelle de l’Église doit donner à voir le sens de cette filiation. Il y a donc un lien intrinsèque entre le baptême du Christ et l’expérience de l’Église. 

Ainsi celui qui rencontre le Christ ne peut que rencontrer l’Église. Nous sommes, dès lors, dans cette fête de la Théophanie, au cœur du mystère trinitaire que l’Orthodoxie a toujours magnifié. L’hypostase du Fils éclate à nos yeux dans l’événement du baptême du Seigneur. L’hypostase du Saint Esprit Consolateur se manifeste depuis Pentecôte par l’Église, en tant que corporéité de l’humanité régénérée dans la nature divine. En cela le baptême de Jésus ouvre au baptême en Église. La venue du Saint Esprit sur Jésus réalise le Christ en lui, de même que la venue du Saint Esprit sur les Apôtres réalise la corporéité du Christ. L’hypostase du Père envoie son souffle sur l’hypostase du Fils comme sur l’Hypostase du Saint Esprit Consolateur. Autrement dit, rencontrer le Christ en Jésus, c’est immédiatement rencontrer le Christ en Église, et l’expérience de la filiation divine pour l’homme appelle le chemin du sacrement ecclésial, dont la réalité dépasse les frontières institutionnelles pour permettre à l’homme de révéler l’indicible du Père, dans son chemin de fils, par l’accueil du Souffle de Vie. 

Vivons donc cette grande fête de la Théophanie comme notre propre naissance à l’être déifié en nous depuis notre baptême, en écho à celui du Seigneur. Ainsi, nous saisirons que l’Église n’est pas une religion de la croyance, mais l’expérience du Corps mystique du Christ réalisé au plus intime de nos chairs dans le physique, l’émotionnel, l’intellectuel. En cela, la Théophanie rythme bien ces deux temps de l’Incarnation et de la sacramentalité en Église. En cela notre incarnation prend toute sa signification, quand nous devenons le sacrement du Christ qui caractérise l’Église. Bonne fête à tous et que le Christ transpire de tous nos êtres ! 

+ Père Pierre