La signification théologique de la crise financière actuelle - Octobre 2011
D’aucuns s’interrogent sur la portée de la crise financière et économique que nous traversons depuis ces derniers mois. Les conclusions proposées tournent toujours, alors, autour de la dénonciation des marchés financiers, du rôle des banques plus préoccupées de spéculer que d’investir dans l’économie réelle, du cynisme de certains acteurs tels les traders. Certes, ces remarques sont absolument justifiées et n’appellent guère de nuance… Pour autant, les bouleversements que nous subissons, actuellement, révèlent une fracture dont la nature ne concerne pas le seul domaine économique. Elle relève d’abord d’une crise du sens.
Si le XIXème siècle a vu se lever un grand vent d’optimisme avec la quête de l’idée démocratique, le XXème siècle, lui, s’est brisé sur les récifs des totalitarismes, des idéologies collectivistes et libérales. En ce XXIème siècle débutant, avec l’écroulement du mur de Berlin et la fin d’un monde bipolaire, puis l’avènement de pays que l’on qualifiait pudiquement « d’émergents », mais aussi avec le terrorisme apparu au grand jour, avec le traumatisme américain du 11 septembre 2001, les dirigeants de tous les continents se sont fait les chantres de la mondialisation, de la globalisation de l’économie. Au-delà des mots, la réalité s’est surtout caractérisée par l’apparition d’une société du consumérisme où l’âpreté du gain est devenue la loi d’airain depuis le haut jusqu’au plus bas de l’échelle sociale. Chacun, à son niveau propre, a voulu tirer avantage et profit au maximum. Le pouvoir d’achat des ménages étant limité par une politique de compression de la masse salariale, tout a fonctionné autour du crédit. Cependant, l’esprit ambiant appelant un profit exponentiel, le groupe des privilégiés s’est de plus en plus réduit, la paupérisation des classes moyennes a paralysé l’illusion de l’ascenseur social et l’économie s’est repliée sur la bulle des marchés financiers et boursiers. Or, la bulle vient d’exploser. Son éclatement avait débuté avec la crise des « subprimes » en 2008. Aujourd’hui, nous atteignons le paroxysme, avec la faillite de la Grèce et, derrière, la guerre des marchés à l’encontre des États.
Nous sommes donc au cœur d’une tourmente, où tous les acteurs ont perdu leurs repères traditionnels et, où le seul paramètre se caractérise par une recherche d’un profit toujours à deux chiffres. D’où les plans de restructuration, les délocalisations, l’errance de l’économie de production.
Pourtant, depuis longtemps déjà, les grands argentiers du monde, réunis une fois par an à Davos, n’ont eu de cesse d’alerter sur les risques d’une économie n’étant plus ordonnée à une finalité. Or, la finalité s’est polarisée sur l’idée d’un profit à réaliser à tout prix, sur la recherche, à très court terme, de la spéculation boursière facile. La loi de la finance l’a emporté sur l’économie, lieu d’échange par excellence des biens et des besoins.
En cela, l’économie, qui porte en sa nature la merveilleuse trace de l’appel à autrui, image de l’échange trinitaire que nous confessons au cœur de la « communion périchorétique » entre le Père, le Fils, le Saint Esprit, a perdu sa signification originelle. Elle est devenue le lieu du combat entre Caïn et Abel. Le meurtre d’Abel par Caïn se perpétue à travers cette guerre de la finance à l’encontre des peuples.
Dans notre responsabilité de Chrétiens, il ne s’agit pas de prodiguer une simple morale de la condamnation, ni de jeter l’opprobre sur tel ou tel acteur de l’espace économique. De manière plus essentielle, il nous faut poser la question du sens. Cette crise ne révèle-t-elle pas une cassure de la société, où l’esprit du bien commun a disparu, où l’individualisme emporte tout sur son passage et où l’égoïsme prévaut de manière prégnante ? Depuis plusieurs années, le Magistère social de l’Église Catholique Romaine ne cesse de l’exprimer, les Églises Protestantes se mobilisent pour la promotion d’une éthique de la responsabilité, les Patriarches Orthodoxes ont appelé à l’urgente nécessité d’une prise de conscience de l’esprit philocalique. Tout cela est resté lettre morte et le monde poursuit sa course folle sans se préoccuper de ces recommandations, ou si peu…
Mais les Chrétiens sont-ils crédibles pour parler au monde du sens du chemin de l’Histoire alors qu’ils sont, eux-mêmes, empêtrés dans leurs archaïsmes, leurs propres cloisonnements, leurs rivalités de clochers, leurs entêtements dogmatiques, leurs excommunications. Cet esprit sectaire se propage ainsi, malheureusement, dans les comportements ecclésiaux, où chacun s’affirme de manière orgueilleuse comme le détenteur de la vérité. C’est aussi une tendance que l’on retrouve dans l’ensemble des religions. Certains en concluent que le phénomène religieux ne peut conduire qu’aux pires errements. En vérité, il n’est que le reflet de ce qu’est la nature humaine. En cela les Chrétiens devraient rechercher l’enseignement du Maître et non leurs propres convictions. Ils pourraient alors signifier, à la société, que la crise financière actuelle souligne la question de l’orientation d’un monde qui se détourne de Dieu, en tant que Tout Autre, appelant un déplacement incessant du besoin égotique pour viser la communion d’un être-avec-autrui. C’est la portée de la Bonne Nouvelle du Christ, au travers de son commandement à l’Amour. Mais l’Église n’en sera l’image et le sacrement que dans la mesure où les Chrétiens de toutes les sensibilités finiront par viser l’unité, au-delà de leur diversité.
Autrement dit, la crise actuelle nous interroge davantage sur nos incohérences dans la foi, que de nous pousser à devenir des censeurs de la bonne conscience face à nos frères en humanité. Oui, le temps est venu, pour nous tous, Chrétiens de toutes conditions, de partir au grand large vers le Ressuscité, pour vivre dans l’Esprit du Père, la communion de l’altérité, prémices du Banquet du Royaume éternel.
+ Père Pierre, Recteur de la paroisse St Marie de Magdala