Noël et la philocalie - Noël 2011


Selon la tradition scripturaire et ecclésiale, il y a près de deux mille ans, un enfant né dans une crèche a été reconnu et honoré comme le Fils de Dieu. Les incrédules parlent alors d’un conte merveilleux pour enfants. Certains croyants s’arc-boutent en évoquant un miracle. D’autres soulignent qu’il s’agit d’une célébration religieuse du solstice d’hiver ! En réalité, la portée de cet Événement est d’une autre nature… Il s’agit d’un Événement, au sens théologique, c’est-à-dire, d’une irruption du divin dans la condition humaine. Dans la conception que se font habituellement les hommes de Dieu, l’être surnaturel qualifié de « Tout Puissant » doit apparaître dans la gloire et la majesté. Or, en l’occurrence, il s’agit dans cette évocation d’un enfant nouveau-né, caché dans une mangeoire, au milieu d’animaux et de bergers. Cette présentation pastorale pourrait ressembler à un tableau, telle une carte postale dépeignant une image d’Épinal ! Mais, allons plus loin dans notre analyse…

Cette annonce révèle une compréhension de Dieu et de l’homme qui bouleverse tous les schèmes de pensée. La venue de Dieu se réalise dans la pauvreté d’une crèche, dans la marginalité des bergers, dans la fragilité d’un nouveau-né. La crèche symbolise le lieu du dénuement et de l’exclusion, car il n’y a pas de place pour cet enfant à l’hôtellerie. Les bergers sont l’expression de la marginalité, en ce qu’ils étaient considérés, à cette époque, comme des individus impurs vivant au milieu de l’impureté des animaux. La fragilité est imagée dans le nouveau-né dont la vie dépend entièrement de tous ceux qui l’entourent. Nous retrouvons-là les harmoniques du Bien, du Beau, du Bon de la philocalie !

En effet, Dieu naît en chacune de nos crèches intérieures, au cœur de nos blessures, de nos laideurs, de nos accidents existentiels. Nous l’attendrions plus naturellement dans la toute puissance de nos réussites. Il se manifeste à nous dans nos espaces de vie ratés, dans l’impureté de nos cœurs, dans la noirceur de nos âmes. Nous considérions notre fragilité infranchissable, Il nous appelle à la traverser dans la confiance du nouveau-né. Ainsi, le Beau se réalise en ce que nos espaces de vie ratés deviennent le lieu de l’Appel de Dieu à la vie. De sorte que, nos échecs signifient l’incomplétude et la faille non comme des malédictions ou bien des abandons de Dieu. Au contraire, ils sont la marque de l’inachèvement de la création, au travers duquel le Créateur nous propose son Alliance. En cela, nos vies sont belles, en cela, nous sommes invités à resplendir dans notre nuit de la lumière de Dieu.

Le Bon est souligné par l’émerveillement des bergers et des Mages venus d’ailleurs. Autrement dit, les petits et les étrangers savent rendre grâce. Les dimensions de limite et d’altérité sont en nous les chemins par lesquels nous pouvons nous élever dans la contemplation. Il s’agit, ainsi, d’expérimenter un étonnement conduisant vers un ailleurs, un dépassement, une transcendance, la quête d’une étoile. Les bergers, rejetés de tous, sont ouverts à l’accueil de l’Ange. Point d’a priori pour eux, tellement cette visitation leur restitue une dignité perdue. Ils deviennent alors les hérauts de la Bonne Nouvelle. Les petits sont choisis non par « misérabilisme », mais parce qu’ils gardent en leur cœur cette capacité à demeurer ouverts à l’autrement de l’Histoire, c’est-à-dire, à l’Espérance. Quant aux mages, ce sont les hommes de l’interprétation qui scrutent le sens des choses et leur synchronie. Ils indiquent la nature de la vocation humaine à se questionner, pour traverser les mystères et ainsi dévoiler l’humanité de ses pagnes ancestraux ! Il est bon d’avoir conscience de la limite de sa pauvreté pour se mettre en exode et quitter son pays. Il est bon de se vivre comme pauvre et mendiant d’un Tout Autre !

Le Bien, enfin, est annoncé dans cette bonne nouvelle proclamant la libération de l’homme. Il n’est plus désespérément coupé, séparé de Dieu. Les Pères de l’Église n’ont eu de cesse de l’exprimer. Dieu a épousé la condition humaine, dans la contingence de l’Histoire, pour relever l’homme et l’élever vers l’infinitude. Cet Événement de l’Incarnation de Dieu parmi nous, l’Emmanuel, éclaire le monde. Il est le lieu de l’habitation de Dieu. N’envisageons plus le divin hors de portée, dans un au-delà hypothétique. Le temps de l’Histoire est devenu le temps de Dieu. Le ciel et la terre s’épousent. Le Bien est réalisé en ce que la nature divine est communiquée à l’homme. Dieu prenant la condition humaine, l’homme ne fait plus face à Dieu extérieurement. Il est invité à entrer dans l’intimité de l’indicible divin. C’est la préfiguration du mystère trinitaire, où les trois Personnes divines, du Père, du Fils, du Saint Esprit, aspirent la personne humaine vers la personne divine. Tel est le Bien suprême !

Par conséquent, nous constatons à quel point la foi n’est pas de l’ordre d’une posture fuyant le monde, ni d’une délectation culturelle et intellectuelle, ni d’un endoctrinement dans un catéchisme enfermant. C’est l’invitation à la manducation des Paroles du Créateur : « et Dieu vit que cela était bon… ». Par cette manducation, nous pourrons alors entrer dans le processus de la déification et vivre en cette fête de Noël, en 2011, le Beau, le Bon et le Bien comme le temps de la naissance de la personne du Christ en nous.

Sainte et joyeuse fête de l’Emmanuel à chacune et à chacun d’entre vous.

+ Père Pierre, Recteur de la paroisse Ste Marie de Magdala